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Géraldine Mosna-Savoye / Jusqu’où écouter sa voix intérieure ?

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Carnet de Philo. France Culture 11/02/2021.

Comment faire pour à la fois lâcher prise, se laisser-aller, s’abandonner, mais sans se laisser-aller ni s’abandonner ? Quelle voie/x suivre ?

J’ai commencé à envisager de faire du sport (vous noterez le “commencer à envisager”) quand j’ai pris peur un soir… j’ai remarqué que mon épaule gauche était plus élevée que la droite, sûrement un effet d’optique mais suffisant pour m’inquiéter et m’installer une appli d’entraînement.

Et comme pour les sites pornographiques, en ouvrant cette appli, j’ai été à la fois curieuse et impressionnée, j’ai eu la sensation de plonger dans un nouveau monde, fait d’une iconographie spécifique, pleine d’images qui ne sont que les variations d’un même thème, des corps en leggings, des démonstrations avec les bras et des catégories bien précises : zones du corps, coachs bien notés, vidéos les plus vues. 

J’ai opté pour un cours de yoga spécial débutants. 20 minutes quand même. Proposé par le coach Jonah Kest et sa comparse, Curstie.
Je vous passe les détails de cette séance où, à force de l’entendre, je ne savais plus distinguer l’inspiration de l’expiration.
Il s’est pourtant passé une chose, une chose à laquelle je n’ai rien compris : Jonah m’a dit dans la même vidéo de m’abandonner à moi-même et de résister à moi-même quand j’ai justement voulu abandonner. 

Abandonne-toi… mais pas trop

C’est une chose que je ne remarque pas pour la 1ère fois : cette petite musique paradoxale, qu’on entend un peu partout, dans l’air du temps, notamment en ces temps troublés où il est de bon ton de prendre soin de soi, cette petite musique selon laquelle il faudrait ET savoir lâcher prise, se laisser aller ET résister au laisser aller, ET s’abandonner ET se reprendre. 

Autrement dit, s’écouter mais pas trop. Et hier, c’est Jonah qui me l’a dit, mais avant-hier, c’était ma mère. Et avant avant-hier, c’était un ami. Et tous les jours, en fait, c’est moi à moi-même.
Et je n’ai jamais compris ça : en fait, je dois faire quoi ? Jusqu’où je dois m’écouter si, pour moi, m’écouter reviendrait à ne rien faire de la journée ? 

Je devrais m’écouter respirer mais pas écouter cette petite voix qui me dit de fuir à la 1ère difficulté et surtout à la 4ème blague pas drôle du coach ?
Comment s’en sortir ? Que faire ? 

Cette voix en moi

J’ai suivi la séance de yoga jusqu’au bout. Mais, en fait, je ne sais pas pourquoi. Sûrement pour voir ce que Jonah allait encore me sortir. Sûrement aussi pour aller jusqu’au bout du paradoxe : être à l’écoute de moi-même sans être à l’écoute de moi-même.
Car voilà, je n’ai pas écouté ma petite voix qui me criait de m’allonger sur le canapé mais une autre. Mais alors laquelle ? La voix de la sagesse ? La voix du yoga ? La voix du coaching et du bien-être ? Ou alors la voix de ma conscience ? 

“Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré, juge infaillible du bien et du mal ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes. Mais ce n’est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre.” 

Voilà ce que dit Jean-Jacques Rousseau dans son traité d’éducation, L’Emile, sur cette voix de la conscience.
Et je me dis que j’ai peut-être su entendre cette voix hier en faisant du yoga, la reconnaître et la suivre ? 

Mais le fait est que cette voix que chérit tant Rousseau et tant d’autres, cette voix à soi, intérieure, profonde, authentique, qui, paraît-il, nous fait du bien, eh bien, ce n’est pas forcément la mienne.
Oui, je me suis écoutée mais ce n’était pas moi. 

Et je crois que c’est là le problème : à force de prôner cette écoute de soi, déjà si mystérieux, on ne s’entend plus.
Et on en vient à penser qu’on s’écoute alors qu’on suit les ordres d’un certain Jonah Kest.