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Gérard Pommier / Il n’y a pas assez de rapports sexuels

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Texte repris de la Newsletter de la FEP Novembre 2022
Image « Le Totem » Georges Bataille – 1946.

« Il n’y a pas assez de rapports sexuels » est son titre un peu provocateur, mais il correspond à une réalité : sous toutes les latitudes, la sexualité est cette obsession qui organise les échanges, comme Levi Strauss l’a montré. Il semble que Lacan ait pris cette réalité à contre-courant en déclarant « il n’y a pas de rapport sexuel ». Je crois que pour le comprendre il faut d’abord considérer la fonction du désir.

J’aurais peut-être dû prendre comme titre que la cause du désir, c’est l’orgasme. Lacan n’en a jamais parlé contrairement à Freud qui l’a considéré comme une formation de l’inconscient, en particulier dans son texte « Dostoïevski et le parricide ». L’orgasme est ce moment explosif de sortie de la famille, c’est l’occasion d’échapper aux griffes du père. Par exemple dans la mélancolie, lorsqu’un père non parricidé et intériorisé pousse au suicide, les électrochocs provoquent un équivalent orgastique qui libère.

Mais je vais d’abord dire un mot de plus sur la fonction du désir : le désir cherche la libération d’un traumatisme passé dans la première enfance : il répète, mais à l’envers ; il rejoue le passé traumatique du premier désir incestueux de l’enfance mais en retournant le scénario pour se donner le beau rôle. Par exemple un petit garçon qui aime jouer avec des allumettes deviendra plus tard pompier. Ou encore une petite fille séduite deviendra plus tard séductrice. Un enfant battu voudra devenir père plus tard. Un enfant élevé sous sa mère deviendra psychanalyste quand il sera plus grand pour la soigner s’il en est encore temps.

Le désir naissant n’a pas d’objet : la vision d’un pied, de beaux cheveux, de seins bien arrondis ne suffit pas pour l’exciter : les formes ne suffisent pas pour le Déclencher. L’érotisme humain ne ressemble en rien à celui des animaux : le nôtre est bestial. Il n’obéit pas aux lois biologiques de la fécondité. Le désir court de répétition en répétition tout au long de la vie. Il change le scénario au fur et à mesure qu’il entre dans un nouvel âge. Il ne joue pas la même comédie lorsqu’il était enfant et quand il devient père de famille. En somme le désir cherche à se libérer d’un passé qui n’est pas encore passé : il retourne en arrière pour ouvrir la porte du futur. Et lorsque le futur devient présent, sa mise en scène se renouvelle. Le désir est divisé, celui de l’enfance cherche à se libérer à l’âge adulte. Cela fait deux corps en un. Une régression commande la progression. Pourquoi ce mouvement de balancier ?

C’est que le premier le premier désir est incestueux d’abord avec la mère puis il est relayé par l’angoisse d’un inceste avec le père : voilà le traumatisme sexuel principal, c’est le « désir “Du” père ». Cette formulation ignore qui désire qui ; en tout cas l’enfant désire sûrement son père comme le montre le fantasme « un enfant battu » … Et le père désire occasionnellement s’il est tenté par la pédophilie. Pour échapper à ce danger, les enfants pratiquent une troisième sorte d’inceste — universel — qui se joue entre frères et sœurs ou avec une cousine, une voisine etc. Cela se passe comme ça depuis le paradis : Eve a le même père qu’Adam et ils sont frères et sœurs… Avant de devenir homme et femme. Le péché originel, c’est l’inceste frère/sœur qui déteint sur le rapport sexuel homme/femme. À l’heure de l’exogamie adulte, le rapport d’enfance frère/sœur va se décalquer sur le rapport homme/femme : un jour ça marche bien et le lendemain pas du tout. C’est en quelque sorte le mouvement alternatif des amours humaines qui est marqué au fer rouge par un interdit qu’il faut transgresser : c’est alternativement une source d’inhibition ou alors une passion brusque se déclenche. Et cela se balance entre interdit de l’inceste et transgression. Il est certain qu’Il n’y a pas de rapports sexuels » dans l’enfance à cause de l’interdit de l’inceste dans la marmite familiale. Et cette négation se répète sporadiquement à l’âge adulte. Faire l’amour est l’issue de secours « adulte » obsédante de la sexualité angoissante de la première enfance. L’orgasme est le moment d’échapper à la famille, c’est un équivalent du parricide comme l’a montré le texte de Freud sur Dostoïevski. D’ailleurs Lacan s’est rattrapé lorsqu’il a dit « qu’il n’y a de rapports sexuels qu’“entre les générations”. Voilà ! C’est exactement ça ! Car il faut comprendre que dans la vie ordinaire les générations se sur- imposent en un seul corps dans la vie actuelle : une femme est en même temps une petite sœur. Un homme peut représenter un frère ou un père. D’où les embarras de la sexualité qui est pourtant obsédante pour sortir de la marmite familiale. L’excitation érotique de l’être humain occupe l’esprit le jour et la nuit parce qu’elle cherche à fuir l’inceste : l’exogamie est son turbo réacteur.   On peut distinguer cinq cas de figure :

  • Lorsque la femme est dédoublée en sœur, elle dit non, non et
  • Lorsque la sœur est déguisée en femme elle dit oui. Ou plutôt elle dit : “oui mais non”… “enfin, peut-être…”
  • La femme devenue mère est cette occurrence ou “la femme n’existe pas”
  • Lorsque l’homme est dédoublé en père, il aura un certain penchant pour le viol ou même le meurtre 
  • Le père dédoublé en homme va souffrir d’éjaculation précoce. Remarquons que Freud, sans doute sous la pression du Patriarcat de son époque a confondu la femme et la mère. Il a écrit que dans un couple réussi la femme devait se comporter comme une maman. Cela arrive, mais est-ce vraiment érotique ? Il est bien possible que Lacan tout aussi impressionné par son catholicisme impénitent ait pensé que « La femme » était une extraterrestre sur le modèle des mystiques. Il est vrai que les mystiques avaient des orgasmes avec Jésus. Mais le Christ est né d’un rapport incestueux entre Marie et le père divin, c’est-à-dire un père parricidé et envoyé au ciel-mort et castré. Donc je voudrai conclure en disant “qu’il n’y a pas de rapports sexuels au paradis.” mais en attendant il n’y en a pas assez sur terre pour se sortir de ce pétrin.