ALAIN DIDIER-WEILL – LE SINTHOME ET LE TEMPS. LE RÉEL ORIENTÉ
AEFL Séminaire de psychanalyse 2008-2009
Je vais essayer de reprendre la question du sinthome et son lien avec le temps.
Je vais dans un premier temps me rapprocher de ce séminaire (« la topologie et le temps ») non pas en le commentant directement mais en situant cette question dans le parcours de Lacan et en repérant dès le début de son enseignement ce qui prépare l’arrivée de cette question qui se pose plutôt à la fin.
Je voudrais pour commencer attirer votre attention sur une phrase qui est peut-être trop célèbre de Lacan, parce que les phrases parfois deviennent banales et ne donnent plus l’occasion de s’interroger, c’est cette phrase par laquelle Lacan a créé un petit scandale dans le milieu psychanalytique en polémiquant un jour avec ses partenaires de l’IPA : « le psychanalyste ne saurait s’autoriser que de lui-même » et après il dira « et de quelques autres ».
La dimension polémique de cette formule voile un peu tous les présupposés théoriques qui ne sont pas énoncés en même temps et qui sont les suivants et vous verrez qu’ils préparent déjà la question du sinthome : en énonçant cette petite phrase qui n’a l’air de rien, ce que dit Lacan aux responsables de l’IPA qu’il va situer ultérieurement comme des gens en position de maîtrise, dans le discours du maître, c’est donc, véritable question théorique, au-delà de la polémique, qu’il y aurait un réel, le réel de l’identité de l’analyste qui serait soustrait à la possibilité de la nomination. Le conflit de départ entre Lacan et l’IPA venait du fait que les analystes de l’IPA étaient dans une structure de hiérarchie, les analystes étaient nommés ou reconnus tels par un jury traditionnel qui disposait de cette possibilité de donner le titre d’analyste. Lacan, donc pose implicitement la question, si l’analyste ne saurait s’autoriser que de lui-même, la question est : qu’est ce qui fait que le réel est quelque chose qui ne peut pas être nommé, qui renvoie à quelque chose de silencieux qui ne peut pas être traité par la proclamation d’une nomination. Et d’emblée, on peut dire qu’il met au cœur de ce qui dans son enseignement dans son articulation du symbolique et du réel, il sera amené à dire : que l’inconscient c’est ce qu’il nomme le réellement symbolique, et le réel, il le nomme : le symboliquement réel. L’inconscient, il dit que c’est le lieu où ça parle, ça on le savait, mais là où ça parle, la vérité est sans cesse hypothéquée du fait de la présence de la Verneinung, hypothéquée du fait de cette méconnaissance. On ne peut s’approcher de la vérité que par le biais du mensonge. La négation, la Verneinung, permet de s’approcher de l’affirmation du vrai. Donc dit-il, l’inconscient parle par l’intermédiaire du mensonge et c’est à cet égard qu’à la fin de son enseignement, dans le séminaire qui suit le sinthome, il est amené à dire que le réel, lui, dit la vérité mais ne parle pas. D’emblée est introduite cette idée d’une vérité qui ne se transmettrait pas par la dimension du parler et là, c’est un coup d’œil rapide que je fais, à ça on répondra qu’existe une autre dimension de la parole par l’intermédiaire de la couleur, l’intermédiaire d’une note de musique, de l’art, que quelque chose de l’ordre de la vérité peut se dire qui échappe au pouvoir des mots. Lacan propose le terme d’hyperverbal pour évoquer ce que la production artistique transmet. Avec ce terme, Lacan prend un écart avec ce qu’est la parole. La parole, donc, il s’agit de voir dans quelle mesure elle est liée au réel que transmet l’Art, sans pouvoir le dire nommément.
J’aime bien revenir au point de départ de Lacan car dans le point de départ d’un penseur on trouve en germe des choses qui ultérieurement se diront, comme au début d’une symphonie, dans les premières notes, on entend beaucoup de choses de ce qui va se passer par la suite.
Dans l’originaire auquel je pense, le premier séminaire que fait Lacan, une question est posée : à une époque où le dialogue avec le public était fréquent, ce jour-là, la question était de savoir comment des psychanalystes pouvaient entendre le signifiant le plus originaire, dans la rencontre avec l’humain. Une proposition est faite alors de commenter le prologue de St Jean. In principio erat verbum : au début était le verbe. La question autour de quoi tourne Lacan c’est : à quoi renvoie verbum, mot latin ? C’est une traduction latine qui renvoie au grec Logos (LogoV), mais le grec Logos lui-même renvoie à l’hébreu ou à l’araméen. Une discussion oppose alors Lacan et son disciple le plus proche de l’époque : Serge Leclaire. À quoi renvoie verbum ? Pour Leclaire, qui exprime le sentiment de la plupart des analystes, verbum c’est en fait la façon dont la parole intervient dès le début dans la genèse : Fiat lux, c’est-à-dire cette parole souvent évoquée : le verbe iei, et donc la question serait : est ce que l’origine de la parole appartient à la langue grecque qui parle de logos ou à l’hébreu qui évoque la question du davar, c’est-à-dire la question de la parole avec une énonciation. Leclaire propose de comprendre qu’il faut rattacher l’originaire à davar, or Lacan intervient d’une façon qui surprend en disant qu’il y a plus originaire encore que fiat lux. Fiat lux, c’est la première intervention où la voix d’Elohim se fait entendre et par l’énonciation fait surgir lux, la lumière : le réel.
Or Lacan propose de comprendre qu’il y a plus originaire, et il maintient de dire que selon lui il y a plus originaire que davar (à l’époque il ne connaissait pas toutes les occurrences que contient ce mot hébreu, notamment Aleph : la lettre imprononçable.)
Toujours est-il qu’il maintient que l’originaire serait Logos, pourquoi Logos, ce qui surprend parce que la conception du logos grec c’est le signifiant qui renvoie à ce qui est présent dans l’univers mais qui ne parle pas. Lacan maintient Logos parce qu’il y a dans le signifiant une capacité créatrice radicale mais c’est un signifiant muet, qui ne parle pas encore et c’est ainsi qu’il va être amené à introduire la conception freudienne de Thanatos : la pulsion de mort, c’est comme un ordre symbolique muet, c’est-à-dire le plus originaire du signifiant dont l’efficacité la plus originaire serait de concevoir une efficacité muette du signifiant : un signifiant qui prépare la venue de la parole mais qui ne parle pas encore. Ses partenaires lui opposent cette proximité avec la pensée grecque et sa façon de parler du logos. Ce n’est effectivement pas vraiment le logos grec mais c’est pour Lacan un logos vivant et pas un logos impersonnel, pour autant qu’il serait habité par ce qu’il appelle la scansion et qui deviendra ultérieurement quelque chose de plus précis dont je vous parlerai après.