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Géraldine Mosna-Savoye – La procrastination n’existe pas

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Texte repris de Carnet de philo – France Culture 27/05/2021

Il y a quelques jours, enfin pour être tout à fait honnête je ne sais pas quand puisque je n’y vais qu’une fois par semaine (télétravail un jour, télétravail… encore), j’ai reçu sur mon lieu de travail (à savoir RadioFrance) un livre. 

Un livre du philosophe John Perry, professeur émérite de l’université de Stanford, traduit, je cite la 4ème de couverture, « dans une vingtaine de langues » et qui, je cite toujours la 4ème de couverture, « lui a valu une reconnaissance internationale ». 

Enfin donc entre mes mains ce livre mondialement connu, dont je n’avais pourtant pas entendu parler (ce qui arrive souvent mais reste vexant… se voir rappeler par une 4ème de couverture qu’on découvre après tout le monde une œuvre parue il y a presque déjà 10 ans) et dont le sujet a effectivement de quoi séduire le monde entier : la procrastination. 

Autant le dire tout de suite, je ne vais pas vous parler de ce livre… pas parce que j’aurais repoussé le moment de le lire, mais tout simplement parce que je pense que la procrastination n’existe pas, ou plutôt qu’elle n’est pas le problème. 

Vouloir et pouvoir

La procrastination n’est pas LE problème. Je trouve qu’on a beaucoup tendance à brandir ce terme, ce concept même si j’en crois John Perry, pour expliquer tout ce qui relève de notre inertie. 

Et que par là-même, on a beaucoup tendance à penser, enfin de manière inconsciente ou du moins tacite, que tout est de notre faute et réside en un seul paradoxe : je dois faire cette chose, j’aimerais la faire mais je n’y arrive pas. 

Paradoxe qu’on pourrait appeler paradoxe de la volonté et qu’on pourrait formuler ainsi : ma volonté aimerait vouloir faire cette chose qu’elle doit faire, mais elle ne veut pas non plus la faire. Véritable casse-tête philosophique et quotidien. 

Et pourtant, non, je ne pense pas que tout soit de notre faute, que tout soit une question procrastination, de vouloir sans vouloir ou de paradoxe de la volonté… mais que tout est plutôt une question de pouvoir sans pouvoir : je peux faire TOUT ce que je dois faire, mais paradoxalement, je ne peux pas TOUT faire non plus. Nuance.

Acte et puissance

Le fait de ne pas parvenir à faire ce que l’on doit faire immédiatement, ne peut pas seulement relever du bon ou du mauvais vouloir de celui qui agit. Tout ne repose pas sur cet agent qui n’agit pas, et pour le dire autrement : tout ne repose pas sur nous et sur une supposée faiblesse physico-morale qu’on est censé tromper par des stratégies. 

Pensez-y, quand vous avez une chose à faire, vous n’avez JAMAIS qu’une seule chose à faire, vous avez une chose à faire en plus de toutes celles que vous avez déjà à faire (on parle des impôts en ce moment, mais ça concerne en fait tout ce que l’on fait en plus de satisfaire nos besoins vitaux). 

Ce n’est donc pas là un problème de volonté que vous avez, mais un problème de pouvoir. Ou plutôt de puissance. Et attention, pas puissance au sens de “femmes puissantes”, mais puissance au sens aristotélicien. En témoigne cet extrait de la Métaphysique d’Aristote : 

“L’acte est le fait pour une chose d’exister en réalité, et non de la façon dont nous disons qu’elle existe en puissance, quand nous disons par exemple qu’une statue est en puissance dans le bois”

C’est quand même mieux dit comme ça, non ? Quand on n’accomplit pas certaines choses, ce n’est pas qu’on ne veut pas les réaliser, mais c’est qu’on ne peut pas toutes les réaliser. On les fait exister, mais en puissance. 

Et c’est ça qui est intéressant : refuser l’argument de la procrastination (avec toutes ses ruses pour en sortir) pour préférer l’idée que toutes ces choses non réalisées ne sont pas inexistantes non plus. Et c’est déjà pas mal.