José Ramón Ubieto / Psychopathologie du Sauveur
Publié sur le site de Catalunya Plural. Barcelone. Traduit de l’espagnol.
L’histoire récente regorge de politiciens sauveurs, comme Trump, Poutine, Orban, Bolsonaro, Milei ou — plus local — Aznar, Abascal ou Ayuso. Ils ont tous teinté l’horizon en noir afin que l’on puisse clairement reconnaître leur aura à leur arrivée.
Apokalypsis — en grec — signifie une révélation. Une vérité qui apparaît comme une révélation pour qui sait l’écouter. L’histoire de l’apocalypse est sans aucun doute l’une des plus anciennes histoires racontées par les humains. Dans les anciennes traditions religieuses au-delà du christianisme, notamment le judaïsme, l’islam et le bouddhisme, ce récit commun émerge dans les moments de crise sociale et politique, lorsque les gens tentent de gérer des événements choquants.
Son succès réside dans le fait qu’il combine énigme, peur et destruction, ingrédients clés pour attirer le regard de nombreuses personnes qui se sentent désorientées et menacées par la rupture imminente de leur statu quo. Ce récit est donc utilisé en politique comme une arme de manipulation de masse. Sa méthode d’utilisation comporte deux étapes.
La première consiste à propager le malheur à venir en utilisant certaines techniques de narration. Il commence par proposer des données décontextualisées pour établir des causalités inexistantes. On dit par exemple que l’existence de groupes séparatistes minoritaires (en termes absolus) — avec leurs initiatives citoyennes ou partisanes — provoquera la rupture d’une unité plus large qui les englobe. Sachant par ailleurs que l’histoire s’entête à nier cette hypothèse. Ce qui est une simple corrélation (il existe l’Un et le multiple) s’explique en termes causals. On sait que le coq chante quand le soleil se lève, mais personne ne croit sérieusement que le soleil se lève parce que le coq chante. Une fois l’erreur établie, des solutions simples à des problèmes complexes sont alors proposées, ignorant les causes structurelles et mettant en évidence uniquement ce qui est frappant, souvent superficiel. Les déclarations d’une personnalité politique deviennent présages de désastre, cachant ainsi le grave problème qui reste latent (inégalités sociales, privilèges maintenus, abus occultes, corruption). Tuer le messager nous épargnerait les conséquences de son message. Et au fait, écoutez ce que dit l’inconfort symptomatique. C’est une manière contemporaine de ne pas vouloir savoir et de remplacer la question par la réponse de l’ordre et du commandement.
Une fois le scénario apocalyptique dessiné — et photocopié jusqu’à la nausée — la deuxième étape consiste à proposer La Solution, en majuscules, car il n’y en a qu’une (l’unique meilleure voie), grande (universelle) et, semble-t-il, gratuite. C’est là que se démarque la figure du sauveur qui revient, comme Jésus, pour sauver les croyants de cette période de tribulation qui annonce l’apocalypse. L’histoire récente regorge de politiciens sauveurs, comme Trump, Poutine, Orban, Bolsonaro, Milei ou — plus local — Aznar, Abascal ou Ayuso. Ils ont tous teinté l’horizon en noir afin que l’on puisse clairement reconnaître leur aura à leur arrivée. Le sauveur est un élu qui ne peut concevoir de ne pas être et c’est pourquoi il doit éliminer tout obstacle, peu importe qui tombe. Il se sent concerné par une mission et — oint et poussé par lui-même — s’annonce avec des paraboles et des indications pour ses disciples, comme un enseignement moral (« celui qui est capable, laisse-le faire… »). Il se considère comme le fils d’une éthique de convictions fortes, loin de l’opportunisme. Ce qui ne l’empêche pas de jouir de ses propres possibilités.
Freud et Lacan souligneraient ici le triomphe de la religion, qui retourne à ses origines herméneutiques. Ils nous invitent à une autre lecture de la réalité : la penser comme des questions à résoudre (sociales, territoriales, culturelles) et non comme des problèmes à résoudre faussement, une fois pour toutes. Cela nécessite une action pragmatique, collective et non pas tant un sauveur. Venant du grec, la pragmatique fait référence à l’efficacité et à l’expertise dans la négociation d’une question. Pour y parvenir, il faut parvenir à un consensus et avoir le courage de gérer la complexité et les différences.
José R. Ubieto. Psychologue clinicien et psychanalyste. Professeur à l’UOC. Membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse