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Chantal Cazzadori / Le masochisme en psychanalyse

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Texte du 11 décembre 2017 à retrouver sur le Blog de Chantal CAZZADORI et sur le site Analyse freudienne

Lors de la première conférence sur la guérison en psychanalyse, l’accent a été mis, entre autres, sur la résistance à lever le refoulement, propre aux défenses psychiques humaines. En effet il ne suffit pas de s’engager dans une analyse pour que le bonheur tant attendu arrive enfin ou que nos symptômes disparaissent comme par enchantement. Le voyage entrepris lors de l’expérience analytique va dépendre aussi de la relation transférentielle propre au rapport asymétrique analyste-analysant bien entendu, entravé par la question des résistances au travail sur soi.

Ce qui va compliquer bien souvent l’épreuve de vérité par remémoration et perlaboration des énoncés pour qu’ils deviennent des énonciations, c’est la jouissance à s’installer dans la douleur du symptôme, afin d’escamoter son désir via une immense culpabilité.

Le masochisme propre à chacun, donc constitutif de notre personnalité va jouer sa partie, faire durer l’épreuve, voire ne jamais en trouver l’issue.

Freud écrit que : « la jouissance est masochiste en son fond ».

Alors si tel est le cas, peut-on, doit-on en guérir ?

La question de la guérison en analyse se repose ici en d’autres termes.

Dans cette réflexion sur le masochisme propre à l’économie psychique du sujet, nous allons commencer par l’aborder sur un autre versant, celui de l’économie capitaliste, à partir de pathologies mentales et psychosomatiques en rapport avec le travail, et qui se généralisent, la plus connue étant « Le burn-out ».

Mais avant d’aborder ce syndrome, parlons de l’individualisme lié à notre modernité qui atteint de plein fouet le lien social et renforce les incivilités de voisinage, voire de proximité dans les transports, l’espace public en quelque sorte.

Dans un système où l’étalon du désir est l’argent, où la quête de l’objet « a » est soi-disant fournie par la multitude d’objets de consommation, l’individualisme s’installe comme l’attitude vers une servitude volontaire pour le moins affolante.

Si le capitalisme développe tous ses pouvoirs, et la recherche de toujours plus de pouvoir pour satisfaire les penchants de l’homme à combler ses besoins, cette insatiabilité du pouvoir capitalisme sur les individus ne finit-elle pas par les asservir à un système économique toujours plus aliénant ?

D’où vient alors cette inclinaison tyrannique au système associée à l’idée de désirer sa propre servitude ou l’asservissement de soi ?

Quand nous sommes pris dans ce mode d’aliénation où l’injonction capitaliste consiste à nous faire croire que le bonheur est dans l’objet convoité, idéalisé, à acheter par conséquent, ne sommes-nous pas asservis à la jouissance de l’Autre, comme nous le constatons chez nos patients en analyse ?

Notre subjectivité en prend un sacré coup, voire autodétruit jusqu’à ne plus avoir de loi que celle dictée par soi-même.

Prenons l’exemple de la servitude volontaire.

Ce terme servitude volontaire est un oxymore, je cite Nicolas Chaignot :

« Cet oxymore désigne un état pathologique résultant d’un désir paradoxal d’asservissement de soi. Il est le fondement et l’aboutissement d’un lien tyrannique et se traduit par un rapport d’autodestruction de la subjectivité et du principe éthique d’humanité ».[1]

Le sujet emmené par l’intérêt que lui suggère le discours capitaliste se laisse ainsi entraîner vers une forme d’individualisme, excité par l’appât du gain lié à une rationalité qui n’a d’autre loi que celle du marché.

Le lien social se dissout, il ne dure pas, avoir des centaines d’amis sur les réseaux sociaux, accentue le narcissisme et fragilise toute notion de valeur commune.

La volonté individuelle prime sur le collectif, via la toute-puissance du sujet qui ne voit que lui comme référence, il devient la source de ce à quoi il se soumet, ignorant les quelques autres de la réalité, soumis au virtuel, il croit s’auto-engendrer, par conséquent, sa subjectivité tend à disparaître.

Citons de nouveau Nicolas Chaignot :

« La faille de l’individualisme contemporain et du projet moderne s’il tendait à s’y résoudre, serait le miroir de sa propre duperie, ou, en d’autres termes, ce serait tomber dans le piège de la servitude volontaire. »[2]

Un autre exemple, celui du burn-out, nouveau mal du siècle, rapidement dit : stress chronique au travail, est devenu le syndrome de notre modernité, près de deux salariés sur dix sont au bord du burn-out, soit 12 % de la population active, info du 7/01/15 le figaro économie.

En 1970, en Amérique du Nord, le terme apparaît comme la métaphore aérospatiale d’une fusée qui indique que lorsque celle-ci a brûlé tout son carburant elle retombe immanquablement au sol.

On parle aussi d’un « blurring », de la frontière vie privée/vie professionnelle.

Avec la multiplication des smartphones, le rapport au travail ne cesse d’évoluer et cette évolution nous laisse de moins en moins de temps pour nos vies privées.

Un sondage réalisé l’été 2015, toujours par le figaro/économie, indique qu’un gros tiers de salariés français estimaient que le travail nuisait de plus en plus gravement à la vie amoureuse, et que 7 % d’entre eux y voyaient même un motif de rupture.

La place de plus en plus importante qu’occupe le travail dans nos vies qui nous suit parfois jusque dans notre propre lit s’accentue.

Comme nous le rappelle Robert Levy dans son article à lire sur le site d’Analyse freudienne, trois éléments déterminants définissent ce syndrome de burn-out :

  • L’épuisement émotionnel, sentiment de ne plus rien ressentir et de manquer d’énergie dans son travail.
  • La déshumanisation de la relation à autrui et l’expression d’un cynisme avec les collègues, les patients, les clients.
  • Enfin, un sentiment de non-accomplissement de soi dans son travail et d’échecs répétés.

Ce qu’il faut donc retenir, c’est que le travail est une activité sociale de production qui relève essentiellement de la subjectivité dans la mesure où « travailler c’est un certain mode d’engagement de la personnalité pour faire face à une tache encadrée par des contraintes.[3]

Le travail participe en effet à la construction du sujet, donc supprimer cet aspect de sa personnalité c’est suspendre sa subjectivité, arrêter son développement de sujet.

Les nouvelles formes de consentement liées à la subordination impliquent également des formes de résistance que l’on peut identifier à partir de ces nouvelles formes d’aliénation passive au travail que recouvre ce syndrome de burn-out.

Reprenons notre propos sur le masochisme dans la cure et posons-nous la question suivante : si la guérison dans la cure est subjective comme le bonheur d’ailleurs, en quoi prétendrions-nous que le désir masochiste dans la cure n’est pas correct ?

Pour faire simple, à quel moment commence la douleur chez un sujet ?

Selon Freud dans sa théorie sur le principe de plaisir, celui-ci a pour fonction de :

rabaisser le seuil nécessaire au maintien de la vie.”

Et encore, ce principe de plaisir représente pour sa part, comme : “le plus bas des hauts, la plus basse tension nécessaire à ce maintien” soit un pouvoir de rectification, de tempérament de moindre tension et, si l’on tombe en dessous, c’est là que peut s’exhaler la douleur, ajoutera Lacan.

En ce qui concerne le renoncement au plaisir, Lacan ne cesse de se référer au capitalisme :

Pour vous le faire entendre, je ferai quelque rappel de ce qu’il en est effectivement de ce que l’on appelle l’entreprise, en tant qu’elle tient au réinvestissement comme on dit des bénéfices. L’entreprise capitaliste, pour la désigner en ses propres termes, ne met pas le service de production au service du plaisir.”[4]

Freud va lier la question au masochisme dans les trois essais, à la passivité : “Le terme de masochisme englobe toutes les attitudes passives face à la vie sexuelle et à l’objet sexuel, dont la plus extrême parait être la liaison à la satisfaction à la souffrance physique ou psychique endurée de la part de l’objet sexuel. Le masochisme (…) semble s’éloigner davantage du but sexuel normal que sa contrepartie.”[5]

Dans ce temps théorique, Freud considère le masochisme comme un retournement du sadisme sur la personne propre, renversement donc de l’activité en passivité et c’est la culpabilité qui opère cette transformation.

La culpabilité aura pour but précisément de refouler le sadisme. Tout en restant en œuvre, sa partie visible sera le masochisme. Freud le dira ainsi :

J’ai été conduit à admettre un masochisme primaire érogène à partir duquel se développent deux formes plus tardives, le masochisme féminin et le masochisme moral.

Du retournement contre la personne propre du sadisme inemployé dans l’existence naît un masochisme secondaire qui s’additionne au primaire”.[6]

Pour Lacan, comme il n’y a de jouissance qu’en son corps, il nommera cette jouissance masochiste.

Pour préciser cette théorie du masochisme, soulignons qu’il y a trois sortes de masochisme, un érogène dont le fondement est biologique et constitutionnel, un féminin et un masochisme moral (basé sur un sentiment de culpabilité inconscient) ; le premier sert de fondement aux deux autres.[7]

Une nouvelle précision concernant la question du masochisme primaire érogène lié au fondement physiologie de chaque sujet est à donner.

C’est bien “la pulsion de mort ou de destruction qui n’est pas dirigée vers l’extérieur qui est à l’origine de celui-ci. Cette pulsion de mort pour une part est directement placée au service de la fonction sexuelle où elle a une fonction importante à remplir. C’est le sadisme proprement dit. Une autre part ne participe pas à ce report vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle est liée libidinalement, à l’aide de la co-excitation sexuelle déjà mentionnée : en elle nous avons à reconnaître le masochisme érogène originel” nous dit Freud dans son livre Névrose, Psychose et Perversion. (p.291).

Le sujet est bel et bien structuré ainsi, marqué dès son origine par le masochisme, non pervers, mais érogène.

Un petit détour s’impose du côté des chercheurs en neuro-imagerie fonctionnelle qui nous apporte les éléments suivants.

En cas d’agression sexuelle subie, toutes les personnes ne vont pas forcément souffrir de troubles sexuels ou du désir, en revanche une étude récente montre que les femmes ayant subi des agressions sexuelles dans l’enfance, la partie du cortex sensitif qui permet de ressentir les sensations génitales est d’autant moins développée que l’agression sexuelle avait été grave.[8]

Comme nous le précise alors Robert Lévy : “la faible épaisseur de cette région corticale résulte de son moindre développement chez les fillettes ayant subi des agressions sexuelles qui lui laissent penser que cela soit une façon de se défendre d’une reviviscence des souvenirs sexuels traumatiques du passé. Cette étude souligne également que des anomalies du développement des tissus corticaux sont la conséquence de ces mauvais traitements permettant donc une moindre capacité de ressentir ces souffrances. Ces éléments sont d’une grande importance puisqu’ils tendent à accréditer la thèse selon laquelle la disparition ou l’augmentation de l’épaisseur de certaines zones du cerveau sont le résultat et non la cause de facteurs exogènes comme le traumatisme précoce par exemple et que notre cerveau refoule ces souvenirs traumatiques en réduisant les zones impliquées dans l’éventualité d’une reviviscence ; disons d’un retour du refoulé… La thèse freudienne est ainsi accréditée et que les recherches génétiques, à contrario, ne donnent pas satisfaction.

La rencontre avec le Réel s’établit bien avec l’épaississement de ces zones corticales. Notre travail est du coup accrédité par les neurosciences.

Sur le plan des recherches concernant l’autisme les neurones corticaux de zones précises, disparaissent ou augmentent en fonction de l’expérimentation de la relation à l’autre.

Sur le plan de la répétition d’un ancien trauma remis à l’ordre du jour par exemple lors d’une rencontre amoureuse sadisante et aliénante, la question reste entière.

De même, pourquoi en effet, les femmes battues renoncent si difficilement à leur tortionnaire ?

En écoutant ces sujets, un fond très sadique retourné contre elles-mêmes se cache derrière un apparent masochisme.

Également dans certaines cures nous constatons la teneur de la répétition du masochisme subi par le sujet qui s’empresse de nous quitter dès que nous leur révélons leur part dans la relation duelle.

Arrive alors le retournement du masochisme en sadisme contre l’analyste que nous nommons par ailleurs un moment de réaction thérapeutique négative liée à la culpabilité.

Quand le patient n’arrête pas tout simplement son travail analytique.

Si, au contraire chez ces mêmes patients, nous arrivons à établir un lien signifiant entre la situation présente de masochisme amoureux avec une situation antérieure d’abus infantile, comme c’est souvent le cas, un autre registre peut apparaître dans cette aliénation du désir de l’autre qui a à voir avec la question de la jouissance sera donc à envisager de façon toute différente et nouvelle.

Freud nous le rappelle bien : c’est la culpabilité qui est à l’origine d’un retournement ; moment où le masochisme n’est donc considéré que comme un retournement du sadisme sur la personne propre ; un renversement donc de l’activité en passivité.

Plus le sujet se sentira coupable plus il aurait été fantastiquement sadique ; selon ce fameux principe que l’on ne peut être coupable que de son désir.

Nous avons vu à quel point la répétition se met en route pour ces patients, mais aussi l’annihilation de la subjectivité.

Pourquoi ? Réduit au désir et/ou à la jouissance de l’autre, le sujet ne se repère plus quant à son désir, devenu dépendant lui-même, non pas de son désir, mais de sa propre jouissance.

Donc d’abord aliéné à sa propre jouissance et secondairement à la jouissance de l’Autre.

Tout le travail de la cure va consister au patient de retrouver sa subjectivité (savoir dire non par ex. renoncer à sa propre jouissance), soit se repérer dans son propre désir puisque la jouissance la sienne l’avait véritablement dé-subjectivité. Il ne pouvait plus penser, se penser comme sujet.

Exemple : une femme battue, très battue au point de s’être retrouvée à plusieurs reprises aux urgences avec la mâchoire, des côtes ou encore un bras cassé, revenait à chaque fois chez elle en croyant ou en pensant que son mari reviendrait enfin à de meilleurs traitements. Elle ne pouvait pas s’en séparer, replongeait à chaque fois jusqu’à ce que son mari s’en soit pris aux enfants, ce n’est qu’à ce moment qu’elle avait pu s’en séparer.

Attitude bien énigmatique dira son analyste.

Que pouvons-nous en dire ?

C’est dans les mauvais traitements qu’elle subissait qu’elle pouvait trouver à satisfaire son fantasme en termes masochistes, en revanche le sadisme exercé sur ses enfants devant elle, elle ne pouvait l’accepter.

Autrement dit, la partie sadique de son fantasme devait rester inconsciente et donc elle ne pouvait plus accepter sa réalisation dans le réel.

Comment faire face à la jouissance masochiste devient celle de savoir comment faire avec le fantasme ?

S’agit-il d’en guérir, de l’adapter, de le traverser ou encore de faire avec ?

Quand le rapport au masochiste dans la jouissance est si prégnant pour certaines personnes, comment la cure peut-elle accéder à cette mise en évidence ?

[1] Nicolas Chaignot : « La servitude volontaire aujourd’hui » — Puf 2012 p.129, opus cité : p. 132

[2] Nicolas Chaignot : « La servitude volontaire aujourd’hui » – Puf 2012 p.129, opus cité : p. 132

[3] Séminaire 3 de Robert Levy, 1er mars 2017, site : www.analysefreudienne.net

[4] Lacan séminaire XVI p.109

[5] Freud, les Trois Essais : Gallimard 1991, p. 163

[6] Freud, les Trois Essais, opus cité, p. 70

[7] Freud dans Psychose, Névrose et Perversion, Puf 1974, p. 290

[8] Serge Stoleru, Un cerveau nommé désir Ed Odile Jacob, sept 16, p.219 à 221