Contributions

Laure Westphal / Délinquance, psychopathie, fanatisme. Ce que l’assassin de Samuel Paty partageait avec d’autres terroristes.

77views

Texte publié et à retrouver sur le site de The Conversation llustration: Un manifestant brandit une photo d’Abdoullakh Anzorov, assassin de Samuel Paty, à Idlib (Syrie) le 28 octobre 2020. Mohammed Al-Rifai/AFP

Le procès des complices d’Abdoullakh Anzorov, l’homme qui a assassiné Samuel Paty le 16 octobre 2020, vient de prendre fin. Brahim Chnina, père de la collégienne qui a menti à propos de caricatures du prophète, et Abdelhakim Sefrioui, prédicateur qui a alimenté la campagne de haine sur les réseaux sociaux, ont été condamnés respectivement à 13 et 15 ans de prison, tandis que deux amis d’Anzorov ont pour leur part été condamnés à 16 ans. Quatre autres individus se sont vu infliger des peines allant de un à cinq ans d’emprisonnement. Au-delà des complices, le procès a permis de cerner un peu plus précisément le parcours et la personnalité d’Anzorov, âgé de 18 ans au moment des faits. Quels rapprochements peut-on faire avec d’autres terroristes, comme les frères Kouachi ou encore Mohammed Mogouchkov, l’assassin du professeur Dominique Bernard en octobre 2023 ? Quelles leçons en tirer ?

Ma recherche porte sur l’articulation des problématiques subjectives et d’une cause collective chez les auteurs d’actes terroristes. Comme j’ai tenté de le montrer dans mes travaux, certains individus enclins à la frustration adoptent l’islam radical pour assouvir des pulsions antisociales ou psychopathiques au nom d’une idéologie qui les transforme en « élus » et leur offre un sentiment de toute-puissance.

La religion devient un produit dopant conjurant les carences et les manques par le sentiment de retrouver leur intégrité. Du latin « fanaticus », signifiant « inspiré », « prophétique », « en délire », le fanatique désigne celui qui se croit transporté d’une fureur divine ou qui s’emporte sous l’effet d’une passion pour un idéal politique ou religieux.

Avec leurs passages à l’acte, les assaillants mettent donc en jeu de l’intime sur une scène publique qu’ils politisent. Mon expérience clinique auprès de volontaires radicalisés à Pontourny m’a amené à constater que des individus superposent au tort qu’ils pensent avoir subi à celui causé à la communauté musulmane, appelée Oumma, par exemple en Palestine, Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie, en Irak ou en Syrie.

Le cas Anzorov

J’ai pu assister aux auditions du procès des complices de l’assassin de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov. Certains témoignages — notamment celui d’agents de la sous-direction antiterroriste — ont permis d’affiner l’analyse « clinique » du jeune criminel, décédé le 16 octobre 2020 sous le feu de la police après avoir poignardé puis décapité le professeur d’histoire Samuel Paty.

À l’âge de 6 ans, Abdoullakh Anzorov, d’origine tchétchène, est arrivé en France avec sa famille et un statut de réfugié. Enfant timide, il s’est ensuite extraverti et a commencé des pratiques de petite délinquance. Vers 15-16 ans, il s’est rigidifié à nouveau, notamment à l’égard des filles, puis s’est « calmé », en se « plongeant dans la religion ». À sa famille et ses amis, il préconisait les prières, la mosquée, la distance avec les femmes et d’être « de vrais musulmans ».

À 18 ans, avant de passer à l’acte, Abdoullakh Anzorov est donc connu à la fois pour sa religiosité et des dégradations de biens publics et des violences en réunion. Il est alors plus radicalisé que son père, Abouyezid Anzorov, dont il enviait le statut de membre du Conseil national des Activités privées de Sécurité (CNAPS). Avant son attentat, il avait formulé deux demandes de formation spécialisée auprès de cet organisme, ce qui lui fut refusé en raison de son implication dans des faits de violences.

Après l’assassinat de Samuel Paty par son fils, le père d’Anzorov, qui avait eu des liens avec Al-Qaida par le passé, s’est félicité que « son fils soit parti en défendant l’honneur de tous les Tchétchènes et de tous les musulmans du monde ».

Les frères Kouachi

Le cas des frères Kouachi, auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo, mêle également des conduites antisociales que leurs auteurs ont idéologisées ensuite, et notamment en voulant venger le prophète.

Saïd et Chérif Kouachi ont grandi dans une grande misère affective auprès d’une mère incapable d’assumer sa parentalité. Ils ont vécu des violences signalées par des travailleurs sociaux, eux-mêmes désœuvrés et sans relais institutionnels. Ils ont extériorisé leur frustration par des conduites psychopathiques et délinquantes. Ils ont connu la prison, des recruteurs, des voyages en zone de guerre. Ils y ont accentué leur sentiment d’être étrangers à leurs pays.

À 32 et 34 ans, les frères Kouachi « se sont fait justice » au nom d’Allah. En « se sacrifiant pour le prophète », ils ont tenté d’égaler celui-ci dans ses actions, et accédé à la dignité de ceux qui jugent les mécréants.

Le cas Mogouchkov

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, le professeur de français Dominique Bernard était tué par Mohammed Mogouchkov, 20 ans, ancien élève, originaire du Caucase.

Mogouchkov était décrit tantôt comme calme à l’école, tantôt comme agressif et violent. Il extériorisait sa colère dans un club de boxe, jusqu’à ce qu’il s’émancipe de tout encadrement.

Avant son attentat, ce dernier avait enregistré dans son téléphone ce message : « Oh Français, peuple de lâcheté et de mécréants. J’étais dans vos écoles, j’ai vécu des années et des années parmi vous, gratuitement. […] Vous m’avez appris ce qu’est la démocratie et les droits de l’homme, et vous m’avez poussé vers l’enfer. »

Le terroriste a expliqué pourquoi il avait ciblé son ancien professeur : « Dominique Bernard était prof de français. C’est l’une des matières où l’on transmet la passion, l’amour. De la République, de la démocratie, des droits de l’homme, des droits français et mécréants. »

Mogouchkov a nourri sa rage en silence avant d’être repéré par la police, fiché S et mis sur écoute. Avant son crime, il était devenu encore plus fanatique que son frère, condamné pour des projets d’attentat contre l’Élysée.

Une menace djihadiste importante en France

En 2023, la DGSI a rapporté que la menace terroriste djihadiste était toujours la première en France, devant celles de l’« ultradroite », puis de l’« ultragauche ».

On sait également que le nombre de mineurs mis en cause dans des projets d’attentat est en forte augmentation depuis deux ans.

Parallèlement, en 2022, on comptait 430 détenus pour terrorisme islamiste et 570 détenus de droit commun radicalisés. Une centaine de ces derniers étaient libérables en 2023, 36 en 2024 et 34 en 2025. Cela pose la question du développement de dispositifs d’accompagnement et de prévention de la récidive.

Face à ces dangers, il est important de rappeler que les attentats révèlent le parcours d’individus en échec d’intégration qui idéologisent leur rage à travers un combat politico-religieux. Ces terroristes, ou aspirants-terroristes nous engagent donc à réfléchir à de nouvelles modalités de vivre-ensemble.

Mon expérience auprès de volontaires radicalisés à Pontourny m’a amené à constater un désir d’intégration chez certains que l’on croyait « irrécupérables ». Des leviers d’action donc possibles. Ils doivent être activés avant que la colère et la folie meurtrière ne succèdent à la frustration.

Laure Westphal est Psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et psychanalyse, Enseignante, Chercheuse associée, Sciences Po.

Laure Westphal enseigne à l’École d’Affaires Publiques de Sciences Po, à l’Université Paris Sorbonne Nord et à l’Université Paris Cité.
Elle est chercheuse associée à l’Unité Transversale de Psychogenèse et Psychopathologie (UTRPP) à l’Université Paris Sorbonne Nord.
Docteure en psychopathologie et en psychanalyse, elle exerce comme clinicienne au GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences et à son compte.
Elle a également travaillé au Centre de Prévention, d’Insertion, et de Citoyenneté (C.P.I.C. 37) de Pontourny en Indre-et-Loire, dont l’ouverture a été commanditée par le gouvernement en 2016-17.
Depuis 2019, elle est chercheuse au sein du Groupement d’Intérêt Public « Droit et justice » pour une mission sur les peines internes en milieu carcéral.
Elle a parmi ses champs d’investigation : la radicalisation, le passage à l’acte, les addictions, les psychoses, les nouvelles formes de sexualité et d’identité de genre.