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Andrés Borderías* / Quand le permis devient obligatoire : l’autoritarisme de la jouissance 

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Publié le 8 juillet 2023 sur le site ZADIG. (Groupe international démocratique zéro abjection) Traduit de l’espagnol.
Illustration Hazards of firefighting in the Bronx in the 1970s.
*Andrés Borderías Psychanalyste. Membre de l’AMP (ELP).

 

On ne trouve pas chez Lacan une théorie systématique de l’autorité et de l’autoritarisme, du moins pas de façon explicite, et pourtant on peut affirmer que Lacan n’a jamais cessé de se référer à cette question, si l’on admet que l’autoritarisme dans la pratique analytique est l’effet de perte et impuissance de l’analyste devant le réel du symptôme.

S’il y a une théorie du pouvoir et de l’autorité chez Freud et Lacan concernant la cure, elle est extraite de la structure du symptôme et de l’impératif surmoi. C’est de là que l’un et l’autre ont extrait les clés pour situer la différence entre autorité et autoritarisme dans la pratique analytique et dans la vie sociale.

Ainsi, dans La Direction de la Cure, Lacan affirme : « Nous entendons montrer comment l’impuissance à soutenir authentiquement une praxis, se réduit, comme il est courant dans l’histoire des hommes, à l’exercice du pouvoir »[1].

On trouve un écho de cette affirmation chez Hannah Arendt ou chez Alexandre Kojève lorsqu’ils pointent l’usage de la force comme différence fondamentale entre autorité et autoritarisme[2]. Mais Lacan n’a jamais perdu de vue le fondement inconscient de l’autoritarisme et son caractère paradoxal, situant la cause de l’impuissance de l’autorité dans la jouissance. Freud comme Lacan pointent les exigences et les impératifs de la jouissance qui se nichent au cœur de l’être du sujet, dans ses idéaux et ses symptômes, comme le roc devant lequel s’écrase l’action du symbolique, véritable fondement réel de l’autoritarisme, dans une telle façon dont le surmoi se révèle comme l’authentique tyran qui nous habite.

Revenant à La direction d’une cure, signalons qu’à cette époque Lacan s’adressait à ceux qui posaient ouvertement la psychanalyse comme une rééducation émotionnelle du patient, entraînant la psychanalyse vers les voies de l’identification et de la suggestion[3]. Cette voie avait déjà été explorée et abandonnée par Freud après ses premiers pas avec l’hypnose, donnant lieu à ses recherches sur le transfert et la portée de l’opération analytique sur le symptôme, qui est finalement le terrain sur lequel se règle la question de l’autorité analytique.

La dérive autoritaire ultérieure de la psychologie de soi, à laquelle Lacan se réfère dans son commentaire sur la direction de la cure, ainsi que le rôle accordé à l’identification n’a pas été simplement le signe d’une erreur d’analyse, mais a plutôt eu des conséquences dans la formation des analystes et dans le fonctionnement de l’API, aboutissant à l’excommunication de Lacan en 1964.

Dans ce premier moment de critique, Lacan a pointé l’oubli de la dimension signifiante de l’inconscient, du symptôme et du sujet comme raison ultime de l’impuissance de l’analyste à soutenir sa pratique. Et à partir de là, Lacan a reconsidéré le statut de l’interprétation, du transfert et de la fin de l’analyse.

Et c’est aussi dans cette perspective qu’il s’adresse à examiner les conditions d’urgence du symptôme, faisant des diverses modalités de l’échec de la symbolisation sur l’imaginaire et le réel la boussole pour situer, désormais du côté du sujet, les effets dudit échec. C’est là qu’il commence à situer l’incidence du surmoi, comme conséquence de l’échec de l’Œdipe, articulant l’échec de la fonction paternelle au surmoi.

Ainsi, dans son séminaire sur la relation d’objet, Lacan pointe l’impuissance et l’insuffisance d’Herbert Graf, le père de Hans, dans l’exercice de sa fonction paternelle, dans les coordonnées de l’émergence de sa phobie des chevaux[4].

Il est intéressant de revenir une fois de plus sur ce moment, car on y trouve déjà une clé pour penser les formes actuelles d’autoritarisme à notre époque, avec l’évaporation du père, c’est-à-dire l’autoritarisme qui surgit du père… à pire.

Rappelons que le père de Hans intervient suite aux recommandations de Freud. Il devient leur porte-parole et pourtant Hans réagit d’une manière différente de celle à laquelle il s’attend.

Il y a deux questions sur lesquelles Herbert Graf affecte. D’abord par une manœuvre directe sur sa culpabilité, en expliquant à Hans « que cette phobie est un non-sens […] lié à son désir de se rapprocher de sa mère. De plus, comme Juanito s’intéresse au wiwimacher depuis un certain temps, il lui fait savoir que […] ce n’est pas tout à fait vrai […] et c’est pourquoi le cheval est si mauvais et veut le mordre ». C’est une tentative d’introduire un peu d’ordre et de contrôle, souligne Lacan, avec une interdiction de la masturbation, mais cela a des résultats inattendus, car le garçon, qui jusque-là avait peur des chevaux, se sent maintenant obligé de les regarder.

Et Lacan ajoute dans son commentaire sur l’affaire, « depuis qu’on lui a donné la permission de les regarder — les chevaux —, il en est du petit Hans comme dans les systèmes totalitaires, où tout ce qui est permis devient obligatoire »[5].

Tout ce qui est permis devient obligatoire, prenons cette formule comme principe d’élucidation de la loi d’airain qui s’impose à notre époque et qui vient à la place du nom du père.

Il nous faudrait réfléchir aux modalités contemporaines du totalitarisme dans nos prochaines séances, à partir des transformations du discours du maître. Le totalitarisme du XXIe siècle ne répond pas à la même logique que celui du XXe siècle. Avec l’évaporation du père, effet du développement de la science et du discours capitaliste, l’échec à introduire un ordre symbolique et une loi a pris d’autres formes que celles analysées par Freud. Un totalitarisme irréductible aux formes autoritaires intégristes actuelles qui cherchent à étayer par la force un père qui ne cesse de se décomposer et que l’on voit avancer dans les démocraties occidentales.

Eh bien, on retrouve aussi dans les démocraties traversées par le discours capitaliste des formes de populisme qui transmettent le même ordre de fer, mais cette fois au nom des bonnes intentions, du politiquement correct et du droit à la jouissance, un droit qui devient une obligation sans discontinuité.

C’est ainsi que, amplifié par les réseaux sociaux et l’horizontalité propre à notre époque, se transmet à voix basse le mandat de l’autorité obscure de l’Autre, qui murmure d’une voix suave l’antique impératif divin : « Profite ! (Jouis !), auquel le sujet ne peut répondre que “j’entends !” (J’ouïs !)[6].

[1] Lacan, J., La Direction de la Cure et les principes de son pouvoir, Ecrits, Siglo XXI, 1984, p. 566.

[2] Arendt, H., qu’est-ce que l’autorité ? in Entre passé et futur, Austral, 2022, p. 173 ; Kojève, A., La notion d’autorité, Página Indómita, 2020, p. 61.

[3] Lacan, J., Ibid., p. 565.

[4] Lacan, J., La relation d’objet, Paidós, 1994, p. 280.

[5] Idem, p. 281.

[6] Lacan, J., Angoisse, Paidós, 2006 p. 91.