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PERVERSCOPIE / Faut-il sauver les choses cochonnes ?

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Michel Froidevaux au vernissage de l’exposition « The Wierdest Boner » de Maxime Genoud, à la Galerie Humus, mai 2019. © La Fête du Slip / Jérôme Klotz

Texte paru dans le Blog de Libération, Les 400 culs, écrit par Agnès Giard – 10 novembre 2020.

Créateur de F.I.N.A.L.E. – la seule et unique fondation au monde dédiée à la sauvegarde des «expressions érotiques» – Michel Froidevaux nous a quitté. Quelques jours avant ses 69 ans.

Il avait l’air timide. Son bureau était envahi par des piles de revues pour adultes, jouxtant de sérieux catalogues intitulés Das Intime Lexikon. Michel Froidevaux, souriant, montrait ses trésors d’un geste flegmatique : «J’archive». On regardait avec lui les couvertures du mensuel Big Boobs et les annonces du Petit Fripon comme autant d’occasion de se réjouir. Il commentait d’un ton serein : «des stratégies extrêmement subtiles sont à l’œuvre pour mettre en branle le sexe.» Puis il montrait ses trésors, farfouillant dans les entrailles d’armoires remplies de documents introuvables : affiches pornos, dirty comics, cartes postales coquines, travaux savants sur les cultes phalliques, manuels d’abstinence publiés par des associations évangéliques… Tout avait grâce à ses yeux.

Sauver les «expressions érotiques»

Il est mort d’une tumeur au cerveau ce dimanche 1er novembre, laissant derrière lui un des projets les plus fous que la Suisse puisse abriter : à Lausanne, la Fondation Internationale d’Arts et Littératures Erotiques (F.I.N.A.L.E.), reconnue d’utilité publique, abrite une étonnante collection d’images, d’objets, de textes et d’imprimés tournant autour de l’érotisme. En 2016, Michel Froidevaux m’expliquait : «À ma connaissance, le centre de documentation le plus important est le Kinsey Institute, à Bloomington, rattaché à l’Université de l’Indiana. Fondé en 1947 par Alfred Kinsey, il s’est donné pour mission “de promouvoir l’étude de la sexualité humaine, tant sur le plan de la santé qu’au niveau des savoirs, et ce, à un niveau mondial”. Mais ce centre n’abrite pas les documents que l’on peut trouver à F.I.N.A.L.E

Tire-bouchons polissons…

Tire-bouchons polissons, ex-libris licencieux, journaux intimes de curés délurés…. Comparée aux centres spécialisés en sexologie ou en études de genre, la Fondation ne se contente pas de conserver des livres. Elle veut sauver un patrimoine. «A F.I.N.A.L.E., nous souhaitons entretenir un climat de curiosité à l’égard des plaisirs de la chair et valoriser une approche à la fois rigoureuse, mais ludique, surprenante, voire parfois cocasse de la chose. Le sexe trop sérieux ou trop cérébralisé n’est pas trop notre tasse de thé. C’est un peu comme pour l’humour, une approche trop desséchante peut rendre la chose barbante ou absconse…». Créant sa Fondation comme un lieu de partage, Michel Froidevaux en avait fait le coeur d’une intense activité d’édition, d’archivage et d’échanges.

Images clandestines

Il y accueillait portes ouvertes et invitait volontiers ses donateurs à lui remettre les objets de cul les plus bizarres, les collections honteuses du défunt grand-père ou pire, des oeuvres d’érotomanes inconnus, des cahiers anonymes remplis de turpitudes, bref, tout ce qui normalement atterrit à la poubelle. Quand quelqu’un meurt, on trouve parfois de drôles de choses dans ses affaires. Les héritiers font le tri. Michel Froidevaux, lui, refusait de le faire. Il voulait tout préserver, à commencer par les formes les plus triviales de l’érotisme populaire. «Nous sommes contents d’avoir pu “sauver” de la destruction et de l’oubli des plaquettes, des brochures, des images produites semi clandestinement et qui étaient écoulées sous le manteau ou dans des officines réprouvées par l’officialité. Ainsi, nous avons beaucoup de documents qu’on ne trouverait pas dans des bibliothèques nationales, qui s’approvisionnent grâce au dépôt légal.»

Interdit d’interdire

Il ne lui suffisait pas d’avoir un fond de référence sur les sexualités. Pacifiste libertaire, auteur d’une thèse sur l’anarchisme, Michel Froidevaux parlait volontiers de sa mission «œcuménique» : dans sa volonté de défendre même les formes jugées vulgaires ou saugrenues de l’érotisme, il allait jusqu’à retenir les pamphlets issus des ligues moralisatrices ou les mises en garde cléricales à l’encontre du sexe… Chez lui, il était décidément interdit d’interdire. La Fondation est à son image : elle se trouve dans une maison ancienne entourée de vieux pavés, rescapée des opérations immobilières environnantes. Au rez-de-chaussée, la librairie HumuS, avec sa moquette rouge, offre un espace dédié aux contre-cultures (visuelles, écrites, sonores), à l’humour et au Japon. Elle jouxte l’atelier de tissage de Danièle Mussard, la compagne de Michel Froidevaux. A l’étage, une galerie d’art au plancher grinçant accueille des expositions d’art érotique où ont été présentées les oeuves aussi bien de Roland Topor, que de Giger, Willem, Albertine, Jean Fontaine, Marie Morel, Romain Slocombe ou Gilles Berquet…

Etre plaisant, se faire plaisir

Partout, dans cette maison remplie de souvenirs, on bute sur des livres remplis de corps à corps, des images loufoques, des présentoirs bourrés d’objets insolites et d’oeuvres piquantes. Entrer à F.I.N.A.L.E. c’est entrer dans l’univers des rencontres pas sages. C’est d’ailleurs là que se retrouvent les artistes mutins, les activistes de l’Underground, les gens qui font la fête du Slip et ceux que Michel Froidevaux nommait les amateurs de «conplaisance», de bon vin et de bons mots. Quand on lui demandait de définir la sexualité, il répondait avec une feinte candeur que c’était un moyen de «reproduire la vie» mais surtout de «quitter la pesanteur terrestre». «S’envoyer en l’air», quelle meilleure façon d’échapper aux lourdeurs. Michel Froidevaux était léger. Il s’est envolé très haut.

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Librairie HumuS : 18bis rue des Terreaux – Lausanne – 
Suisse. Tél. : +41 21 323 21 70. Site : https://librairie.humus-art.com.

Fondation F.I.N.A.L.E.

Galerie HumuS : https://galerie.humus-art.com/

Editions HumuS : https://editions.humus-art.com/

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