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ESTHER TELLERMANN – Sade conteste Sade

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« Que l’œuvre de Sade anticipe celle de Freud, fût-ce au regard du catalogue des perversions, est une sottise » dit Lacan dans son écrit Kant avec Sade qui devait servir de préface à La philosophie dans le boudoir dans les quinze volumes des éditions de Sade au Cercle précieux de 1963. Il en fut la postface, la préface étant de Klossowski.

C’est qu’en effet, dans le boudoir, les « instituteurs immoraux » initient la jeune Eugénie à une pratique sexuelle qu’autorise la délégation que Sade fait dans sa conception de la République du droit égalitaire à la jouissance, mais d’une jouissance non organisée autour du manque de l’objet, du phallus symbolique, mais autour du franchissement des limites de la castration en une mise en scène inouïe entre la voix qui ordonne les arrangements et les poses et un phallus imaginaire jamais détumescent sinon dans le court repos qu’impose l’acmé atteinte et à recommencer.

Modernité de Sade, reléguant les limites qu’impose le principe de plaisir à la jouissance en une ère dépassée, dit Lacan.

Rappelons qu’il fut pour cela — pour ses actes (blasphèmes, débauches, sodomie) puis ses écrits — emprisonné vingt-sept ans de sa vie dont treize ans à l’asile de Charenton.

Transféré en 1784 de la prison de Vincennes — où il était incarcéré depuis 1777 — à la Bastille, il y composa son premier roman, chef-d’œuvre de la littérature, Les 120 journées de Sodome dont la perte de son vivant, en 1789, lui fera verser « des larmes de sang ». Conscient de la possibilité de saisie de ce manuscrit inachevé, il en avait établi une copie en écriture minuscule sur un rouleau de papier de plus de douze mètres, composé de petites feuilles de douze centimètres de large collées bout à bout. Le rouleau sera retrouvé dans son cachot par Arnoux de Saint-Maximin, caché dans un godemichet, dit-on.

Ces 120 journées de Sodome, variations fuguées des fantasmes puis des pratiques de quatre riches libertins, maîtres du château de Silling, démontrent de façon rigoureuse, progressive, en des tableaux qui veulent rendre complice le lecteur, saisir son regard concupiscent ou angoissé, ce que veut dire le déni de la limite à la jouissance en s’en faisant l’instrument. S’appliquant à se réguler sur l’excès de cette jouissance, ne cessant de vouloir l’atteindre, de ne pouvoir que ponctuellement mettre la main sur l’objet du désir dans l’indifférenciation sexuelle, en autant de cons, de vits, d’étrons, afin de s’en rendre maître. Mais que cet objet, partie du corps de l’autre, des petites filles, des pucelles, des jeunes garçons enlevés à leurs parents pour être le gibier des orgies des libertins, ne soit jamais adéquat à satisfaire la pleine jouissance — toujours reconduite — autorise autant d’arrangements, de postures, aboutissant graduellement à la torture puis au meurtre des victimes.

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