Contributions

Jean-Louis Rinaldini / Parlez-moi d’amour

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Texte paru dans les actes du séminaire de l’aefl 1997/1998
 Clinique sociale clinique individuelle
Image Marcia Schvartz

Disons-le d’emblée :

Il est de la violence sociale. Il est de l’exclusion.

Et les idéologues de la pureté ethnique occupent à nouveau le haut du pavé…

L’hostilité est de tous les temps.

Et pourtant « hostile » comme « hospitalité », le pouvoir d’être hôte (2 sens) vient de hostem qui veut dire étranger : l’hôte accueille l’étranger parce qu’il est maître symboliquement, donc il se dispense d’affirmer sa maîtrise, de la faire sentir puisqu’elle est inscrite dans les lieux, dans le rapport aux lieux. Il n’a pas peur de la perdre, il n’a pas peur de l’étranger, il n’est pas xénophobe. Être hospitalier ce n’est donc pas faire les simagrées d’une réception. Ça se place sous le signe d’un certain amour de la rencontre. Alors que dans le trait raciste, ce dont il est question c’est de l’envie de la trique du père, ou du rêve d’une mère qui n’accueillerait que ses petits.

Se profilent dès lors la question du Père et de la Mère, de leur intrication, de la place de l’Autre, de la consistance que l’on entend y donner, si on veut bien entendre que l’Autre est ce lieu d’où revient au sujet le discours qu’il tient (qui le tient).

Il se pourrait que la grande trouvaille de Freud tienne dans cette mauvaise nouvelle qu’il a apporté aux humains : l’homme est porté par quelque chose de lui qui lui est inconnu, étranger. I1n’est pas intégré à lui-même, et ce à cause d’un écart qui s’appelle 1’inconscient. Cela n’empêche pas d’essayer d’intégrer, de s’intégrer à condition d’être en mesure de supporter que ça échappe. C’est justement ce que l’intégriste supporte mal, et il compense cette angoisse par le culte de l’intégral, variante du totalitarisme, passage à l’acte d’une main mise sur l’origine. Il s’agit bien d’un jeu de distances, être à la bonne distance, de savoir tenir la distance.

Petite illustration : Dans le domaine du sacré ce jeu des distances est ponctué de rituels, de sacrifices, avec partage de nourriture. On dit qu’on mange Dieu ou le Père primitif, c’est possible mais on y consomme aussi son absence. Lorsque le Dieu biblique avertit son peuple élu : si vous suivez mes préceptes, si vous vous conduisez bien j’enverrai 1a pluie en son temps, vous mangerez et vous serez rassasiés, ça signifie vous serez rassasié côté gueule, vous n’aurez pas besoin de vous bouffer entre vous. Et il ajoute si vous violez mes préceptes alors vous m’aurez à demeure : présence hostile et permanente de l’être comme tel. En somme si l’Autre est totalement là, on est totalement altéré. Donc 1’intégration à soi et des autres vise à tenir un certain lien différentiel. On voit la difficulté face à cette plainte, avant au moins il y avait de l’Autre, maintenant il n’y en a plus. La peur des pays riches de voir des autres infiltrer doucement les frontières : c’est 1’angoisse devant 1a fécondité de 1’Autre, sa prolifération originelle. Ça fait dire on n’est plus chez nous, et la conséquence c’est de vouloir répondre par des replis identitaires où 1’identité serait définie par des facteurs « originels » : 1e sang, 1a terre, 1’Ancêtre.

Or ce qui doit être intégré c’est un vide, un vide qui est le vide de l’origine.

Je pense que ces quelques remarques qui peuvent apparaître décousues balisent bien notre propos autour de la question de la clinique sociale et de la clinique individuelle.

I PARLER DE CLINIQUE SOCIALE EST-CE PERTINENT ?
  • La psychanalyse et le politique

Alors de quelle prétention pouvons-nous nous prévaloir pour parler de clinique sociale ? La psychanalyse n’est-elle pas avant tout destinée à connaître et à secourir les destins particuliers des sujets en souffrance plutôt que de s’intéresser à ce qui pourrait être une psychopathologie de la vie sociale serait-elle quotidienne.

C’est une évidence : durant des décennies, et malgré les écrits de Freud et notamment ceux qui nous occupent cette année, le domaine du politique dans le microcosme analytique a relevé de l’indicible sinon de l’impensé.

Le résultat fut dramatique à plus d’un titre. Faute de s’interroger sur l’articulation du symptôme social à la problématique singulière du sujet, faute de considérer ce qui dans le discours, dans les replis mêmes du dit de l’analysant était marqué de l’Histoire et de ses effets, les psychanalystes ont développé une remarquable surdité sélective quant à cette dimension.

Cette méconnaissance on le sait provoqua une réaction, et ce fut Wilhelm Reich et quelques-uns de ses contemporains ou de ses épigones plus ou moins tardifs qui, par leurs écrits, dévoilèrent la vérité d’un déni porté par le milieu analytique à l’endroit du politique.

Mais ce dérapage reichien a aussi servi d’alibi à tous ceux qui considèrent l’articulation de la psychanalyse à la politique comme un piège mortel pour la théorie que nous a transmise Freud. Je considère avec beaucoup d’autres que cette errance tend à dénier ce qui fait lien dans l’inconscient.

Puisque ce qui fait lien c’est l’ordre symbolique tel que la langue et la parole l’énoncent : il est de l’Autre je le disais tout à l’heure. C’est aussi ce qui permet aux pulsions de vie de s’intriquer à la pulsion de mort. A condition de bien voir que la pulsion de mort ne peut être entendue que dans une opération d’intrication sans laquelle elle serait confondue avec la destruction.

Vous savez que la pulsion de mort a suscité une bataille dans le milieu analytique… certains allant jusqu’à considérer cette théorie freudienne comme une fable. N’est-ce pas parce qu’ils n’entendent pas les notions de lien et de déliaison pulsionnelle qu’ils se trouvent réduits à considérer la pulsion de mort comme une pure illusion ?

La pulsion de mort c’est cet amour de disparaître qui résulte de cette rencontre première que le sujet fait lorsqu’il se heurte au langage. La langue maternelle lui assigne une place qui, s’il s’y conforme par amour, fait disparaître sa particularité : le désir qui lui donne vie est aussi celui qui nie son existence. La pulsion de mort est ainsi le premier rendez-vous que l’amour nous assigne lorsque nous naissons et seul le symptôme ou l’acte créatif nous permettent de surseoir à ce que cette rencontre a de mortel.

Dès lors, il ne sera pas étonnant de constater que ceux qui méconnaissent ce processus sont les mêmes qui tentent de placer le politique hors du champ de la théorie freudienne.

L’hypothèse sur laquelle il faut travailler c’est celle qu’un système symbolique (social) correspond à une structuration spécifique du sujet parlant dans l’ordre symbolique. Dire correspondre élide la question de la cause et de l’effet : est-ce le social qui est déterminé par le subjectif ou vice versa ?

  • Le dedans est à penser comme un dedans du dehors

C’est donc très tôt et notamment par ce texte de Freud mis en travail cette année, Psychologie des foules et analyse du Moi, que Freud nous invite à saisir que le modèle qu’il construit pour appréhender le fonctionnement de l’appareil psychique est compréhensible à partir de ce qui s’organise dans le social.

Page 191 :

Nous devons en conclure que la psychologie de la foule est la plus ancienne psychologie de l’homme ; ce que nous avons isolé en tant que psychologie individuelle, en négligeant tous les résidus de foule, ne s’est dégagé que plus tard de l’ancienne psychologie des foules, progressivement, et pour ainsi dire d’une manière qui n’a jamais été que partielle.

Autrement dit, interroger le politique revient à considérer ce qui, dans le social d’une part, et chez le sujet d’autre part, est à l’œuvre en termes de lien. Cela nous oblige non plus à penser en termes de dedans et de dehors mais en dehors du dedans et en dedans du dehors.

Être attentif dans notre pratique analytique à ce passage entre l’en-dehors et le dedans, à ce point de nouage entre le politique (le type de liens à l’autre) et le sujet, nous semble relever de l’éthique de la psychanalyse.

D’autant que singulièrement, dans le cadre du transfert, s’il existe une spécificité de l’analyste, c’est de représenter, non pas un autre sur lequel il serait possible de se tromper, mais le quelqu’un de tous les autres, celui avec lequel la méprise est licite. Avec lui, l’erreur sur la personne va de soi par le jeu des identifications, et dans ces conditions, elle peut s’analyser. Ce n’est pas un interlocuteur absenté dans son silence qu’il incarne, mais la présence de quelqu’un d’autre et c’est ainsi qu’il supporte cette part de la parole qui s’adresse à l’inconnu.

Cela nous lance sur cette deuxième question du lien amoureux et du lien social.

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