Daniel Cassini – Lacantor : l’infini turbulent
AEFL Séminaire de psychanalyse 20008-2009
« Souvent, comme une noble semence, le cœur des mortels reste endormi dans son inerte enveloppe, jusqu’à ce que le temps soit venu. »
Ainsi prophétise dans Hypérion, Hölderlin, avant de s’inscrire jusqu’à sa mort en 1843 et durant 37 ans dans le temps sans limites de la psychose, la durée nullepartout de la folie. Depuis la petite chambre du menuisier Zimmer à Tubingen, au-dessus du Neckar, Hölderlin rédigera et signera, avec humilité, comme il l’écrit lui-même, sous le nom de Scardanelli, des poèmes datés du 9 mars 1940, du 3 mars 1648 ou du 24 mai 1748.
Hölderlin, qui dans des pages ne devant rien à la folie cette fois mais à son génie poétique aura bien avant son effondrement évoqué, « le point de vue infini à partir duquel “la triple nature du je poétique” peut se déployer et se manifester la transition d’un infini déterminé à un infini plus général ».
Plus près de nous, je me souviens de la première fois où j’ai eu l’honneur — et le trac ! – de participer à un séminaire de psychanalyse. J’intervenais alors, comme je l’avais précisé, au titre de « simple analysant », ce que je suis demeuré en quelque sorte, mais sur un autre bord : « Je me souviens, déclare John Cage dans un entretien accordé à la revue Tel Quel, d’un moine zen qui était illuminé qui disait : maintenant que je suis illuminé, je suis aussi misérable qu’avant ». Je ne pense pas que Stoïan Stoïanoff démentira ce propos.
C’était là, dans ce séminaire, une façon comme une autre de m’autoriser à faire la passe, mon analyste m’ayant laissé prendre le risque de ma parole et de mon désir — désencombrés.
Parmi les thèmes abordés portant, tant sur le déroulement d’une analyse que sur sa fin — j’en étais là —, j’avais déclaré avec le plus grand sérieux vouloir répondre à une interrogation cruciale que posent et se posent la plupart des analysants en début d’analyse : combien de temps dure une psychanalyse ? Combien de temps ça va durer ?
Pour apporter une contribution décisive à cette question difficile, je m’étais appuyé sur le sketch d’un comique français que les plus jeunes d’entre vous, dans cet auditoire, ne connaissent sans doute plus ou mal : Fernand Raynaud.
Celui-ci avait bâti son sketch à partir d’un document authentique, le « Manuel d’instruction militaire », dans lequel il était appris aux soldats nombre de points décisifs sur l’art de la guerre moderne et notamment : combien de temps met le fût d’un canon à refroidir ? Question cruciale s’il en est.
Tout au long de son sketch, Fernand Raynaud, avec le talent qui était le sien, faisait monter le suspense avant de révéler dans une chute qui faisait s’écrouler de rire l’assistance, et qui était exactement la réponse inscrite dans l’incontournable « Manuel d’instruction militaire » que le fût d’un canon, met, met, met… met un certain temps avant de refroidir.
Pareillement, et je soutiens la même remarquable position aujourd’hui encore, j’avais indiqué que le fût d’une analyse met lui aussi un certain temps avant de refroidir… une psychanalyse dure un certain temps, le temps qu’il faudra — c’est sans doute là l’une des choses les plus pertinentes qui aura jamais été dite à ce sujet.
Je me souviens aussi, quelques années plus tard, d’une personne venue me consulter dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler les entretiens préliminaires. Cette personne, un homme, vendeur d’automobiles, envisageait de commencer une analyse, mais deux exigences étaient associées à cette demande. Cet aspirant analysant, et cela pouvait certes se concevoir de la part de quelqu’un ignorant tout de l’analyse, voulait absolument savoir combien de temps allait durer son analyse et quelles garanties j’étais en mesure de lui apporter comme quoi celle-ci lui serait profitable et à terme couronnée de succès.
Face à cette demande et après un temps de réflexion, je lui avais répondu qu’eu égard aux conditions sans appel qu’il formulait pour amorcer la tache analysante, je ne pouvais que lui conseiller d’aller chez Darty où il serait assuré d’être livré dans les meilleurs délais et avec toutes les garanties nécessaires. Cette personne n’étant pas revenue pour un deuxième entretien, j’en avais conclu qu’elle avait suivi mon conseil et commencé une analyse avec Darty, entre un frigidaire et un lave — vaisselle. D’une clinique du sujet à une clinique de l’objet — ménager, en somme !