Dany Robert Dufour / Baise ton prochain : une histoire souterraine du capitalisme
Dany Robert Dufour :Baise ton prochain. Une histoire souterraine du capitalisme. Illustration Gustave Doré.
Les thèses ne manquent pas pour expliquer le surgissement du capitalisme et ses conséquences. Or il se trouve qu’au cours de ses recherches, Dany-Robert Dufour a eu accès à un texte sidérant intitulé Recherches sur l’origine de la vertu morale (1714). Écrit à l’aube de la première révolution industrielle, en complément de la fameuse Fable des abeilles, ce texte clé a infusé toute la pensée économique moderne, d’Adam Smith à Friedrich Hayek.
Fini l’amour du prochain ! déclare Bernard de Mandeville. Il faut désormais s’en remettre à ceux qu’il appelle « les pires d’entre les hommes », ceux qui veulent toujours plus quels que soient les moyens employés.
Trois siècles plus tard, il s’avère qu’aucune autre idée n’a autant transformé nos vies. Le monde est infiniment plus riche. Mais le prix à payer en est exorbitant : aggravation des inégalités et altération des conditions de vie sur terre. Dans cette fine analyse, Dany-Robert Dufour décèle toutes les failles d’un système qui a longtemps montré sa supériorité, mais qui pourrait bien nous faire tout perdre aujourd’hui.
« Cet essai résulte d’une sidération. Celle qui m’a saisi lorsque je suis tombé sur un écrit aujourd’hui oublié, «Recherches sur l’origine de la vertu morale »de Bernard de Mandeville. C’est en 1714, à l’aube de la première révolution industrielle, que Mandeville, philosophe et médecin, a publié ce libelle sulfureux, en complément de sa fameuse «Fable des abeilles». Cet écrit est le logiciel caché du capitalisme car ses idées ont infusé toute la pensée économique libérale moderne, d’Adam Smith à Friedrich Hayek.
Fini l’amour du prochain ! Il faut confier le destin du monde aux “pires d’entre les hommes” (les pervers), ceux qui «veulent toujours plus», quels que soient les moyens à employer. Eux seuls sauront faire en sorte que la richesse s’accroisse et «ruisselle» ensuite sur le reste des hommes. Et c’est là le véritable plan de Dieu dont il résultera un quasi-paradis sur terre. Pour ce faire, Mandeville a élaboré un art de gouverner – flatter les uns, stigmatiser les autres – qui se révélera bien plus retors et plus efficace que celui de Machiavel, parce que fondé sur l’instauration d’un nouveau régime, la libération des pulsions. On comprend pourquoi Mandeville fut de son vivant surnommé «Man Devil» (l’homme du Diable) et pourquoi son paradis ressemble à l’enfer.
Trois siècles plus tard, il s’avère qu’aucune autre idée n’a autant transformé le monde. Nous sommes globalement plus riches. À ceci près que le ruissellement aurait tendance à couler à l’envers : les 1 % d’individus les plus riches possèdent désormais autant que les 99 % restants. Mais on commence à comprendre le coût de ce pacte faustien : la destruction du monde. Peut-on encore obvier à ce devenir ? »