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Monseigneur Chauvet – Entretien avec Pierre-Christophe Cathelineau et Claude Landman

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Entretien avec Monseigneur Chauvet, Recteur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, consultant au Vatican, par  Pierre-Christophe Cathelineau Psychanalyste et Claude Landman Psychiatre, psychanalyste.

Texte paru dans La revue lacanienne n°19 de l’ALI « Famille je vous aime ?
Les complexes familiaux aujourd’hui ».

Pierre-Christophe Cathelineau : Pourriez-vous nous dire en quelques mots quel est le socle théologique de l’institution du mariage et de la famille ?

Monseigneur Patrick Chauvet : C’est d’abord la Parole de Dieu. La Parole est l’âme de la théologie. Il faut partir du texte de la Genèse, ce pourquoi l’homme a été fait et doit quitter son père et sa mère pour aller vers sa femme. Nous nous appuyons sur ce texte et il y a ensuite dans le Nouveau Testament la nouvelle interprétation de la Loi par le Christ qui est plus exigeante que la Loi de l’Ancien Testament, mais est peut-être plus accessible parce qu’elle donne la Grâce de vivre cette Loi nouvelle… On ne peut pas abandonner sa femme, parce que se séparer de sa femme, c’est mettre sa femme en péril. L’acte de répudiation fragilise la femme. Saint-Paul montre dans Éphésiens le mystère du mariage, parce que l’homme et la femme représentent les épousailles du Christ et de l’Église. L’indissolubilité, elle est là. C’est vrai que le pape François a voulu ne plus entrer dans une morale de l’in­terdit et de l’obligation, mais dans une morale qui repose sur un discernement fondé sur une liberté intérieure. Ce qui déstabilise un peu les gens, parce que c’est plus facile de savoir d’emblée ce qui est nocif, ce qui est interdit, ce qui est obligatoire. Or le pape refuse d’entrer dans cette morale de l’interdit. Ce qui explique qu’il propose, lui, un chemin. Ce chemin, c’est celui du pasteur qui va accompagner des gens. C’est à nous d’aider, quand le fruit est mûr, et de dire par exemple à celui qui est divorcé qu’il peut accéder à la communion. C’est à nous de discerner. Le couple doit discerner. J’étais personnellement déjà dans cette logique parce que j’ai toujours pensé que la morale de l’interdit et de l’obligation a été un poids épouvantable pour l’Église. C’est un peu la faute de Kant. Je suis plutôt augustinien et thomiste. C’est une morale plus souple, celle du bonheur

P-C. C. : Une morale de l’adaptation au cas particulier.

P. C. : Je ne suis pas partisan d’une morale qui bloque tout. Par exemple il existe des couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Or ils savent que l’Église dit non à la FIV, à l’insémination artificielle, mais le pape dit : nous proposons un chemin. Personnellement quand j’ai un couple qui vient me voir avec cette interrogation, je leur dis : le chemin qui est à parcourir, c’est de passer de l’enfant qui est un dû à l’enfant qui est un don. Quand vous serez prêts à ce que l’enfant soit un don, c’est vous qui déciderez.

Le moraliste ne peut pas dire, c’est interdit, parce que c’est impossible. On doit dire que l’Église n’est pas pour et ils doivent entendre que l’Église n’y est pas favorable, notamment pour les conséquences d’une telle décision ; alors lorsqu’on les connaît et qu’on a fait une démarche psychologique et spirituelle, la décision peut être prise. D’ailleurs ce type de démarche débloque la situa­tion et souvent le couple a un enfant naturellement !

Claude Landman : Ce que vous dites de ce passage du dû au don est essentiel ; cela réintroduit dans le couple une dimension transcendante au sens large du terme.

P. C. : Une dimension d’accueil de l’enfant. Ils ne disent plus : je dois y avoir droit.

C. L. : On n’est plus dans la revendication.

P. C. : On est dans la dimension du don. Ils ont parfois un enfant avec la FIV, puis il arrive qu’ils aient ensuite un enfant naturellement.

L’apport est un apport biblique. Tels sont les grands textes de référence. Il y a aussi le travail de Jean-Paul II qui a été quand même un grand théologien moraliste sur la responsabilité et la théologie du corps.

P.-C. C. : Vous insistez sur la dimension pastorale qui est extrê­mement importante pour le pape François. Cet aspect est particu­lièrement marqué à la fin de l’Encyclique. Pourriez-vous préciser les orientations de l’Église et du pape sur l’esprit de cette pastorale concernant le mariage et la famille.

P. C. : C’est le fameux chapitre 8 : comment le pasteur va-t-il se situer par rapport aux personnes rencontrées et quel va être leur chemin ? Il faut réentendre un peu l’histoire, comme vous les psychanalystes vous le faites, cette histoire qui est marquée de joie et de tris­tesse, de souffrances, de blessures. Il faut que le prêtre puisse être attentif à la bles­sure. Il est aussi important d’en voir les conséquences vis-à-vis des enfants. On parle peu des conséquences d’un divorce pour les enfants. Il y a plus de 5 o % des couples qui divorcent, alors on se dit : qu’est-ce que ça peut faire ? Quand j’en­tends quelqu’un me dire : je me remarie. Je lui pose toujours la question : comment vos enfants réagissent-ils ? Avez-vous préparé vos enfants ? Si vous ne l’avez pas fait, ils vont être complètement déstabilisés. Que deviendront-ils avec le beau-père ? Les points de repère vont être bouleversés.

Ces points sont à travailler. Mais l’Église ensuite ne peut pas refaire de célébration de divorcés-remariés, à cause de la théo­logie du mariage évoquée plus haut. À cause de ce modèle théologique des épou­sailles du Christ et de l’Église ; on ne peut pas imaginer que le Christ s’en aille et que l’Église cherche une autre Tête. Nous nous appuyons sur les piliers de l’indissolubilité et de la fidélité, les deux piliers essentiels. Mais il y une tension actuellement. Quatre cardinaux disent que le pape est en train de brader les deux piliers du mariage. Il y a aussi un autre pilier : la liberté, et à ce propos Benoît XVI disait que si l’on analy­sait tous les mariages sous l’angle de la liberté, il y aurait peut-être beaucoup de mariages qui ne seraient pas valides. Quelle est aujourd’hui la liberté de deux jeunes qui se marient du point de vue de leur liberté intérieure ? Pas si facile à vérifier.

C. L. : À ce propos les évêques ont souhaité une accélération de l’annula­tion du mariage et le pape François y a été sensible, en prenant une décision dans ce sens.

P.-C. C. : Oui en effet, les demandeurs n’ont plus besoin d’aller à Rome. Un diocèse peut prendre cette décision en première instance.

C. L. : C’est un changement considérable.

P. C. : Ce qui est considérable, ce sont aussi les dossiers…

C. L. : Est-ce que cela ne permet pas de réintégrer certains divorcés dans l’Église. La question se pose.

P. C. : Il y a une autre question qui par derrière se pose. Quand il y a des enfants d’un premier mariage et qu’on annule ce premier mariage, je pose la question à ceux qui vont se séparer : en avez-vous parlé à vos enfants ? Que signifie pour les enfants d’être nés d’un mariage qui est déclaré nul ?

C. L. : C’est une vraie question symbolique.

P. C. : Quand l’enfant se dit qu’il est né d’un mariage nul, c’est catastrophique, épouvantable. Là aussi il faut que nous travaillions pour dire que ce premier mariage n’est pas nul, que les enfants ont été le fruit de l’amour de leurs parents, que l’enfant doit accepter l’histoire.

Le remariage n’est pas si simple. Je me souviens du cas de personnes que j’ai rema­riées dans un âge déjà très avancés, cela n’a pas été simple pour les enfants qui avaient déjà 45 ans. C’est comme si le père ou la mère avait abandonné ses enfants.

C. L. : Cette réforme a eu lieu et vous travaillez avec.

P. C. : Il y a toujours des avocats, mais la procédure est moins lourde. Les procès peuvent durer longtemps. Les gens se découragent. Maintenant il devrait y avoir une accélération.

P – C. C. : Quelle est la place et la fonction accordée par l’Église à l’amour dans l’institution du mariage et la famille ?

PC. : L’Église a évolué sur la dimension du plaisir dans le couple. J’ai été élevé dans une famille où l’on me disait que si je devais être marié et que j’avais des relations sexuelles, c’était uniquement pour avoir des enfants, qu’il ne fallait pas avoir trop de plaisir. Le plaisir était peccamineux. L’Église a évolué grâce aux sciences humaines : Jean-Paul II estimait qu’il devait y avoir un réel épanouissement dans la vie sexuelle. La relation sexuelle était un lieu de dialogue, c’était le plus beau lieu ; dire cela a été une révolution.

Concernant l’amour Benoît XVI insistait sur l’agapè et l’Éros ; l’amour est de l’ordre du don. L’amour est crucifiant, parce que la croix pour nous ce n’est pas seulement la souffrance. On a aussi trop dit : il faut que tu souffres pour être un saint. La croix aujourd’hui est symbole du don de soi. L’époux, comme l’épouse, se donnent l’un à l’autre. Ils doivent se donner à leurs enfants sans les posséder. On a là un problème très complexe. Sur une radio, pas plus tard qu’il y a deux jours le soir très tard dans une émission en direct avec un psy, une mère expliquait que sa fille allait partir aux États-Unis à l’université et que son père était en dépression parce qu’il perdait sa fille. Cet homme s’est donné à sa fille dans une possessivité qui fait qu’aujourd’hui il en paie le prix fort. Il est diffi­cile pour les parents de se donner sans posséder. L’enfant ne leur appartient pas. Cela s’appelle la chasteté : comment la distance doit être égale à la proximité ? Il s’agit de savoir comment les parents doivent être proches de leur enfant tout en lui laissant l’espace de liberté pour qu’il se réalise.

C. L. : Cela rejoint la place de la parole dans l’échange.

P. C. : Je vois en effet des enfants qui reprochent à leur père de ne pas pouvoir en placer une ; il n’arrête pas de parler. Il arrive que dans la relation il manque cette dimension essentielle qu’est la chasteté pour être à l’écoute.

C.L. : Cliniquement il nous arrive de rencontrer des situations où Éros et agapè viennent en contradiction.

P. C. : Ça ne devrait pas.

C. L. : Ça ne devrait pas, mais je le constate assez souvent. Cela se traduit par le fait qu’un homme et une femme s’aiment profon­dément, mais que sur le plan du désir sexuel ça ne marche pas.

P. C. : J’ai connu des femmes qui ne se donnaient plus à leur époux. Elles disaient par exemple qu’elles leur avaient donné des enfants, c’était déjà bien. C’est l’idée qu’avoir une relation sexuelle, c’est pour avoir un enfant. Je leur dis toujours qu’un homme a une vie sexuelle, qu’il en a besoin, Elles répondent que cela ne les intéresse pas. Je les avertis : si elles ne veulent pas que l’homme aille chercher ailleurs, il faut qu’elle se donne un peu plus. Inutile de vous dire que ça se solde souvent par des divorces et que l’on comprend un peu l’époux…

C. L. : On entre dans la casuistique, parce que dans ce domaine il y a beaucoup de cas différents, ça peut être l’inverse, ou les deux ensemble.

P. C. : Mais là d’un point de vue ecclésial, quand j’entends un couple qui vient me voir pour me dire : « On ne s’aime plus », c’est qu’il n’y a plus le don à l’autre ; il n’y a plus de relations sexuelles, même s’ils ne s’engueulent pas. Quel est le chemin qu’il faut leur proposer pour qu’ils redécouvrent celui du don ? Comment vont-ils pendant un temps renoncer au plaisir pour aller à la source de la joie qui est dans le cœur ? À cette source, ils vont découvrir l’impor­tance du don. Après ce renoncement, il peut y avoir une source de fécondité. C’est le chemin des Écritures. Quand le Christ dit : apprenez à mourir à vous-même, mais à mourir à vous-même pour mieux vivre. Il s’agit de vivre. Ou il s’agit de se perdre pour mieux se retrouver. S’ils sont prêts à faire ce chemin, on peut redémarrer. On essaie de réécrire une autre histoire, une autre page de leur histoire. Parfois ça marche, parfois non, et, s’il y a eu des infidélités, c’est encore plus compliqué.

C. L. : Vous donnez ici l’esprit de la pastorale.

P. C. : Oui, je me pose toujours la ques­tion de savoir comment je peux les aider. Mais parfois ce n’est pas de mon ressort ; il faut voir un psychanalyste. Mon travail comme pasteur, c’est de leur demander si je peux faire avec eux un bout de chemin. Sont-ils prêts à avoir une audace, celle de reconstruire ? Cela marche pour certains. Généralement, je vois l’épouse, puis je vois l’époux, puis je demande s’ils acceptent que l’on se voie tous les trois. Mais je me situe uniquement comme pasteur. Je ne fais pas de psychologie, même s’il faut avoir un brin de psychologie.

C. L. : Vous insistez sur la dimension duCœur.

P. C. : Je crois beaucoup à l’éducation du cœur. C’est ce qui manque beaucoup dans l’éducation. Il faudrait relire Maritain. L’humanisme intégral, c’est quand même quelque chose. On éduque aujourd’hui les esprits, les cerveaux, on éduque le corps, on n’éduque ni le cœur ni la conscience. On touche à un problème qui est très grave ; c’est qu’aujourd’hui la famille qui doit être un lieu de transmission, ne l’est plus. La courroie de transmission a cassé depuis plusieurs années. L’État au travers de l’Éducation nationale ne transmet plus. La famille ne transmet plus et l’Église a beau­coup de mal à transmettre. Nous sommes trois institutions qui étions des lieux de transmission et qui ne transmettent plus. Monseigneur Lustiger disait : « Une société qui ne transmet plus est une société qui crée des barbares. Ces barbares, ce sont vos enfants. » Il a écrit cela il y a quarante ans. Ils ne sont pas que dans les banlieues ! Je vois par exemple comment les enfants peuvent taper sur leurs parents. Je vois bien à quel moment ça s’est cassé, mais je n’arrive pas à voir comment on va rattraper cela. Il faut structurer. Or ce qui est ennuyeux, c’est que nos ados ne sont pas structurés. L’enfance qui devrait être le temps de la discipline, le temps où l’on se forme, de la structu­ration a disparu. Si je prends l’Ancien Testament, le temps de la structuration, ça doit être le Décalogue, il faut en passer par là.

P-C. C : Comme le dit Lacan, ce sont les lois de la parole par lesquelles il faut passer pour vivre avec autrui.

P. C. : L’enfant va chercher — et c’est normal — jusqu’où il peut aller. Ses parents doivent lui dire : maintenant c’est comme ça, et s’il n’obéit pas il doit être puni.

C. L. : Nos maîtres, aussi bien Freud que Lacan, considéraient la famille en tant qu’institution comme ce qui permettait l’accès à la culture. L’éducation, c’est le temps du refoulement de la sexualité infantile. Si dans la famille il n’y a pas des instances qui répriment cette sexualité infantile, l’enfant ne peut pas avoir accès à la culture. Il retrouvera la sexualité à l’âge adulte, c’était la théorie de Freud ; c’est la question qui aujourd’hui se pose, parce que les enfants ne peuvent plus refouler leurs pulsions. Ils vont sur Internet, sur les écrans.

P. C. : C’est ce que les parents viennent me raconter et il ne faut pas s’étonner qu’on parle de harcèlement sexuel, etc. Il faut absolument faire des écoles de parents et dire aux parents : voilà comment on éduque un gosse. Il y a l’âge de l’enfance, ensuite l’âge de l’adolescence : si je m’appuie sur la pensée thomiste, l’ado­lescence, c’est la formation par les vertus. Il s’agit de déployer la structure mise en place au moment de l’enfance par les sept vertus, les quatre cardinales et les trois théologales, par les dons de l’Esprit, cela fait partie de nos humanités. On n’a rien inventé. L’adoles­cence est un âge de la transmission, mais on ne transmet plus rien. On constate la démission de certains professeurs dépassés ; dans certains quartiers, c’est effrayant. Si on parle de telles choses, on est insulté. L’éducation doit donc être une priorité des parents qui sont quand même chargés de l’éducation de leur enfant. Or nous sommes dans une société adolescentrique. Comment se fait-il qu’à 3 o ans nos jeunes restent toujours dans l’âge de l’adolescence ? Autrefois à 20 ans on n’était plus ado. Quand on entrait en fac, on n’était plus ado. Un jeune qui entre dans sa maturité, c’est celui qui équilibre sa personnalité et en même temps son ouverture à autrui. Deuxième critère : intériorité et extériorité. Troisième critère : pour soi et pour autrui. Si ces trois critères sont équilibrés, on peut dire qu’il y a liberté. Le problème de nos jeunes, c’est qu’il n’ya pas de liberté. Ils ont juste la liberté de faire n’importe quoi. La vraie liberté, ils ne l’ont pas ; c’est pour cela que ces jeunes végètent dans une adolescence régressive et comme l’École n’arrive plus à transmettre une culture, avec cette génération apparaît une autre culture. Ce qui m’étonne, c’est qu’une culture ne part jamais ex nihilo. Or cette nouvelle culture n’a aucun lien avec ce qui nous a formés.

P.-C. C. : Notamment peut-être avec les textes…

P. C. : Lire un texte, c’est quelque chose, souligner, marquer. Là ils copient. Et ils collent. Je dis à mes séminaristes : ce n’est pas la peine de découper sur Wikipédia, cela ne m’intéresse pas. Je leur dis : je vous donne un texte et je voudrais voir ce que vous en sortez, comment vous vous affrontez à ce texte. Quand je faisais passer le bac il y a quelques années, à propos d’un texte je leur demandais : qu’est-ce que vous avez retenu ? Ils me répondaient : rien. Construire une nouvelle culture à partir de rien, c’est de la folie furieuse. Je voudrais défendre tous les jeunes qui ne sont pas responsables. Le travail qu’il faudrait faire aussi, c’est de savoir comment un parent va aider un jeune, quel discernement, quel outil va l’aider à penser. Cela ne va pas l’aider à penser, s’il est uniquement abruti par les textes qui défilent. Le ministre qui a l’air d’avoir au moins les pieds sur terre souhaite que tous nos élèves sachent lire et écrire.

C. L. : Commenter, c’est étymologique­ment penser avec.

P. C. : Il faut s’affronter aux textes, essayer d’entrer dans la pensée de ce texte.

P-C.C. : Il y a une autre question qui nous préoccupe, nous nous interrogeons sur la position de l’Église concernant les boule­versements anthropologiques auxquels nous assistons depuis quelques années pour ce qui continue bon an mal an de s’appeler la famille.

C. L. : Oui, quand il y a deux pères, quand il y a deux mères…

P-C.C. : Pouvez-vous expliciter la position de l’Église sur cette mutation ?

P. C. : L’Église ne peut encourager cette mutation. Nous avons dit au début : atten­tion, ça va créer une violence, nous disons que la symbolique père-mère ne fonctionne plus. Quel va être le repère paternel pour un garçon, s’il est éduqué par deux femmes ? Comment va-t-il se structurer, s’identifier par rapport à ces femmes ? Mais lorsque ces enfants viennent aujourd’hui et demandent un baptême, l’Église les accueille. On ne dit pas : vos parents sont homosexuels, c’est non pour le baptême. La seule chose, c’est que si l’enfant est baptisé, il faut que les parents s’engagent à lui donner une éduca­tion religieuse. On demande au couple homosexuel qui veut baptiser son enfant s’il ne sera pas gêné qu’on parle du mariage et de la nécessité qu’il y ait un père et une mère. Certains acceptent. D’autres disent : vous n’êtes pas ouverts. On accueille ces enfants au catéchisme et ils sont traités comme les autres.

Bien sûr, l’Église ne peut pas encourager, parce que l’Église dénonce la violence de la déstructuration en cours. On a beau nous dire que ces enfants sont merveilleux et qu’il y a moins de problèmes qu’avec les autres. En réalité ce sont des lobbys qui déclarent que ce qui était du bon sens est devenu le mauvais sens et que le mauvais sens est devenu le bon sens pour eux.

P-C. C : Les points de repère se sont inversés.

P. C. : Mais les gens sont quand même paumés ; ils ne savent pas s’ils peuvent le faire ou ne pas le faire. Je ne sais pas s’il faut dire qu’il n’y a plus de morale, je dis simplement que les gens sont perdus.

P.-C. C. : Dans ce climat de perte des repères, comment évolue, Monseigneur, la pratique de la confession ? Que cherchez-vous ?

P.C : La confession est là pour redonner la grâce du pardon. Il s’agit de savoir comment je vais réconcilier quelqu’un avec lui-même, avec Dieu et avec le monde. Notre-Dame est un lieu où beaucoup de gens viennent. C’est un lieu anonyme et de dialogue. Il faut accompagner la personne et tout ne se fera pas en un jour. Nous sommes à côté du Marais ; nous confessons ici beaucoup d’homosexuels. Je leur demande de faire un chemin : il ne faut pas mettre la barre à i m 8o, s’il n’arrive qu’à franchir 3 o cm. S’ils viennent, c’est pour entendre une parole de réconfort, pour qu’ils se rendent compte que Dieu les aime comme ils sont, parce que c’est une communauté qui culpabilise beaucoup. Je vais les aider à retrouver une liberté intérieure, non pas les transformer en hétéro. Le travail de la confession peut aider. Pour des enfants, lorsque je leur demande si c’est bien de regarder toutes ces cochonneries sur Internet — il y en a qui sont accros ; il faut leur expliquer, parce que ce n’est pas une évidence pour eux que ce soit peccamineux, tout le monde le fait, tout le monde regarde.

Je constate en confession, sans dévoiler le secret de la confession, que tout le monde est addict à la pornographie. Il faut aider ces enfants et ces gens à reprendre une distance. Quand un enfant à 10 ans commence déjà, qu’est-ce que ça va être à 3 o ans ? Quelle image l’enfant a-t-il de la sexualité dans ce cas ? Il sera profondé­ment blessé et va refaire ce qu’il a vu dans la pornographie.

P.-C. C. : Pourriez-vous maintenant, Monseigneur, me dire de façon synthétique le message de la dernière Encyclique à l’adresse des femmes et des hommes ?

P. C. : Il va falloir commencer par redécouvrir qui est Dieu, purifier toutes nos représentations de Dieu qui sont erronées : Dieu justicier, Dieu Père Fouettard, Dieu moralisateur. Il faut se dire que notre Dieu est un Dieu de tendresse : Dieu vous aime comme vous êtes. La démarche que vous avez à faire : êtes-vous prêt à être en vérité ? A apprendre à vous connaître, à vous aimer avec vos limites, vos tendances, votre histoire de péchés, et à vous regarder ensuite avec les yeux de Dieu. C’est une urgence, parce qu’il y encore un fond de jansénisme chez les chrétiens qui implique la peur de Dieu. Il ne faut pas qu’il y ait cette peur de Dieu. Ce point de départ va créer une confiance dans le chemin qu’il faut faire. Les peurs vont tomber. Il faut partir de l’être de Dieu. Le pape François y insiste beaucoup : Dieu n’est pas ce Père Fouettard.

C. L. : Vous revenez encore une fois, Monseigneur, sur la question du cœur.

P. C. : Dans l’Ancien Testament, Dieu est souvent lent à la colère, plein de miséri­corde. Qu’il se mette en colère de temps en temps, il y a de quoi avec toutes les bêtises qu’on peut faire. Car c’est un père. Mais la colère ne dure qu’un temps. Sa bonté est éternelle. Mais c’est vrai, il n’y a plus la foi, on n’arrive pas à transmettre la foi. C’est sans doute cela qui crée une distance et un problème avec l’islam, pas avec le judaïsme avec lequel nous avons des racines communes.

P.-C.C. : Il y a d’ailleurs beaucoup de réfé­rence à l’Ancien Testament dans le texte du pape, voire au texte hébraïque.

P. C. : Le problème est avec l’islam. Un jour Boubakeur me dit : « Je vous remercie d’accueillir de jeunes musulmans dans vos écoles catholiques, parce que vous leur donnez des valeurs qui évitent le fondamen­talisme et l’intégrisme. » Le fait que nous ne transmettions plus — l’islam transmet — et en plus la transmission est identitaire. Il faut bien réfléchir à cela. Comment nous, Église, nous transmettons ?

C.L. : Mais l’islam et le judaïsme sont-elles des religions de la foi ?

P. C. : Ce sont des religions du Livre. Le christianisme n’est pas une religion du Livre. Le christ n’a rien écrit. Ce sont les disciples qui ont écrit. Dans le christianisme, on se met à la suite de quelqu’un. La transmis­sion n’est pas la transmission d’un savoir, mais d’une expérience. Comment un jeune va-t-il faire l’expérience de la rencontre avec le Ressuscité ?

C.L. : La question se pose de savoir si la foi se transmet si facilement.

P. C. : La foi est une vertu théologale. Dieu transmet la foi au baptême. Comment vais-je faire grandir ce germe ?

C. L. : Une dernière question, j’ai été très intéressé par une des dernières bulles pontificales qui transforme l’Institut ponti­fical Jean-Paul II pour l’étude de la famille et du mariage en Institut de la science de la famille et du mariage qui intègre, compte tenu de la révolution anthropologique dans le cadre universitaire, les apports des sciences sociales et de l’anthropologie. C’est une avancée qui n’a pas dû être simple.

P. C. : C’est la cohérence du pape Fran­çois : après l’exhortation, quel est le lieu qui va transmettre ? Le pape va vite. Il y a eu des tensions. Le pape veut qu’on intègre toutes ces dimensions qui n’étaient pas assez intégrées à son goût dans l’Institut Jean-Paul II. On ne peut pas vivre dans une bulle en 2018…

C. L. : C’est le cas de le dire.

P. C. : Il faut qu’il y ait une rencontre de l’Église avec ce monde.

C L. : Vous avouerez que le mot est fort, « science du mariage et de la famille ».

P.-C.C. : On peut comprendre que cela ait pu choquer.

C. L. : Ce qui signifie que concrète­ment la formation pastorale va évoluer considérablement.

P. C. : Il ne faut pas donner une formation étriquée, pas de psychorigides aujourd’hui. C’est ce qui m’inquiète avec l’inté­grisme. Mais le pape est un peu étonnant à ce niveau-là : il est prêt à faire rentrer dans l’Église la Fraternité Saint Pie X, alors qu’elle n’accepte pas Vatican II, qu’elle critique le pape. Les psychorigides existent partout et aujourd’hui tout est fragile. Avec un psycho­rigide, ça explose de partout. Il faut dire, voilà ce que l’Église pense, voilà ce que l’Église dit. Il faut que nous rendions compte de notre foi et de notre espérance. Ensuite on fait un chemin. On n’a pas le temps d’expliquer. Quand un journaliste affirme que l’Église dit non à telle chose, nous avons trente secondes pour dire pour­quoi elle dit non ; on n’a pas le temps de s’expliquer. On est bien obligé de dire d’abord la Loi. Le dogme, c’est une borne. Il y a la tendance où il n’y a plus de bornes ; chacun fait ce qu’il veut. Il y a la tendance où les bornes sont des murs.

C. L. : Le problème, c’est que les pensées fermées ont du mal à être entendues.

P. C. : Oui, peut-être parce que c’est trop rigide.

C. L. : Est-ce que c’est parce que c’est trop rigide, ou c’est parce que c’est ferme ? Il y a une intolérance à une pensée ferme qui accepte des principes, des axiomes, des dogmes. C’est devenu insupportable.

P. C. : L’Église vit de dogmes, même si elle n’est pas dogmatique. Tant pis pour ceux qui ne sont pas d’accord.

C. L. : Vous avez le sentiment, vous, dans votre expérience person­nelle que ça devient audible ?

P. C : Je pense qu’il y a des points sur lesquels il faut vraiment insister, l’image du père, faire travailler sur la notion de liberté, de don, comment l’être se donne, comment je vais m’offrir. Ma troisième insistance c’est une morale du bonheur. Cela m’a libéré. Le pape montre un chemin, il faut que, nous, nous continuions, la vraie réforme sera là. Il faut donner une autre image de l’Église qui a encore une image de dureté. Il faut rejoindre les gens là où ils sont pour essayer de dire une parole d’espérance, donner du sens dans un monde de non-sens, et que ma vie ait du sens, même si c’est tendu. Le sens n’est pas quelque chose de rigide. C’est la notion de discernement. Comment aider à discerner ? La première lecture, c’est le Livre de la Sagesse.