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Jean-Louis Rinaldini / Mauvais genre (2)

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« L’impasse sexuelle sécrète les fictions qui rationalisent l’impossible dont elle provient. »
Jacques Lacan (1974)

Simple cabinet de curiosités ou signe des temps, le genre et le sexe ne manquent pas d’occuper la toile, les médias et les publications diverses. A survoler les titres des contributions psychanalytiques ( Dysphorie de genre, Vrai sexe, Lieux sans identité, Trajets Trans, L’incertitude du sexe dans l’hystérie, Sexualité sans centre…) force est de constater que le champ psychanalytique n’y coupe pas, bousculé qu’il semble être depuis la publication de Trouble dans le genre, l’essai qui a révélé Judith Butler comme une figure majeure de la philosophie au tournant des années 90.

Qu’en est-il de la bonne binarité chère aux psychanalystes depuis Freud malgré que ce dernier ait toujours été embarrassé par cette question? On se rappellera qu’il soutenait l’existence de deux sexes (allant jusqu’à inventer pour les besoins une « migration libidinale » spécifiquement féminine), mais soutenait également que la libido ne connaît point de différence sexuelle et que d’ailleurs, s’il faut vraiment se résoudre à lui donner un sexe, elle serait plutôt mâle. Si l’on rajoute à cela sa croyance presque inébranlable, empruntée à Fliess, en la bisexualité, en l’existence régulière de deux sexes chez le même individu, on a presque tous les cas de figure possibles : bien sûr il y a deux sexes, sauf qu’il n’y en a qu’un, et d’ailleurs la preuve c’est que les deux se rencontrent toujours chez le même individu.

En bref, toutes ces questions à forte valeur ajoutée, produisent aujourd’hui des succès de librairies, des objets commerciaux, des études et sondages en tous genres.

Suite du petit panorama — très succinctement glané ici ou là — commencé au mois de novembre 2021, à l’intention des curieux intéressés.

Le grand livre du passage à l’acte. Fortement dosé en émois et ourlé de chairs d’un bout à l’autre.

Le nom de Jean-Jacques Pauvert doit certainement vous rappeler le plus dissident des éditeurs, le monstre sacré de l’érotologie, couronné par plusieurs procès pour « outrage aux bonnes mœurs », celui-même qui publia Sade de façon clandestine, ce qui lui valut dix ans de poursuites judiciaires, celui qui affronta l’Etat, les juges, la police au nom de la liberté sexuelle, celui qui publia Bataille, Dali, Klossowski, puis qui aura travaillé avec Reiser, Cabu, Topor ou Willem…

C’est en 1997 âgé de 71 ans qu’il lance L’« Anthologie du coït », sans préliminaires, avec son fils Mathias, ouvrage jouissif qui compile et condense le pur de l’acte brut dans la littérature. Il est réédité à la Musardine. On y trouve aussi bien des extraits d’épopées mésopotamiennes, que des bouts de romans chinois, des poèmes de garnison et des classiques érotiques mais réduits à l’épure : l’acte seul demeure. Sans préambule, ni avertissement, voilà le lecteur jeté au cœur des corps à corps.

Il s’adresse « aux vrais amateurs », nous dit Pauvert dans la préface. A celles et ceux qui n’aiment pas attendre. Aux impatient·es du choc charnel. Aux excité·es de la secousse. « Ici, peu d’ellipses. Peu de périphrases », écrit Pauvert qui cite avec délice un poème de 1617 : « Tout y chevauche, tout y fout/L’on fout, en ce livre, partout. »

Anthologie du coït de Mathias et Jean-Jacques Pauvert, éd. la Musardine, 2021 (réédition).

Pour en savoir plus

Jouir de sa bagnole

Les raisons qui poussent tant de gens, ici ou ailleurs, à nouer des relations privilégiées avec des non-humains, jusqu’à leur donner l’apparence de la plus parfaite félicité conjugale, restent encore mal comprises.

Pas pour Gaëtan Mangin sociologue qui a consacré plusieurs années d’enquête aux liaisons fatales de certains hommes, à la vie en apparence rangée : une épouse, des enfants et… une amante bien carrossée : leur bagnole. Entendre : Ma voiture, c’est ma maîtresse. Surtout s’il s’agit d’une voiture de collection. Car c’est avec humour, qu’il souligne que dans la gamme des engins érotiques, les plus ardemment prisées sont les voitures de collection (c’est-à-dire ayant plus de 20 ans). Celles-là sont véritablement des « outils de plaisir », bien plus que des instruments pour se déplacer.

Au volant de leur voiture, certains hommes éprouvent des joies si vives qu’elles confinent à la décharge. « Leur relation est passionnée, c’est le moins qu’on puisse dire », souligne le chercheur, qui insiste sur l’aspect irrationnel de l’attachement aux véhicules.

Les hommes qui roulent à plein régime savent pertinemment qu’ils risquent leur vie. Ce que le sociologue désigne comme une « activité intense d’héroïsation de soi » consiste à conduire les voitures qui font mâle, parce qu’avec elles tout peut arriver, surtout le pire.

Comparant la conduite à une « pratique ordalique » (une épreuve dont l’issue peut s’avérer fatale), le sociologue insiste sur l’aspect aphrodisiaque de ce « corps à corps » avec l’engin que l’homme tente de brider…

« Jouir de sa bagnole : l’automobile de collection comme soupape existentielle » de Gaëtan Mangin, Terrain 75 « Amours Augmentées », septembre 2021.

« Serial Pleasures », des sextoys pour les amateurs de serial killers

Premier sextoy au monde conçu pour les passionné·e·s de faits divers et les amateurs d’objets macabres, le Bundyldo, en forme d’humérus, est une farce à succès dans l’univers des godemichets.

« Qu’est-ce qui fait que certaines personnes sont attirées sexuellement par des monstres ? demande Nicolas Castelaux. Quand j’ai lancé ce projet de gode, c’était finalement plus pour questionner ce paradoxe. La plupart des gens affirment qu’ils sont dégoûtés par les assassins. Mais comment expliquer le succès des documentaires qui s’appuient sur des photos prises sur les scènes de crime ? Il y a une vraie attirance, pas du tout assumée, un mélange d’attirance et de répulsion pour le mal… Je voulais explorer cette zone floue et, en 2020, j’ai fini par créer une marque dédiée : Serial Pleasures. » Sur le site commercial, deux godes sont pour l’instant en vente, ainsi que des préservatifs « pour addicts au true crime ». Le premier gode, Bundyldo, reproduit un humérus par allusion aux penchants nécrophiles de Bundy. « Il a été moulé sur un authentique os de bras humain mais nous avons arrondi l’une des extrémités afin de le rendre compatible avec une activité sexuelle. Il porte la signature en creux de Ted Bundy et il est fourni dans une boîte noire. »

L’autre gode (Night Ripper), en forme de crucifix couvert d’écailles de serpent, est orné sur le manche du visage de Richard Ramirez, un sataniste condamné à mort pour avoir commis 11 viols et 14 meurtres entre Los Angeles et San Francisco dans les années 80. 

Qu’on se rassure, d’autres projets de sextoys devraient suivre, toujours axés sur le thème du meurtre.

Tiré en série limitée à 69 exemplaires, le Bundyldo, par exemple, est déjà presque épuisé : 50 exemplaires ont été vendus depuis son lancement en mars 2020. « Il y a eu un vrai buzz lors de sa sortie. Sur Facebook, par exemple, 50 000 personnes ont relayé l’annonce faite sur des sites qui se sont renvoyé la balle. C’est parti en vrille, c’est devenu hors de contrôle notamment aux Etats-Unis où j’ai pu lire des commentaires disant Il n’y a que des Français pour penser à ce genre de choses. Mais quelle hypocrisie. Les objets liés aux serial killers exercent un attrait énorme sur les Américains. »

Vous avez dit fétichisme ?

Pour Nicolas Castelaux, les jouets nécro-sexuels servent de révélateurs. L’intérêt qu’ils suscitent en dit plus long que n’importe quel discours sur la charge de transgression associée aux faits divers. Signe des temps : sur le marché des enchères, les objets dits « macabres » atteignent des prix de plus en plus élevés, notamment ceux ayant appartenu aux tueurs, des lettres écrites par eux ou des œuvres d’art réalisées depuis les prisons où ils purgent leur peine. Les fans se les arrachent avec des frissons. Ces objets de collection sont d’ailleurs désignés sous le nom de murderabilia (mot-valise formé de memorabilia, « souvenirs », et murder, « meurtre »).

Pour en savoir un peu plus 

X-Oasis ? Ça nous vient du Japon. Entendez un bordel en distanciel.

La maison close en réalité virtuelle offre depuis un an et demi des services sexuels tarifés par avatars interposés à ses clients et clientes, en jouant sur des bruitages et les effets de présence.

Lancé par Karin, une « Vtubeuse » érotique, et par Dary, un programmeur, X-Oasis propose des relations tarifées interactives, en réalité virtuelle, dans un environnement spécialement conçu pour stimuler l’illusion d’un contact réel. « Bien que la prostituée ne soit pas dans la même pièce que vous, quand elle vous lèche ou vous caresse, c’est étonnant… La sensation est presque palpable », nous explique la chercheuse Liudmila Bredikhina, spécialisée dans les métavers, qui a fait plusieurs fois l’expérience d’une relation sur X-Oasis. Ses travaux consacrés au « travail du sexe en VR » ouvrent des pistes de réflexion sur les développements à venir de cette industrie.

Sélectionner les avatars

Avant de prendre rendez-vous, le client (homme ou femme) doit sélectionner ses préférences. La séance de quarante minutes coûte 7 000 yens (environ 55 euros), celle de quatre-vingts minutes 14 000 yens. Il est possible de réserver plusieurs jours à l’avance sur un agenda en ligne qui indique les horaires et les filles disponibles. Sur le site X-Oasis, elles sont nommées « actrices » (cast) et les clients « invités » (guest) qui doivent sélectionner leur propre avatar et choisir entre trois corps d’homme et cinq corps de femme puis les customiser. « Chaque actrice possède un avatar qui correspond à un fantasme : lycéenne, grande sœur, vampire, demoiselle bien éduquée… » Il y a Nachipoyo l’étudiante, Potora la chatte transgenre, Karin la brune piquante à gros seins, Tsubaki l’elfe « débauchée »… Leur profil indique quels jeux elles aiment, si elles sont soumises ou dominantes, maternelles ou immatures, etc. Le client est invité à choisir leur tenue, leurs dessous, leurs accessoires, leur sexe (il peut choisir une fille avec un pénis) puis l’environnement virtuel dans lequel la rencontre aura lieu. Il a le choix entre des pissotières, une chambre d’hôtel, un donjon médiéval, un sanctuaire, une plage avec des cocotiers…

Toutes les perversions semblent possibles dans cet univers inspiré par les mangas dits hentai« Il existe 17 scénarios et 21 jeux érotiques, chaque client peut demander 2 de chaque par séance, explique Liudmila Bredikhina. Mais chaque fille possédant ses spécialités, c’est en fonction d’elle que le client peut trier parmi ces combinaisons. » Les jeux vont du « lesbianisme » à « l’infantilisation », en passant par « le SM » (pour client maso ou pour client sadique au choix) ou « le gigantisme » (l’avatar de la fille atteint la taille d’un arbre)… Il y a aussi la possibilité de « seulement parler », comme avec une petite copine.

Pour en savoir beaucoup plus