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Géraldine Mosna-Savoye / Pourquoi un tel succès de l’autonomie dès l’âge de 3 ans ?

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Texte repris de Carnet de philo – France Culture 03/09/2021

Hier, jeudi 2 septembre, plus de 12 millions d’enfants sont rentrés à l’école… ou entrés à l’école pour la 1ère fois de leur vie. C’était le cas d’une personne de presque 3 ans que je connais très bien, et que j’ai donc accompagnée pour l’occasion. 

Je vous passe les errements du dispositif anti-covid, que je n’ai toujours pas compris, ni même la maîtresse d’ailleurs, pour en venir à cette impression : contrairement à ce que je croyais, ça ne fait pas grand-chose (ni angoisse ni pincement au cœur) de revenir sur les bancs de l’école. 

Déjà, parce que contrairement à cette expression, on ne revient jamais sur les bancs de l’école. On ne fait que passer, observer l’environnement et constater l’évolution (ou pas) des moyens, sans vraiment savoir d’ailleurs quels étaient les moyens dont disposait l’Education nationale à notre époque. 

Mais bon, c’est toujours bien d’avoir un avis et de combler la conversation avec des parents qu’on va croiser toute l’année. Une chose toutefois m’a frappée, et je ne sais pas si elle était courante au début des années 90 (quand j’étais vraiment sur ces fameux bancs), enfin plutôt un terme : celui d’autonomie. 

Lâcher sa tétine

J’ai été complètement prise au dépourvu. Jusqu’à hier, je croyais qu’on était autonome quand on signait des papiers de sa propre signature, ou quand on se prescrivait à soi-même ses propres règles… enfin ça, c’est l’étymologie du terme et ce qu’en dit Emmanuel Kant pour fonder sa théorie de la volonté : 

“L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi”. 

Autrement dit, j’ai découvert que, paradoxalement, de l’autonomie, il ne restait que la 1ère partie, le “auto”, soit le soi seul, et rien du “nome”, soit la loi… ce qui, d’une certaine manière, rejoint une conception assez partagée de l’autonomie aujourd’hui. 

Conception selon laquelle il s’agit moins de se prescrire des règles universelles que de faire des choses pour soi et par soi. Derrière le prestige du mot (c’est vrai que dire “mon enfant gagne en autonomie” est plus solennel qu’un “c’est cool, il a lâché sa tétine”), se joue ainsi un drôle de glissement : ce n’est pas qu’on est autonome mais indépendant. 

Ecole et indépendance

Autonome sonne beau, sonne fort, il sonne collectif. Indépendant sonne plus négativement, il y a toujours un soupçon d’égoïsme dans l’indépendance. L’indépendant est-il libre ou à l’écart du groupe ? Agit-il par lui-même ou contre le reste du monde et de ses camarades de classe ? 

Alors que l’autonome, lui, il n’est pas seulement libre, il est libre avec tout le monde, comme tout le monde. Il n’est pas singulier, il est universel. Vous me direz, cela colle parfaitement avec l’esprit collectif d’une école : mieux vaut un autonome dans une classe qu’un indépendant. 

C’est pourtant l’indépendance qu’on a en tête quand on se félicite qu’un être fasse des choses par lui-même, sans dépendance. Et c’est là au fond le problème : pas qu’on utilise le concept d’autonomie au-delà d’une certaine limite d’âge, mais qu’on rechigne à utiliser celui d’indépendance. 

Mais pourquoi l’indépendance (et du coup son contraire, la dépendance) sont-elles si mal vues, dès lors qu’on envisage le point de vue du collectif ? C’est à peu près ce que je me suis dit hier en essayant de me fondre dans le groupe des parents d’élèves.