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Norbert Bon – À propos de : Le peuple des humains

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Le peuple des humains – Luis Quintana-Murci (Odile Jacob, 2021)
Texte paru sur le site de l’ALI ici

Pour critiques qu’ils puissent être à l’endroit du « discours de la science » en sa visée totalisante, les psychanalystes ne doivent pas moins se tenir au fait des évolutions des sciences auxquelles la psychanalyse est accotée.

En premier lieu, la physique relativiste et la mécanique quantique qui modifient et la conception de l’espace et du temps et celle de l’énergie. Non pas pour en devenir plus savants mais pour briser, assouplir nos représentations issues de la mécanique classique et de la géométrie euclidienne dont Freud avait du s’affranchir par ses propres moyens pour rendre compte du fonctionnement de l’inconscient. Et Lacan, à son tour, pour en faire un savoir-faire avec la lalangue où les lois qui régissent les interactions entre signifiants, soumises au principe de plaisir, relèvent de la littéralité sonore et non de la sémantique.

Mais il importe aussi d’être attentifs à la génétique dont les progrès considérables des dernières décennies permettent d’analyser à moindre coût et rapidement, non plus tel ou tel gène, mais la totalité du génome humain comme non humain, dans sa diversité actuelle sur de grandes populations, et passée, dans les vestiges fossiles exhumés par les archéologues et les paléoanthropologues. À partir de quoi l’auteur éclaire d’un jour nouveau l’évolution de l’espèce humaine, loin de se réduire à la vision simplifiée de la dérive génétique et de l’expansion des plus forts et du struggle for life.

Petit rappel sur les mécanismes en jeu dans l’évolution.

Y interviennent :

– la sélection positive qui confère un avantage, parfois décisif à une espèce, telle la mutation sur FOXP2, qui a fortement contribué à l’apparition du langage chez les hominines [1] (mutation qui, insérée chez des souris entraine des modifications des vocalises chez leurs souriceaux !) ; ou la mutation sur LC2, donnant la capacité à digérer le lactose, fortement corrélée à un mode de vie fondé sur l’agriculture et l’élevage ;

– la sélection négative qui permet de « purger » le génome de mutations clairement délétères ;

– la sélection stabilisante qui favorise les phénotypes intermédiaires par rapport aux extrêmes ;

– la sélection divergente, plus rare, qui avantage, au contraire, les phénotypes extrêmes par rapport aux intermédiaires (par exemple, chez les épinoches où et les plus grandes et les plus petites tailles trouvent chacune un écosystème favorable ;

– la sélection balancée qui entretient la diversité au sein d’une population ou de l’espèce, fut-ce en maintenant une mutation délétère qui confère une protection par ailleurs [contre le paludisme par exemple, mais expose à une forme d’anémie]

– la sélection directionnelle qui favorise la fréquence d’un trait particulier [par exemple la petite taille permettant, aux pygmées entre autres, une meilleure survie dans les forêts humides équatoriales ou l’augmentation de la taille de la rate chez les Bajau d’Asie du sud-est, surnommés « nomades de la mer », chasseurs-cueilleurs marins qui passent 60 % de leur temps en apnée].

De toutes ces études, il ressort que l’adaptation génétique ne consiste pas seulement à répondre à des défis environnementaux, mais aussi à des défis immunitaires, un facteur prédominant de l’évolution étant la capacité à lutter contre les agents infectieux auxquels les humains ont été et sont régulièrement confrontés : paludisme, lèpre, variole, tuberculose, sida et actuellement coronavirus… Capacité qui trouve aujourd’hui son revers dans les maladies auto-immunes : maladie cœliaque, maladie de Crohn, sclérose en plaque, affections rhumatoïdes, qui, par ailleurs et comme nous le montre régulièrement notre clinique, ne sont pas indépendantes dans leur déclenchement de contextes psychologiques difficiles.

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Les variations du génome dans l’espace et dans le temps, confrontées aux découvertes archéologiques, aux variations de l’environnement, à la diversité linguistique permettent de jeter une lumière nouvelle sur l’histoire du peuplement humain, de confirmer ou infirmer leurs hypothèses respectives. D’abord par ses pouvoirs de datation [exemple insolite, la datation, à plus de 100 000 ans, de la divergence entre deux variétés de poux, le pou de tête qui vit dans les cheveux et le pou de corps qui vit dans les vêtements, permet de situer, là, l’époque où les hommes modernes ont commencé à se vêtir !]. Ensuite en ce qu’ils permettent d’étudier plus précisément les flux migratoires, dans leur histoire et leurs liens à la culture des populations, par exemple aux règles d’alliance et de filiation : l’échange des femmes contribue à homogénéiser, par métissage, l’ADN mitochondrial entre les populations. Les déplacements des hommes, au contraire, essentiellement les conquêtes guerrières, favorisent l’homogénéisation des mutations sur les chromosomes Y.

Enfin, l’analyse du génome montre l’importance favorable des migrations et du métissage dans l’évolution et l’adaptation des humains à des environnements variables dans l’espace et dans le temps. Elle montre aussi l’intrication entre facteurs génétiques, épigénétiques, culturels, géographiques, climatiques, linguistiques dans cette histoire du peuple des humains. D’où l’intérêt de l’étude de ces interactions, mais aussi des approches spécifiques qui s’offrent aux différentes disciplines, avec la relative indépendance des déterminants de leurs champs respectifs.

 

L’auteur, qui inaugure son livre par le tableau de Gauguin « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? », se place dans la perspective de la génétique des populations, avec l’espoir que ce formidable outil d’investigation du passé et de l’évolution de l’espèce humaine qu’est la génomique, peut fournir des clés pour savoir où nous allons et agir sur notre évolution future, notamment sur le plan de l’immunité et de la lutte contre les maladies. La psychanalyse, elle, circonscrit son champ d’action, sur la façon dont les humains pâtissent d’être des êtres parlants. D’où une méthode qui se centre sur le champ de la parole et du langage et travaille sur des parcours singuliers, qu’elle peut permettre aux sujets de reconsidérer et réorienter. À condition de s’y soumettre : je me souviens de cet homme rencontré dans une auberge au bord du fleuve Casamance, dans le pays Bedik, près du Fouta-Djalon, et qui avait tenté de se soustraire à un déterminisme familial délétère en « répondant à l’appel de l’Afrique ». Il se demandait pourquoi. Les quelques conversations que nous avons eues ne permettent pas d’y répondre, mais je suis prêt à parier que le fait que l’Afrique se retrouve quasiment dans son prénom Francis n’est pas pour rien dans cet appel. Le choix du prénom est assurément l’un des vecteurs de transmission du désir des parents sur leur enfant. Exemple parmi d’autres où la psychanalyse prend l’inconscient à la lettre, comme la génétique le génome.

Nancy, 15 avril 2022.

[1] Les paléontologues qualifient ainsi l’ensemble des humains ayant précédé et/ou côtoyé homo sapiens.