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Landman Patrick – Leguil François – Maleval Jean-Claude / POSITION PSYCHANALYTIQUE CONTRE LE DOGMATISME APPLIQUÉ À L’AUTISME

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Image : El Niño de Elche. Obra de Martin Gimenez Laborda

Texte écrit par des collègues qui interviennent dans le champ de l’autisme et qui discutent les arguments qui ont conduit à soutenir une ostracisation de l’approche psychanalytique auprès des patients.

Des détracteurs de la psychanalyse, qui influencent des agences gouvernementales, et auxquels la presse accorde un bon accueil, font répétitivement état de contre- vérités quant à la prise en charge psychanalytique des autistes en France et quant à la supposée scientificité à cet égard des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Il nous paraît utile de rappeler ici quelques données essentielles.

La cause de l’autisme reste insaisissable. Sa nature même fait encore débat. Il n’en existe ni thérapie génique, ni médicamenteuse. Pourtant, il est souvent affirmé que : « les troubles du spectre autistique ont toujours une cause neurologique/biologique ». Cette déclaration péremptoire devrait être nuancée : même si la biologie joue un rôle causal dans l’autisme, elle ne peut en aucun cas prédire le devenir du sujet autiste, son évolution étant dans la dépendance de facteurs multiples. Qui plus est, même si les études de jumeaux monozygotes, dont l’un est autiste, semblent attester une causalité génétique de l’autisme, elles ne parviennent jamais à un taux de concordance de 100 %, ce qui laisse subsister une importante part d’énigme. Selon une méta- analyse récente, la correspondance peut varier entre 64 et 91 % [1]. Qui plus est, il est établi que l’environnement de deux jumeaux monozygotes exerce une forte influence sur la gravité de leur autisme[2], et que l’environnement modifie l’expression des gènes. Les nombreuses études sur la genèse biologique de l’autisme aboutissent aujourd’hui à une détermination génétique hétérogène, polygénique, sans gène clé, qui produit une accumulation de données éparses que rien ne parvient à regrouper[3]. Bref, les données scientifiques actuellement disponibles conduisent à conclure que les causes de l’autisme sont, non pas neurobiologiques, mais multifactorielles, et que le développement du sujet autiste n’est pas fixé dans ses gènes. L’autiste est un sujet plastique dont le mode de prise en charge influe de manière décisive sur son développement. Le débat porte aujourd’hui sur la manière de l’envisager, soit en prônant des méthodes qui invitent à forger l’autiste sur le modèle de son éducateur, soit en considérant qu’il s’agit de stimuler ses capacités de développement. Les méthodes cognitivo-comportementales optent pour la première approche, les méthodes psychodynamiques plus ou moins inspirées par la psychanalyse, les méthodes développementales et les méthodes centrées sur les interventions dyadiques comme le PACT (Pediatric Autisme Communication Therapy) choisissent la seconde.

Il est volontiers affirmé que les TCC seraient « validées » et permettraient « d’atteindre un niveau d’éducation et d’intégration dans la société dans la majorité des cas ». Pourtant, dans ses recommandations de 2012, la Haute Autorité de Santé constate qu’aucune méthode de prise en charge de l’autisme n’est validée scientifiquement. Elle en recommande trois : la méthode ABA et le programme développemental de Denver, qui bénéficient d’un grade B désignant une « présomption scientifique » d’efficacité, tandis que le programme TEACCH obtient le grade C, référant à un faible niveau de preuve »[4]. Cependant, les préconisations de la Haute Autorité de Santé, selon le Conseil d’État, sont aujourd’hui frappées d’obsolescence[5]. Elles le sont doublement, d’une part, parce que les évaluations des méthodes recommandées en 2012 ont été depuis lors fortement tirées vers le bas, d’autre part, parce que les méthodes qui furent dites non consensuelles (psychanalyse et psychothérapie institutionnelle), en raison d’absence d’évaluations, peuvent aujourd’hui faire valoir quelques études probantes.

Des recherches postérieures aux dernières recommandations de la Haute Autorité de santé convergent pour considérer que les études existantes en faveur de l’efficacité de la méthode ABA, la plus répandue pour la prise en charge des autistes, ne reposent que sur de faibles niveaux de preuve. Telle est en Angleterre la conclusion de l’Institut for Health and Care Excellence (NICE)[6], confirmée en 2017 par une expertise gouvernementale[7] ; tandis qu’en 2012 une étude quasi-exhaustive sur la littérature scientifique de langue anglaise effectuée par l’Agency for Healthcare Research and Quality aboutit au même constat[8]. Plus récemment encore, le département américain de la défense s’est efforcé d’évaluer la pertinence de ses dépenses consacrées à l’ABA. En 2019, il constate que pour 76 % des enfants il y a eu peu ou pas de changement après 12 mois de prise en charge ; tandis que 9 % de plus présentèrent une aggravation des symptômes[9]. En 2020, il n’a été trouvé aucune corrélation statistiquement significative entre le nombre d’heures d’ABA effectuées et les résultats obtenus[10].

Bien révélatrice fut l’expérience menée en France, à partir de 2010, dans 28 institutions pilotes, bénéficiant de conditions extrêmement favorables, dotées de généreux moyens financiers, afin de confirmer le résultat toujours cité de 47 % d’enfants autistes scolarisés grâce à la méthode ABA. Après quatre ans de pratique intensive de l’ABA sur 578 enfants autistes, 19 sortirent vers « le milieu ordinaire », soit 3,3 %. Déçues par ces résultats, les autorités sanitaires françaises se sont employées à garder confidentiel le rapport intitulé « Évaluation nationale des structures expérimentales Autisme »[11]. Pourtant, il montre que les études probantes sur la méthode ABA se bornent à chiffrer des améliorations de la cognition et de certains comportements, masquant qu’en matière de changements cliniquement significatifs (adaptation, autonomie, socialisation) ses performances sont médiocres.

Qui plus est, la HAS ne s’est pas interrogée sur les éventuels effets nocifs de l’ABA. En 2018, il a été mis en évidence que 46 % des autistes ayant été exposés à cette méthode dans leur enfance présentent à l’âge adulte un syndrome de stress post- traumatique. En outre, l’étude met en évidence pour ces sujets une corrélation statistique positive entre la gravité des symptômes et la durée d’exposition à l’ABA[12]. La HAS néglige les problèmes éthiques inhérents à la pratique de l’ABA, en particulier ce que dénoncent beaucoup d’autistes[13], à savoir la violence qui lui est inhérente. Même après avoir plus ou moins abandonné les punitions, elle suscite volontiers un retour de celle-ci. Une plainte introduite par un parent d’enfant autiste traité au Centre Camus, de Villeneuve-d’Ascq, lieu pilote de la méthode ABA, a rappelé la persistance de techniques aversives en certaines institutions[14]. Ce que la justice a confirmé en rejetant le recours en diffamation intenté contre le parent plaignant par la directrice du Centre[15].

Il faut être bien mal informé des luttes actuelles des psychologues contre l’arrêté du 10 mars 2021, pour croire que les autorités sanitaires françaises soient favorables à la psychanalyse ; bien au contraire elles ont tendance, en matière de prise en charge des enfants dits handicapés, à prendre les recommandations de la HAS pour des contraintes légales. Il a fallu que la Cour de Cassation rappelle en 2018 que ces recommandations « ne sont destinées qu’à l’information des personnels de santé et du public » et « n’ont pas de valeur obligatoire »[16]. L’obsolescence en 2022 des recommandations sur l’autisme de 2012 confirme la sagesse de cet arrêt.

En outre, un député proche du pouvoir a tenté de faire interdire la psychanalyse pour les autistes au nom de ces mêmes recommandations aujourd’hui dépassées. La représentation nationale ne l’a pas suivi dans un projet de toute manière inapplicable : la HAS note pertinemment que « la frontière entre volet thérapeutique et éducatif est parfois artificielle et floue ».

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[1] Beata Tick, Patrick Bolton, Franscesca Happé, Michael Rutter, Frühling Rijsdijk. Herita- bility of autism spectrum disorders: a meta-analysis of twin studies. Journal Child Psychology Psychiatry. 2016 May;57(5):585-95. doi: 10.1111/jcpp.12499.

[2] Wright J. Early life experiences may shift severity of autism. Spectrum. 17 January 2020.https://www.spectrumnews.org/conference-news/international-society-autism-research-2019/

[3] Ansermet F. Giacobino A. Autisme à chacun son génome. Navarin. 2012.

[4] Haute autorité de Santé. (HAS) Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établis- sements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm). Autisme et autres troubles envahis- sants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandations. Mars 2012 , p. 25.

[5] Conseil d’État. Décision n° 428284 du 23 décembre 2020. ECLI:FR:CECHR:2020:428284.20201223.

[6] National Institute for Health and Excellence (NICE), UK. (2011). Autism spectrum disorder in under 19s: recognition, referral and diagnosis. Clinical guideline (CG128] https://www.nice.org.uk/guidance/cg128/chapter/Recommendations.

[7] Guldberg Karen. Parsons Sarah. (2017) Scientific review of the ‘Benchmarking Autism Services Efficacy’ (BASE) report (2015). http://eprints.soton.ac.uk/id/eprint/417238

[8] Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ). (2014) Therapies for children with autism spectrum disorders: Behavioral Interventions Update. https://effectivehealthcare.ahrq.gov/ topics/autism-update/clinician

[9] The Department of Defense Comprehensive Autism. Care Demonstration. Quarterly Report to Congress. Second Quarter, Fiscal Year 2019.

[10] The Department of Defense. Comprehensive Autism Care demonstration. Annual Report. 2020.

[11] Cekoïa Conseil. Planète publique. Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme. Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. Rapport final. Février 2015.

[12] Kupferstein H. Evidence of increased PTSD symptoms in autistics exposed to applied behavior analysis. Advances in Autism, 2018, vol 4, issue 1, 19-29. DOI 10.1108/AIA-08-2017-0016.

[13] Dawson M. The Misbehavior of Behaviorists : Ethical Challenges to the Autism-ABA Industry. 2004. https://www.sentex.ca/~nexus23/naa_aba.html

[14] Dufau S. À Lille, le procès d’une méthode de traitement d’enfants autistes. Médiapart. 2 Juillet 2012. www. mediapart.fr

[15] Dufau S. Vinca Rivière et l’association Pas à Pas perdent leur procès face à Médiapart. 6 Mars 2015. www.mediapart.fr

[16] Cour de cassation. Arrêt du 8 novembre 2018. ECLI:FR:CCASS:2018:C201377.