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Jean-Claude Maleval / Notes sur la dysphorie de genre

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Texte paru dans Lacan Quotidien n°928.

La dysphorie de genre est introduite en 2013 dans le DSM-5 pour remplacer le trouble de l’identité de genre du DSM-IV. Elle se caractérise par une souffrance clinique significative associée à la non-conformité de genre. L’Association américaine de psychiatrie a entendu les demandes de dépsychiatrisation des associations LGBT en remplaçant « le trouble » par une souffrance. Néanmoins, la communauté transgenre préférerait un terme encore plus neutre : tel que genre discordant, genre dissonant ou genre incongruent.

La dysphorie de genre est un concept fourre-tout, déjà très débattu, cela pour la raison soulignée par Jacques-Alain Miller dans son échange avec Éric Marty : il mélange les transgenres, qui militent pour la fluidité du genre, avec les transsexuels, qui restent très attachés à la différence des sexes. Cependant, dans la clinique, la différence n’est pas toujours aussi nette : certains transgenres se transsexualisent pour des raisons diverses. La douleur intense des transsexuels suscitée par leur sentiment d’être une erreur de la nature n’est plus la seule entrée dans un processus de changement d’état-civil.

La dysphorie de genre devient un phénomène de société dont la croissance est exponentielle depuis une dizaine d’années ; l’influence d’internet est probable. L’importance des facteurs environnementaux incite à ne pas réduire les dysphories de genre à une causalité purement biologique.

Faut-il rattacher le transsexualisme à la psychose ? Certes, les rapides indications de Lacan y incitent, mais il semble que le problème se soit complexifié depuis les années 1970. Il existe un débat parmi les psychanalystes sur ce point.

Pour l’IPA, International Psychoanalytic Association, les transsexuels ne sont pas des psychotiques, plutôt des états limites et, quant à la réassignation, Colette Chiland considère en 2011 qu’il convient de les accompagner dans leur choix. Parmi les lacaniens, deux positions s’opposent : d’une part, ceux pour qui le transsexualisme est une psychose, et qui prônent de « ne pas collaborer avec la psychose » (Czermak, Castel, Frignet) ; d’autre part, ceux pour qui c’est un syndrome transtructural, et qui considèrent qu’une intervention dans le réel n’est pas exclue, position exprimée par Catherine Millot dès son ouvrage de 1983. L’évolution de la clinique depuis cette date me paraît faire nettement pencher en faveur de cette dernière approche.

Pourquoi privilégier une approche transtructurale ? Il se rencontre des transgenres qui s’engagent dans une transsexualisation pour répondre à une demande rencontrée dans le champ de la prostitution, ou suite à une demande d’un partenaire sadique qui s’inscrit dans une démarche d’humiliation, etc. Certaines femmes hystériques garçons manquées peuvent choisir la transsexualisation, non pas par souffrance, mais, comme me l’a confié l’un(e) d’elles, « pour monter en grade ». Beaucoup de jeunes gays et lesbiennes victimes d’intimidation croient que le fait de changer de sexe va leur éviter de subir les affres de l’homophobie, etc.

En faveur de l’hormonothérapie suivie ou non de chirurgie : toutes les études auprès de transsexuels réassignés concordent pour dégager un taux de satisfaction très élevé. Les détransitionneurs existent, mais ils sont rares. Suite au changement d’état-civil, la grande majorité des transsexuels authentiques témoignent de la disparition d’une douleur intense. Depuis 2018 en France, il n’est plus nécessaire d’être opéré pour obtenir le changement d’état-civil, ce qui était une demande des transsexuels eux-mêmes, beaucoup ne souhaitant pas se faire opérer.

Il faut cependant souligner que le changement d’état-civil n’est qu’une solution partielle aux difficultés du transsexuel. Selon l’approche psychiatrique comportementale : environ 60 % présentent une comorbidité – troubles de l’humeur, anxiété, schizophrénie, autisme, etc. D’où ce paradoxe qui étonne certains chercheurs : malgré le taux très élevé de satisfaction suite à la réassignation, le taux de suicidalité (idées suicidaires, tentatives de suicide, suicides accomplis) reste constant (3 à 5 fois supérieur à celui de la population générale). Paradoxe qui semble aisément s’expliquer : la vie d’un transsexuel, avant comme après la réassignation, reste plus difficile que celle du commun des mortels – taux de chômage et de prostitution élevé, stigmatisation sociale, effets secondaires de l’hormonothérapie qui affectent la santé, etc.

La transition F/H semble aboutir en moyenne à une meilleure insertion sociale que celle H/F.

Les protocoles excluent les psychotiques avérés de la démarche de réassignation ; pourtant, il arrive que certains tempèrent une psychose clinique par ce moyen (Fisk N. M., 1978).

En ce qui concerne la dysphorie de genre chez les enfants, telle qu’en témoigne le documentaire Petite fille (2020), son devenir le plus fréquent à l’âge adulte est sa disparition. Elle constitue en revanche un bon prédicteur de l’homosexualité. Les données dont on dispose établissent clairement qu’il n’est pas approprié d’engager des enfants dans un processus d’« affirmation de genre » : il est imprudent de prendre leur parole pour une vérité scientifique, alors qu’elle peut n’exprimer qu’un conte de fée.