Olivier Lenoir – La parole : toute la parole et rien que la parole
La parole : toute la parole et rien que la parole ?[1]
La psychanalyse, c’est la cure par la parole. Si tout le monde parle, alors que faire de cette parole et quels effets en attendre. S’agit-il de :
— Retrouver un sens caché dans la parole, un au-delà du sens ?
— L’analyste serait-il un magicien de la parole ? Un embrouilleur alors ?
— Celui qui ne sait pas parler serait-il exclu de la psychanalyse ?
C’est à ces quelques questions que je tente ici de répondre au plus près de la clinique.
Ce titre est une question, pas une affirmation, bien sûr on entend le psychanalyste qui revendique pour lui et sa spécialité « La parole : toute la parole et rien que la parole ? » mais justement, il y a le « ? » je tiens à en faire une question, nous allons voir pourquoi.
On le sait, dans la clinique et la psychanalyse, ce qui nous est absolument spécifique c’est la parole. La parole définit l’humain (et la définition bouge encore, c’est une autre histoire), Lacan a inventé le néologisme du « parlêtre ». ça parle non !
Autre questionnement sur ce titre, qu’entendre par la parole : il y a cette distinction de parole vide et parole pleine, je n’entrerai pas dans cette discussion, parole vide ou pleine il y a toujours et encore de la parole et c’est la marque de la psychanalyse de lui laisser toute la place…
La psychanalyse c’est la « talking cure »
C’est la remarque faite par une analysante (Anna O.) à Freud. Oui, il y a la cure, l’analyse proprement dite, ce moment privilégié où la parole a tous les droits, ce temps que s’accorde l’analysant pour explorer ce qu’on pourrait nommer les tréfonds de son âme. Mais, plus de cent ans après Freud, plus de cinquante ans après la disparition de Lacan la psychanalyse, malgré les reflux, les attaques et les malveillances de toutes sortes, a aussi imprégné les sensibilités de l’époque et bien sûr notre clinique pour nous qui avons eu ce privilège de l’aborder, d’en lire les textes fondateurs et de vivre cette expérience et de l’étudier. Il y a la cure et au-delà, il y a cette possibilité d’écouter et d’entendre la parole de l’autre, accueillir cette parole. Quand je parle de « privilège », c’en est un pour celui qui s’en inspire et pour l’institution qui héberge cette parole et veut bien lui accorder sa place.
Tout le monde parle, c’est bien souvent le blabla, la parlotte, la parole creuse et vide, pur évitement pour ne rien dire. Mais disant, cela même dessine en creux, dans son absence, ce qui est évité, ce qui est non-dit, ce qui est caché. Cacher c’est aussi bien montrer et désigner dans sa cachette, c’est « la lettre volée » d’Edgar Poe et le fameux commentaire et usage qu’en a fait Lacan. Cette lettre dérobée est exposée à la vue de tous et bien sûr de la police qui la recherche, elle est pourtant là sous les yeux de tous, au milieu du manteau de la cheminée.
[1] Ce texte est la reprise de ma participation au 6ème Colloque de Psychiatrie et de Psychologie Clinique de Breil en avril 2015