Daniel Cassini / Les tiques de la psychanalyse
Illustration: une représentaion d’ Ubu Roi (1964) d’Alfred Jarry.
La psychanalyse n’a pas que des amis. Elle a même beaucoup d’ennemis. Ses ennemis « sont légions » qui, depuis la fondation de la psychanalyse par Sigmund Freud, voudraient la voir disparaître, crever pas moins.
Tout au long de son histoire la psychanalyse n’a pas seulement été critiquée — ce qui se conçoit parfaitement, tout ce qui existe méritant de l’être, arguments à l’appui — elle a été vilipendée, honnie, moquée, dénigrée, laminée, méprisée, jetée aux orties de la science, vouée aux gémonies marxistes et j’en passe.
Régulièrement des revues, des hebdomadaires, des articles, annoncent sa disparition prochaine, sa mort, son manque d’intérêt, d’efficacité, dépassée que serait la méthode psychanalytique par les découvertes sur le cerveau qui montrent, images à l’appui, son inanité, celui de l’Inconscient qu’il soit de Freud ou de Lacan.
Last but not least, un philosophe qui écrit plus vite que son ombre a officialisé dans un livre événement la chute de l’idole Freud, se faisant le contempteur du maître Viennois, organisant son procès à l’aide de révélations et de ragot moisis.
Le philosophe justicier ne s’est pas aperçu que c’est son procès et non celui de Freud qu’il instruisait pour les jurés de ses lecteurs qui savent encore lire. « Nul renom de lui par le monde ne reste, miséricorde et courroux le dédaignent ; ne devisons point de lui regarde et passe », écrit Dante dans l’Enfer de sa Divine Comédie.
Aujourd’hui, le Réseau étreint la planète et la comprime dans ses replis informatiques de façon à exercer un contrôle inexorable sur les parlêtres.
La psychanalyse et son dispositif vintage : fauteuil, divan, écoute, parole, interprétation demeure envers et contre tout et tous l’un des derniers lieux de résistance face au déferlement de la communication à gogo aux ordres de la marchandise et de son commandement surmoïque premier et ultime : jouir ! tu peux, tu dois jouir sans limites.
Comme si ce n’était pas assez l’invention de Freud est depuis son origine en proie à ce que je nomme du terme peu flatteur de tiques de la psychanalyse.
Les tiques sont ces acariens répandus dans la nature et qui, attirés par le sang chaud, animal ou humain, s’incrustent et s’enfoncent dans l’épiderme des animaux, parlant ou pas, pour les parasiter, en tirer la substance vive, jusqu’à provoquer des maladies graves, invalidantes, mortelles parfois.
J’appelle tiques, quand il ne s’agit pas de ces hideux acariens minuscules tapis sur les arbres ou dans les hautes herbes, l’ensemble des techniques parasites qui prolifèrent autour et à l’intérieur du corpus de la psychanalyse tel que théorisé par Freud, Lacan et d’autres hardis pionniers et continuateurs.
Tiques les psychothérapides, tiques les psychothérapies de tous poils, chaque jour en voit surgir de nouvelles, tiques que cognitivisme et consorts, tiques du développement personnel.
Celles et ceux qui fréquentent encore les librairies se sont aperçus que le rayon auparavant dévolu aux ouvrages de psychanalyse s’était réduit comme peau de chagrin quand il n’avait pas complètement disparu au profit de l’ensemble de ces livres qui font rêver les foules peu regardantes : Jamais seul, Je me connais enfin, L’amour en treize leçons, Même plus peur, J’affronte la vie en vainqueur, Je réussis tout ce que j’entreprends. À moi le bonheur, Le succès à votre portée, Rien d’impossible pour qui le veut…
« Pantins, pantins, pantins, voulez-vous de ces beaux pantins de bois coloriés », écrivait le 18 août 1917 Jacques Vaché à son ami André Breton.
Moins poétique, mais plus encore ravageur ce constat sans appel de Hegel qu’il s’agit de rapporter ici en raison du grand nombre de nécessiteux : « À voir ce dont l’esprit se contente, on mesure l’étendue de sa perte. »
L’éthique de la psychanalyse ou les tiques accrochées à ses basques ?
Tu peux encore choisir.
« À mon seul désir », est-il écrit en haut du bandeau de l’une des tapisseries de la Dame à la Licorne, ouvrages datant du début du 16e siècle.
Une autre époque qu’il s’agit de considérer à la hauteur de sa devise sous peine de voir la barque du désir se briser contre les récifs de la vie quotidienne soumise aux diktats des algorithmes et aux tiques, tic, tics et tics qui contribuent au Grand décervelage cher à Ubu Roi étendu à l’infini par son digne successeur le Marché Global.
« Cornegidouille ! »
« Décervelez, tudez, coupez les oneilles, arrachez les finances et buvez jusqu’à la mort, c’est la vie des Salopins, c’est le bonheur du Maître des Finances. »