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Nazir Hamad – Parler aux psys

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Le 28 mars 2020, en consultant Le Monde numérique, j’ai lu ce commentaire : « Pendant la quarantaine il est tout à fait normal de parler aux murs, aux plantes et aux pots. Ne consultez un psychiatre que uniquement s’il vous répond. »

Un correspondant lambda jette le pavé dans la mare des psychiatres en particulier et des psys en général. Il est dit, ça se dit, et beaucoup de psychanalystes l’affirment : « Un psy ne répond pas. » D’ailleurs, qu’a-t-il à dire, et de quelle place ?

Peut-on accepter cette idée et faire comme si le silence de l’analyste était ce qui caractérise une psychanalyse qui se veut lacanienne ? Des patients nous téléphonent ou viennent nous voir, et une de leurs premières remarques est : « Vous êtes lacanien, donc vous ne parlez pas. »

Dans L’Histoire de la psychanalyse en France, T2, E. Roudinesco relate un témoignage peu flatteur de ce que peut être le silence du psychanalyste. Se référant à Daniel Widlöcher, elle écrit :

« Il est d’abord très étonné par la technique de Lacan, non seulement par les séances à durée variable, mais par le remue-ménage qui s’instaure pendant sa cure. Le maître circule dans la pièce, rédige ses séminaires, boit son thé, fait des bruits corporels et ne profère aucune interprétation. « J’ai eu l’impression de faire une analyse, souligne Widlöcher, Lacan ne disait rien, mais il y avait une alternance entre une écoute et une absence d’écoute. Parfois des passages à l’acte. Par exemple lorsque j’énonçais une rivalité avec un tel de ma génération, Lacan disait : ‘Ne croyez pas que celui-là soit plus aimé de moi que vous’ ».

Roudinesco rajoute : « Bientôt Widllöcher supporte mal l’irrégularité dans le cours de l’analyse, les heures d’attente, la présence dans le salon de cinq à six personnes ou les renvois intempestifs. Quand il a des ennuis d’argent, il demande à Lacan d’interrompre le travail. Celui-ci l’accepte, et puis l’oblige à revenir sans que rien ne soit analysé des raisons de cette rupture. » P.334

Tout le monde connaît l’histoire de Beuffret qui, irrité par le silence de Lacan, décide de le faire parler coûte que coûte. Il lui dit au cours d’une séance d’analyse : « Il y a deux ou trois jours, j’étais chez Heidegger à Fribourg et il m’a parlé de vous. » Lacan, silencieux jusque là, lui répond :

« Que vous a-t-il dit ? » Roudinesco, p.309.

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