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Jorge Assef / Le rêve de Marilyn Monroe

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Texte publié sur le site  El Psicoanalytic (Barcelone). Dossier : Sur les fous et la folie (44). Traduit de l’espagnol.  Auteur Jorge Assef. AME. Membre de l’École Lacanienne d’Orientation. Psychanalyste à Buenos Aires et Cordoue. 

Le rêve hollywoodien

À sa naissance, elle a été placée au bénéfice de l’assistance publique, confiée à 11 familles d’accueil et à un orphelinat. On ne savait pas qui était son père. Sa mère, qui a fini dans un hôpital psychiatrique, comme ses grands-parents, l’a marquée dans le choix de son prénom : « Norma » pour Norma Shearer et « Jeane » pour Jeane Harlow, toutes deux actrices hollywoodiennes.

Il existe deux souvenirs clés qui permettent de situer comment Norma Jeane est entrée dans le champ de l’Autre à travers le regard. La première, à l’âge de 12 ans, lorsqu’elle allait à l’école avec un pull trop petit pour elle, mettant en valeur ses courbes naissantes : lorsqu’elle remarqua que ses camarades de classe la suivaient du regard, elle éprouva une satisfaction inoubliable. La deuxième partie de cette scène se déroule un an plus tard : elle se promenait sur la plage en maillot de bain et elle remarque que tout le monde la regarde. Souvenez-vous : « une sensation étrange (…) comme si j’étais pris en sandwich entre deux personnes différentes. L’une, Norma Jeane de l’orphelinat (…) De l’autre, je ne connaissais pas son nom, mais je connaissais sa place. Il appartenait à la mer, au ciel, au monde entier »[1].

Elle a commencé à travailler comme mannequin à l’âge de 18 ans. La photographe Eve Arnold affirme qu’elle contrôlait totalement la situation : « elle en savait beaucoup sur les appareils photo, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui pouvait les faire réagir comme elle l’a fait »[2].

Norma Jeane signe son premier contrat avec la 20 th Century Fox à l’âge de 20 ans et adopte le nom de Marilyn Monroe. Lorsqu’ils n’ont pas renouvelé son contrat, elle se souvient : « Je suis restée au lit des jours et des jours, sans manger, désalignée (…) La chance ne m’a jamais souri de ma vie. L’étoile noire sous laquelle il est né deviendra de plus en plus noire »[3].

D’un côté, Norma Jeane était Marilyn, la fille rayonnante des photos de pin-up qui a commencé sa carrière à Hollywood et a étudié le soir l’histoire de l’art à l’université. Et d’un autre côté, elle continue d’être, comme elle se définit elle-même dans sa dernière interview, « une enfant abandonnée »[4]  qui écrit : « J’ai été déprimée toute ma vie depuis que je m’en souviens »[5].

Justement, JA. Miller souligne qu’il existe généralement « un rapport entre mélancolie et sublimation — puisque le maintien d’une expérience proche de l’horreur — favorise le rapport au beau pour voiler l’horreur »[6]. Cette relation se reflète dans un souvenir fondamental de Marilyn, une tante adoptive était décédée et elle avait le cœur brisé, elle raconte : « Je suis allée au cimetière et j’ai vu les ouvriers creuser une tombe (…) Je suis ensuite descendue les escaliers, je me suis allongée au fond de la tombe et j’ai regardé le ciel au-dessus de moi. Le sol est froid sous le dos, mais la vue était fantastique »[7].

Le rêve d’être une actrice respectée

À partir de 1953, Marilyn s’impose comme l’amie blonde et sexy des diamants que l’industrie allait exporter dans le monde entier et qui atteint le sommet de sa popularité en 1955 avec la scène avec sa jupe blanche au vent. Mais jouer le rôle n’était pas la même chose que devenir mannequin et elle rêvait d’être « une actrice respectée ». Je la cite : « Je n’avais pas d’autres désirs, je n’avais pas besoin d’hommes, d’argent ou d’amour, juste de pouvoir agir »[8].

Ainsi, Marilyn s’installe à New York, fonde sa propre société de production et, bien qu’elle soit déjà une superstar, commence à étudier le théâtre à l’Actors Studio avec le légendaire Lee Strasberg. C’est sur sa suggestion qu’il entame sa première analyse de cinq séances hebdomadaires.

Dans ses journaux de cette époque, vous pouvez lire comment il a essayé de s’accrocher à la « psychologie de l’ego » pour rester stable. Cependant, au milieu de 1956, il écrit : « Après un an d’analyse. Aide, aide. Relief. Je sens que la vie s’approche de moi. Alors que tout ce que je veux, c’est mourir »[9].

Norma Jeane avait construit la solution « Marilyn Monroe » pour la « fille abandonnée », c’est pourquoi elle définissait le public comme « le seul foyer capable de m’accueillir »[10]. Cette solution, basée fondamentalement sur l’imagination, l’avait emmenée loin, mais elle était fragile, elle ne pouvait constituer un délire, elle ne lui permettait pas de maintenir les liens et elle disait : « En tant que femme j’ai gâché ma vie, les hommes j’ai trop attendu de moi à cause de l’image de sex-symbol (…) que je me suis fait »[11]. De plus, cela ne lui a pas permis de développer une carrière d’actrice, c’est pourquoi elle a expliqué à son professeur Lee Strasberg : « Il arrive tout simplement que je me retrouve devant la caméra et puis ma concentration et tout ce que j’essaie d’apprendre abandonnent. Moi. Alors j’ai l’impression de ne pas exister »[12].

Il s’avère qu’étant Marilyn Monroe, elle pouvait faire face au regard du monde, mais il n’y avait pas de métaphore à ce stade. Par exemple, un jour, pendant le tournage du Prince et la Showgirl, Laurence Olivier, déjà agacée par le nombre de fois qu’il devait répéter une prise, lui a crié : « Tu n’as rien à faire, sois juste sexy. » Marilyn, il a quitté le plateau en courant et a appelé Strasberg : « Que faut-il faire pour être sexy ? »[13]  Sans pouvoir s’habiller en Marilyn, les regards des autres sont devenus persécuteurs et le décor est devenu un lieu hostile. C’est pourquoi elle a raté le tournage, est arrivée en retard et s’est enfermée pendant des heures dans sa loge, en proie à l’exigence sadique d’un surmoi caractéristique de la mélancolie : elle est alors séparée de la chaîne signifiante en tant qu’objet, isolée dans sa souffrance. Il ne lui restait plus que les pilules.

Le cauchemar

En 1958, Marilyn arriva au studio tellement submergée de sédatifs qu’ils se maquillèrent pendant qu’elle dormait, et elle dut répéter certaines injections plus de 40 fois[14].

Dans l’un de ses journaux de l’époque, on retrouve son rêve le plus révélateur : elle est allongée dans une salle d’opération ; le chirurgien s’appelle Lee Strasberg et, avec son analyste, ils vont la guérir d’une « terrible maladie ». Je la cite : « Ils m’ouvrent (…) et il n’y a absolument rien (…) pas le moindre truc sensible, humain et vivant »[15].

On sait que la position mélancolique n’empêche pas le sujet de travailler avec son inconscient dans le transfert[16]. Freud avait déjà remarqué la clarté du mélancolique pour saisir sa vérité[17].

Le problème principal apparaît lorsque la position mélancolique, qui masque généralement la maladie, se transforme en états mélancoliques[18] qui mettent la vie en danger. Nous supposons ici la raison qui a motivé Marianne Kriss, la deuxième analyste de Marilyn, à l’admettre dans une clinique psychiatrique en 1961. Là, elle a brisé un miroir et a tenté de se couper le cou. Elle a été détenue dans une salle de confinement pendant des jours. En partant, il a écrit : « Mon travail est le seul espoir digne de confiance qui me reste »[19].

Marilyn a poursuivi son traitement avec le psychiatre Ralph Greenson dont la stratégie était de l’encourager à déménager en Californie et à retourner travailler le plus tôt possible. Greenson pensait, comme l’expliquait Arthur Miller, son troisième mari : « l’éloigner de son public lui a fait perdre toute son identité »[20].

En avril 1962, Marilyn commença le tournage de Something’s Got to Give. Pour la première fois, elle devrait jouer le rôle d’une mère. Le lendemain de l’essayage du costume, il a fait une overdose de barbituriques. Les studios ont décidé de poursuivre le projet, mais en 3 mois de tournage, elle n’est apparue sur le plateau que 12 jours. Jouer la comédie lui devient impossible et elle déclare à la presse : « dès que la caméra s’allume, je veux être parfaite »[21].

On voit comment dans la mélancolie, là où la jouissance phallique échoue, ce qui revient est la jouissance impérative[22]. Mais c’était une demande à laquelle elle n’avait aucun moyen de répondre. Sans le costume de Marilyn, comme dans le rêve, il n’y avait rien ; cependant, quand il était sur sa peau, il brillait comme personne d’autre. C’est seulement ainsi qu’on comprend qu’au milieu de l’enfer qu’ont été ces mois de tournage, le jour où un hélicoptère est venu la chercher aux studios de la Fox à 14 heures, elle est apparue 8 heures plus tard au Madison Square Garden avec une robe cousue sur elle. Corps chantant l’historique « Joyeux anniversaire, Monsieur le Président ».

Immédiatement de retour à Los Angeles, les problèmes ne se sont pas arrêtés jusqu’au 8 juin, dans une décision sans précédent pour Hollywood, la Fox l’a licenciée. Elle a déclaré : « Je voulais juste être une artiste et non un monstre érotique »[23]. « Le problème, c’est qu’un sex-symbol est devenu un objet, et nous détestons tous être considérés comme des objets »[24]. Bien sûr, elle ne pouvait être que Marilyn, mais cette beauté sexy qui lui a valu la renommée est devenue ce qu’elle détestait le plus. Il ne pouvait pas aller plus loin, je cite Jacques-Alain Miller : « le mélancolique pleure sur ce qui est pour lui l’impossibilité de l’invention »[25].

Le 4 août 1962, Marilyn Monroe est retrouvée morte d’une overdose de barbituriques. Jacques-Alain Miller explique que « c’est un abus de parler d’identification à l’objet dans la mélancolie (…). C’est une identité avec l’objet »[26]. On comprend que, dans un tel état, le sujet ne peut rien trouver pour suppléer ou compenser la jouissance manquante, car il est lui-même l’objet[27], qui dans le cas de la mélancolie est un pur déchet.

Marilyn a vécu tourmentée par la réalité d’une maladie mentale[28] dont la « haine de soi »[29], si fondamentale qu’elle n’en comprend pas les raisons, ne lui a pas permis de trouver une issue.

La dernière interview qu’il a donnée a été publiée deux jours avant sa mort, où il déclarait : « Disons-le clairement, il semble que j’ai une superstructure, mais sans fondements »[30].

[1] * Texte présenté au XIVe Congrès de l’Association mondiale de psychanalyse, Tout le monde est fou, Paris, 2024, qui est publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur. ? Monroe, Marilyn et Hecht, Ben. Confession inachevée, Laffont, Paris, 2011, pp. 30 – 49. 

[2] Arnold, Ève. Biographies 

[3] Wolfe, Donald. Marilyn Monroe. Enquête sur un assassinat, p. 260. Albin Michel, Paris, 1998. 

[4] Monroe, Marilyn. Entretien avec Richard Merryman publié dans Marilyn Monroe, p. 190. Taschen, Italie, 2012. 

[5] Monroe, Marilyn

[6] Miller, Jacques-Alain. Variations d’humour, Paidós, Buenos Aires, 2015, p. 97. 

[7] Wolfe, D. Marilyn Monroe. Enquête sur un assassinat, Op.cit., p. 254. 

[8] Monroe, Marilyn. Biographies  

[9] Monroe, Marilyn. Fragments, Seix Barral, Mondori, 2010, p. 163. 

[10] Monroe, Marilyn. Confession inachevée, p.57. Cité par Dalila Arpin dans Parejas Célebres, Grama, Buenos Aires, 2018, p. 91. 

[11] Ibid

[12] Monroe, Marilyn. Fragments. Op. cit. 

[13] Mailler, Normand. Marilyn Monroe, p. 184. Taschen, Italie, 2012.

[14] Mailler, Normand. Ibid., p. 198. 

[15] Monroe, Marilyn. Fragments. Op. cit., p. 99.

[16] Miller, Jacques-Alain et autres. Variations d’humeur. Paidos, Buenos Aires, 2015, p. 79. 

[17] Freud, Sigmund. « Duel et mélancolie », Œuvres complètes, Vol XIV, Amorrortu, Buenos Aires, 1995, p. 244.

[18] Ibid., p. 242 – 244. 

[19] Monroe, Marilyn. Fragments. Op. cit., p. 221. 

[20] Miller, Arthur. Retour au temps, Tusquets, Barcelone, 2010, p. 521. 

[21] Summers, Anthony. Déesse, Sphere Books Limited, Lakewood, WA, 199, p. 65.

[22] Laurent, Éric. « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Mediodicho. N˚ 44, EOL Sec. Cordoue, 2018, p. 62 – 63. 

[23] Monroe, M. : Entretien avec George Barri. Biographies .

[24] Monroe, M. : Entretien avec Richard Merryman publié dans Marilyn Monroe, Taschen, Italie, 2012, p. 190. 

[25] Miller, Jacques-Alain. « L’invention psychotique », Virtualia nº16. 2007

[26] Miller, Jacques-Alain et autres. Variations d’humeur. Op. cit., p. 155. 

[27] Miller, Jacques-Alain et autres. Variations d’humeur. Op. cit., p. 203.

[28] Miller, Jacques-Alain. Tout le monde est fou, Paidós, Buenos Aires, 2015, p. 311. 

[29] Laurent, Éric. « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Mediodicho. N° 44. Op. cit., p. 60. 

[30] Monroe, M. : Entretien avec Richard Merryman publié dans Marilyn Monroe. Op. cit., p. 190.