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Jean-Louis Rinaldini – Corps, chair, âme et psychanalyse

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On trouve dans Le serpent à plumes de David Herbert Lawrence, cette notation que les femmes Navajo lorsqu’elles tissent une couverture, elles ménagent toujours sur le bord de la couverture un petit trou pour que leur âme en tant qu’elle a pu être coincée à l’occasion de ce tissage puisse s’échapper, qu’elle ne soit pas captive de ce tissage. Autrement dit ce petit trou dans la couverture n’est rien d’autre que la place de l’âme de celles qui l’ont tissée.

Je cite cette anecdote folklorique parce que d’une certaine façon il s’agit pour nous de questionner les problématiques de la psychanalyse à partir de la sacralité du corps d’une part, et de l’autre sa bordure au domaine de la spiritualité, autrement dit quels sont les rapports qu’entretient la psychanalyse avec ces questions de corps, de la chair, de l’âme, questions qui me semblent complexes et cette petite communication est au fond une tentative personnelle d’essayer de me mettre au clair avec cela et vous le verrez d’une façon assez tâtonnante et approximative. Notre présupposé c’est que chacun est dans le monde par et dans son corps et qu’il rencontre les autres dans et par son corps. Donc qu’est-ce que le corps ? Qu’est-ce que la condition charnelle ? Quelle place est faite à l’Autre ? Comment peut-on définir cet objet qui tout le temps nous échappe, cet objet qui avant la révolution phénoménologique (Husserl, Merleau Ponty, Michel Henry…) a été mis de côté notamment par les philosophes ? On l’a rappelé ici, depuis Platon l’histoire de la philosophie s’est construit autour d’un dualisme, c’est-à-dire la tendance à vouloir opposer âme et corps, dans cette anthropologie dualiste, le corps ainsi que le monde sensible sont le lieu du mal et de l’erreur, je pense à Platon (Platon, Le Phédon, 67 c — d) « L’objet propre de l’exercice des philosophes est même de détacher l’âme et de la mettre à part le corps » pensons à Descartes aussi. Donc la question est que le corps a toujours renvoyé à une sorte de limite, d’obstacle, que ce soit obstacle à la connaissance ou à la vertu. Pour revenir à notre domaine, pourquoi y en a-t-il qui pensent avec leurs intestins par exemple ou avec leur estomac ou leur cœur parce que si nous sommes conséquents c’est bien de la psyché, de la pensée dont il est question alors pourquoi il y en a chez qui la pensée se manifeste de la sorte et on sait que ça peut venir occuper complètement toute leurs pensées.

D’une façon générale le mot âme c’est un mot que les psychanalystes rejettent. Les psychanalystes rejettent le mot âme et c’est curieux puisqu’on sait que Freud s’en sert. Parce que pour psyché, psychisme, Freud utilisait le terme Seele en allemand qui veut dire âme. Pendant plusieurs décennies le mot âme a été traduit par appareil psychique il a fallu la traduction de Laplanche à la suite des critiques de Bettelheim pour que le mot âme réapparaisse. Et on sait très bien qu’on a beaucoup reproché à Young de se servir du mot âme.

Et que dire de l’utilisation du mot chair, auquel on substitue volontiers celui de corps puisque le corps est lié à l’image, on voit son corps dans la glace on ne voit pas sa chair, alors que la chair pourrait être entendu comme ce qui relève du sensible, de l’affectif, du spirituel. Il est intéressant de noter que dans la bible dans la Genèse il y a le mot « bassar » qui veut dire à la fois âme et chair donc il y a dès le départ un corps qui est fait de poussière, mais qui est vivifié par le souffle de vie c’est-à-dire que l’âme serait la manifestation de la vie.

Lorsqu’on se situe dans la tradition freudienne et lacanienne ces questions paraissent dangereuses, voire honteuses, mais peut-être peut-on les poser sans totem ni tabou.

Il ne s’agit certainement pas de penser que le corps parle tout seul ce serait une version à la Groddeck, non le corps obéit certainement à une rigueur dans l’écriture. Les troubles dermiques sont par exemple des écritures comme si le corps lui-même était un palimpseste, on a dit parfois ce sont des hiéroglyphes au désert, c’est-à-dire qu’au-delà de tous les stéréotypes un peu somatiques où on conçoit des personnalités psychosomatiques qui seraient vulnérables, il est sans doute plus intéressant de se demander pourquoi surgit à un moment donné un moment somatique du conflit. D’ailleurs lorsqu’on dit « c’est le langage du corps » c’est une formule vraie, mais un peu paresseuse parce que s’il y avait un langage possible le corps ne s’en mêlerait pas, Freud dit que dans l’hystérie l’organe se mêle à la conversation. Ça me paraît très important de voir que nos organes sont déjà travaillés par une tension que la vie du corps peut mener sa propre vie de jouissance comme lorsqu’un sujet a un problème d’organe. D’ailleurs pourquoi est-ce que nous avons nos organes vulnérables favoris ? Par exemple un sujet qui fait toujours des problèmes à l’estomac du poumon ou du larynx, etc. ? À ce moment-là c’est un peu curieux, mais c’est comme si l’organe jouissait tout seul, alors le sujet est malade, le moi est malade, mais l’organe reprend une autonomie. Cette possibilité de faire que notre corps de la jouissance, sans écrire jouissance avec une majuscule, puisse reprendre le pouvoir dans certaines conditions, c’est certainement un point qui montre que nous sommes dans un rapport à une altérité intime.

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