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Jean-Pierre Lebrun – Où est passée la perversion ?

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Je commencerai par cette petite anecdote qui en dit long sur « l’immonde sans limite » auquel nous avons affaire aujourd’hui : un chauffeur de taxi, outré par les abus et corruptions de toutes sortes en vigueur dans notre monde, me dit son embarras : j’ai trois filles, et je ne sais plus à quoi je dois les éduquer : au vice ou à la vertu !

Il ne faut pas unifier la perversion. Il existe « des » perversions et elles ne sont pas toutes à mettre sur le même plan.

Ainsi si, bien sûr, la structure perverse est l’une des trois structures à laquelle se réfère sans cesse la psychopathologie, il n’en reste pas moins que la perversion entendue comme l’organisation psychique qui défie la Loi, enfreint celle-ci tout en sachant ce qu’elle est, souvent d’ailleurs celle du père, se débarrasse de toute altérité, se supportant de l’idéal d’un objet inanimé et donc instrumente l’autre, et ne vise que la jouissance, cela sans culpabilité n’est pas la seule perversion que nous rencontrons.

Il y a d’abord aussi évidemment ce que Freud nous a appris très tôt dans son œuvre, à savoir l’existence de la perversion polymorphe de l’enfant.

J’ai ajouté dans « La perversion ordinaire » qu’aujourd’hui, nous voyons la maintenance de cette perversion polymorphe au-delà de la période de l’enfance ; celle-ci continue à exister chez l’adulte, à organiser son existence et c’est ce que j’ai appelé précisément « perversion ordinaire » qui n’est pas sans donner des tableaux cliniques « d’allure perverse » mais sans pour autant que nous n’ayons à faire à des sujets véritablement pervers.

Je me demanderai avec vous aujourd’hui s’il ne conviendrait pas d’identifier qu’une autre manière de perversion, pourrait voir le jour : perversion sans la norme et non plus perversion contre la norme

La perversion éclaire la vie sexuelle.

Mais je reviens d’abord à Freud qui parle de perversion polymorphe de l’enfant précisément parce qu’y sont déjà à l’œuvre les composantes de ce qui pourra chez l’adulte se retrouver dans les comportements qualifiés de perversions : la jouissance de se remplir oralement chez le boulimique, le plaisir de voir dans le voyeurisme, celui de se montrer dans l’exhibitionnisme, la jouissance de maîtriser ses sphincters dans l’emprise et le sadisme…

Dans la vingtième de ses conférences rassemblées sous le titre d’Introduction à la psychanalyse, qu’il avait prononcées entre 1915 et 1917, donc pendant la première guerre mondiale, Freud fait le point sur la vie sexuelle humaine et avance que les pratiques que l’on interprétait comme des pathologies de la sexualité et qu’on déclarait de ce fait perverses ne le sont que parce qu’elles se détournent de l’obligation de s’organiser en vue de la procréation ; autrement dit, qu’elles sont bel et bien de même nature que la sexualité dite normale mais qu’elles se pervertissent du fait de se détourner de ce qu’elles devraient viser.

Remarquons qu’il n’y avait là, de sa part, aucun jugement moral et il ajoutait même : si nous ne comprenons pas ces configurations pathologiques de la sexualité et si nous ne pouvons pas les concilier avec la vie sexuelle normale, alors c’est la sexualité normale que nous ne comprenons pas non plus.

Le ton est donc là bien donné : la sexualité que l’on qualifie de perverse, loin de constituer l’anormalité, dit plutôt la vérité de la sexualité.

Voilà pourquoi Freud s’est autorisé à avancer que l’enfant est un pervers polymorphe ! Non seulement il démontrait ainsi que la sexualité était déjà présente chez l’enfant, mais surtout qu’elle constituait la nature même de la sexualité ; celle-ci n’était alors qualifiée de perverse seulement dans la mesure où elle s’était détournée de la subordination à la procréation, alors qu’en soi, elle était parfaitement semblable à la sexualité adulte.

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