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Jean-Jacques Tyszler / Hospitalité et exil

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Texte publié dans la Newsletter de la FEP du mois de mai 2024. Illustration: Hospitalité-levalet-reims-street-art-art-urbain-artistik-rezo-paris

 

Il y a tout juste un mois se tenait à la maison de l’UNESCO à Paris la journée annuelle sur l’exil que notre centre médico psychopédagogique organise avec la psychiatrie adulte en collaboration avec les centres d’accueil des demandeurs d’asile d’Île-de-France.

Beaucoup de solidarités institutionnelles se manifestent à l’occasion de ces rencontres et nous avons pu entendre des collègues engagés sur ce terrain, aussi des praticiens de Bruxelles et la directrice générale de France Terre d’Asile qui nous a prévenus des tristes conséquences des nouvelles dispositions de la Loi sur l’immigration.

Ceci est vrai en Italie, en Espagne et plus généralement en Europe : l’Étranger n’est pas le bienvenu.

Le climat de guerres et de barbaries que nous vivons y ajoute encore.

Le serment du médecin comme l’éthique du psychanalyste ne peut se concevoir sans le mot d’« hospitalité ».

Il appartient davantage au vocabulaire de la philosophie ; l’ouvrage « Folie de l’hospitalité » de Mathieu Bietlot (Couleur livres, Belgique) en suit le fil chez Emmanuel Kant, Levinas, Derrida… et nous rappelle surtout le message antique : l’Odyssée est un des premiers écrits sur l’hospitalité ; Ulysse est accueilli tout au long de son périple ; on ne lui demande pas de justifier de son identité ni les raisons de sa migration ; il est désaltéré, nourri, on le lave et on lui propose même à l’occasion des plaisirs…

Du point de vue du signifiant, l’équivoque résume tout : l’hôte est à la fois l’accueillant et l’accueilli.

En latin hospes, l’invité et hostis, l’ennemi sont reliés par le verbe hostire, rendre la pareille. Les associations de psychanalyse ne prennent pas toujours la mesure de cette clinique « nouvelle » et participent peu au débat engendré sur la laïcité par exemple.

À cet endroit pourtant un travail de praxis analytique peut se raconter :

Peut-on en même temps transformer l’irreprésentable, les traumatismes et les deuils enchâssés, et ouvrir pour l’enfant le champ des identifications ?

Pas seulement l’identité à soi-même ou nationale !

Les familles qui nous viennent de l’exil ont toutes des religions, des croyances et des coutumes. Nous citons souvent la force et la fierté de ces Kurdes syriens qui nous parlaient de leurs fêtes, de leurs chants, de leurs danses et nous amenaient plats traditionnels et gâteaux.

Nous avons à respecter cette identification « collective », tout comme Freud pourtant très anti- religieux, rappelait son trait de judéité.

Depuis plusieurs années nous réunissons les enfants, quelle que soit leur origine, autour de la lecture de la Mythologie grecque, façon de déposer un moment leur mémoire traumatique pour une autre mémoire, véhiculant son lot de destructivité aussi, jamais sans lien néanmoins avec quelque amour : Thanatos et Éros…

Cet atelier sur les grands récits prépare la chance de l’individualisation, du trait en pointillé à l’horizon, un talent, une créativité, une passion… un désir propre au sujet.

Le Mythe le raconte lui-même (cf. les « feuilletons » de Muriel Szac, pour la jeunesse) :

« Soudain la voix de Chiron retentit aux oreilles d’Artémis :

L’homme a deux pieds, parce qu’en réalité il a deux racines. La première s’enfonce profondément dans le sol où il est né ; rien ne peut jamais la déraciner.

L’autre se fixe là où il a choisi de vivre ; celle-ci sera plus lente, plus longue à se faufiler dans la terre.

Mais elle peut s’accrocher, à jamais elle aussi.

Artémis savait qu’une troisième racine venait de lui pousser. Elle se leva lentement et se mit à danser sous les étoiles ».

Tout est merveilleusement dit : les identifications et la chance du point d’idéal. C’est notre mission sacrée auprès des enfants.

Désigner l’étranger comme la cause de tous nos malheurs nous rappelle des moments sombres de l’Histoire française : exclusion des étrangers de la profession de médecin en 1933, toute une série de mesures racistes et antisémites suivra.

Nous avions organisé dans le cadre de la Société de psychanalyse freudienne un colloque sur Histoire et psychanalyse avec des historiens soucieux de la psychopathologie et de la psychiatrie. Il nous faudra poursuivre pour éclairer le Malaise dans la civilisation aujourd’hui.

Hospitalité et psychose

Si depuis plusieurs années nous faisons de l’accueil des enfants de l’exil un point d’acte, la question de l’hospitalité doit également s’entendre, dans le champ de la psychiatrie, comme concernant la maladie mentale, la psychose. Il n’est pas possible d’effacer l’aventure de la « psychothérapie institutionnelle » et François Tosquelles, psychiatre espagnol, au centre hospitalier de Saint-Alban.

L’asile devint lieu d’abri pour des résistants et en même temps lieu d’ouverture et de fraternité pour les patients avec les soignants, les fermiers du village… des artistes et écrivains.

Jean Oury et Félix Guattari poursuivirent à la clinique de La Borde ce vœu d’hospitalité. Comme résumait Jean Oury : « Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie ».

Il faudrait évoquer longuement l’expérience italienne avec Franco Basaglia et le remplacement des hôpitaux par des services communautaires ; comme pour l’exilé c’est la question cruciale de l’intégration dans la Cité qui se pose. (Cf. Folie de l’hospitalité de Mathieu Bietlot qui renseigne aussi sur la Belgique).

Il nous faut également rendre hommage aux psychanalystes, qui comme Marcel Czermak, ont su garder et transmettre une écoute à ce que dit le malade, à ce qu’il énonce et que nous peinons à entendre.

Les prochaines journées de l’école psychanalytique de St Anne reprendront la question qu’il nous lègue : « Qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? ».

Marcel Czermak était fait de cet alliage psychiatre et psychanalyste, chacun des termes ne pouvant s’entendre sans l’autre.

La pente scientiste de la psychiatrie de l’adulte et de l’enfant ne doit pas nous faire renoncer : jamais le deuil ou le traumatisme ne se réduiront à un trouble neurologique du développement !

De l’hospitalité encore « quand l’art rencontre la psychanalyse »

Saluons la belle exposition Lacan au Centre Pompidou de Metz. Des œuvres d’art soulignent et prolongent des opérateurs cruciaux de Lacan : le stade du miroir, les objets a, la jouissance, le Nom du Père… etc.

Le visiteur, même non spécialiste, y découvre une psychanalyse créative et le public est au rendez-vous.

Les commissaires de l’exposition, historiens de l’art et psychanalystes, annoncent avec simplicité la nécessité de penser et de lire l’inconscient dans notre actualité.

Ainsi sur l’anatomie comme « destin », Jacques Lacan est présenté comme ouvrant une position moins normative et « l’identité » sexuelle est déclinée au gré de représentations variées.

Un peu le fil, à notre avis, que notre collègue Daniel Sibony tisse dans son dernier ouvrage « L’Entre-d’eux sexuel ».

Comme le rappelle l’exposition, le Nom du père prendra un jour un énigmatique pluriel : les Noms du père puis Lacan glissera vers l’ironique « les non dupes errent ».

Il y a toujours à inventer.