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Jean-Jacques Tyszler / Ne pas céder au « déclinisme » dans la psychanalyse

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Éditorial de la Newsletter de la FEP (Fédération Européenne pour la Psychanalyse) de juin 2023. Image Facebook Les photovores

De colloque en colloque une inquiétude nous est venue : l’annonce de la disparition de notre discipline, la psychanalyse ne fait-elle pas symptôme entre nous, les praticiens ?

Il est sans cesse répété que le monde contemporain tourne le dos à l’inconscient, que les sciences dures et la technique prennent le pas dans des théories du comportement et du biologique. Que cela est inéluctable.

Ce diagnostic se double souvent d’un jugement caricatural sur l’état de la jeunesse qui aurait perdu tout rapport à l’autorité et à la verticalité et dont les luttes émancipatrices sont perçues comme des atteintes au « signifiant Maitre ».

Peu de place pour Freud ou Lacan dorénavant ?

Un constat lucide s’impose : le divorce s’est effectivement accéléré entre la psychiatrie et la psychanalyse. Nous sommes loin de l’ambiance que nous avions connue dans le service de Marcel Czermak à l’hôpital Sainte Anne avec cette extraordinaire attention aux dires des patients psychotiques, le croisement aussi du trésor de la clinique classique, franco- allemande pour l’essentiel, avec la découverte freudienne.

L’exercice du « trait du cas » est encore honoré dans l’école psychanalytique de Sainte Anne, mais bien de services de psychiatrie se tournent exclusivement vers des pratiques d’accompagnement social et des prescriptions de psychotropes.

La souffrance des équipes vient en priorité du manque d’effectif, la pénurie de psychiatres et d’infirmiers, mais aussi au style de l’hôpital = entreprise avec sa bureaucratie, ses ordres chiffrés, ses statistiques, ses indicateurs, ses objectifs/résultats au détriment du temps d’écoute et de parole.

Gardons-nous de tout fatalisme néanmoins. Comme beaucoup nous avons pu apprécier le film de Nicolas Philibert « Sur l’Adamant » : cette péniche en plein cœur de Paris, amarrée non loin de Bercy est un hôpital de jour qui résiste formidablement à la déshumanisation croissante en psychiatrie.

Ce film qui a été primé au festival de Berlin nous indique, comme l’avait déjà souligné l’audience incroyable de la série « En thérapie » sur Arte, que la Cité n’a pas renoncé à préserver la place des maladies de l’âme et que la lecture des rêves, des fantasmes et autres délires n’est pas lettre morte.

Sans les mettre en comparaison il faut rappeler que bien des services honorent encore la « psychothérapie institutionnelle » sous des formes variées, que la pédo=psychiatrie reste très inventive, dans la prise en charge du tout petit par exemple et que la psychopathologie générale n’est pas méconnue dans le monde de l’éducation, dans celui des armées avec la question du traumatisme et dans la police aussi pour l’abord des crimes sexuels en particulier.

Les psychanalystes ne sont pas réduits au village d’Astérix et nous souhaitons garder en mémoire le colloque sur « Le passage à l’acte et les violences », organisé par la FEP à Caen, qui a réuni plus de 350 participants, de Normandie pour la plupart et dont une publication est sortie aux éditions du Retrait.

Un prochain colloque fera suite : « La violence, le sexuel, l’interdit de l’inceste. Approche psychanalytique et psychopathologique » pour continuer à débattre de problèmes sociaux majeurs comme l’inceste, les violences sexuelles sur les enfants, celles sur les femmes et autres déclinaisons de la haine de l’altérité.

Déclin du Nom-du-père ?

Le second point que nous souhaitons mettre en congruence est le discours de déclin que certains accordent à notre époque, à nos jeunes, en s’appuyant, dans un contre sens, sur le propos de Jacques Lacan sur le « déclin du Nom du Père ».

Nous ne pouvons que résumer : dans son texte « Les complexes familiaux », publié en 1938, Lacan parle du « déclin de l’imago paternelle », une personnalité du père toujours carente, absente, humiliée… Cette thèse s’appuie sur les travaux d’Émile Durkheim, très disputés depuis, concernant la présence harmonieuse, mais regrettée d’une main patriarcale virile indiscutée dans notre culture.

Le Lacan des années 1950 dépliera « le Nom-du-père » en s’appuyant sur Lévi-Strauss dorénavant et c’est la fonction symbolique qui est mise en avant et non plus les variations nombreuses du « père de famille ».

Mais au moment du nœud borroméen et du séminaire RSI un nouveau tournant crucial se propose : Lacan tourne le dos au monomorphisme théologico-politique du Nom-du-père ; il propose la pluralité, les noms-du-père puis tout simplement le nouage des trois catégories anthropologiques, le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire.

Les appuis du langage sont multiples et se transforment suivant les cultures et les époques. La langue invente, poétise sans cesse, crée du signifiant nouveau, des métaphores nouvelles, la langue se défend des négations et des refus qui réduisent le signifiant au signe.

Nous devons également comme nous le faisions avec la psychose accueillir ce qui nous semble étranger, comme la richesse de la clinique de l’exil, qui n’est pas que douleur et polémique, mais qui nous enseigne sur la variété, les couleurs du désir humain.

Ouvrir la psychanalyse sans anathème

Si elle veut rester populaire la psychanalyse doit en finir avec ses microscopiques querelles de chapelles pour initiés.

Nous avons déjà mis en valeur les rapprochements nécessaires entre les différentes branches de la tradition psychanalytique ; ainsi le livre collectif « Rêver et imaginer avec Bion et Lacan » chez érès ; l’imaginaire, les rêves, les fantasmes, les récits et les mythes sont mis au travail dans les cures d’adultes et les cures d’enfants et nous tirons profit du « playing » de Winnicott, de la « play technique » de Mélanie Klein, du « dreaming » de Bion… des « suppléances et “raboutages » de Lacan.

La psychanalyse doit rester fidèle en se transformant.

Des auteurs reviennent au goût du jour comme Sandor Ferenczi ; la Société de Psychanalyse Freudienne a consacré des journées et un ouvrage à Joyce McDougall…

Il n’y a pas à se déclarer en état de mort imminente, mais plutôt à rendre visible nos travaux, nos questions, nos erreurs parfois, nos avancées aussi dans le champ de la clinique et de la pratique.

La Fondation Européenne pour la Psychanalyse est connue pour son intérêt aux questions sociales et nous ne méprisons jamais les luttes et les mouvements d’émancipation.

Conjoindre la cure individuelle et notre présence dans la Cité est notre défi.