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Osvaldo Cariola / Les mathématiques sont-elles nécessaires à l’objet de la psychanalyse ?

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Titre :  René Guitart, Évidence et étrangeté, La Bibliothèque du Collège international de philosophie, P.U.F., chap. II.
Le texte ci-dessous constitue l’argument du
2ème colloque
de Mathématique et psychanalyse  des 28 et 29 janvier 2023.

Le premier colloque en mai 2022 a entamé un dialogue entre mathématiciens et psychanalystes qui s’est avéré fécond et amical. Il mérite d’être poursuivi, car ce travail initial a laissé beaucoup de questions en suspens. Il s’agit sans doute d’avancer encore au-delà de la rencontre imaginable entre Lacan et Grothendieck, pour s’occuper des questions de fond que leurs recherches respectives proposent, pour considérer de plus près ce qui pourrait être le statut de l’inconscient du point de vue de la mathématique.

   Car l’idée d’Alain Connes et de Patrick Gauthier-Lafaye, de substituer (ou tout au moins de suppléer) à l’aphorisme lacanien de l’inconscient structuré comme un langage celui de l’inconscient structuré comme un topos, a sans doute de quoi nous faire réfléchir. D’abord sur la pertinence de l’analogie, mais surtout sur ce qu’elle implique pour notre conception de l’inconscient freudien, de la structure du sujet et même du langage.

   Il est certain que, médecin comme il l’était, Freud a poussé aussi loin que possible l’idée médicale du rapport entre l’organisme et la fonction, au point d’en dégager ein anderer Schauplatz qu’il a cherché sa vie durant à déployer, avec les moyens du bord. L’échec relatif de sa « métapsychologie » montre non pas l’extravagance de sa visée, mais plutôt les limites de sa perspective, voire celles de ses moyens conceptuels. Avec Lacan ce n’est plus d’« appareil psychique » qu’il s’agit, mais de structure signifiante proprement dite. Du coup cela redéfinit la fonction qui y gît, mais réclame à son tour une logique autre que purement prédicative. Lacan passe aussi sa vie dans l’affaire, sans y arriver non plus. Autre ratage donc. Mais encore une fois ce n’est pas la visée qui, dans son ensemble, cloche, mais une question de concepts, qui délimitent la fabrication des moyens qu’il faut pour rendre compte de ce dont il s’agit dans la découverte freudienne. Car une chose est de savoir que ce à quoi on a affaire est une question de logique, par exemple, et une autre est de la produire effectivement. Aujourd’hui on sait très bien que ce dont a besoin la psychanalyse pour rendre compte de sa pratique en raison, c’est d’avancer dans sa fondation en tant que science imprédicative. Ce qui implique de revisiter la grande discussion sur les fondements des mathématiques qui a eu lieu au début du XXème siècle, dont l’orientation du positivisme logique (malgré Poincaré, mais avec son aide quand même) a fini par clore la discussion.

     Il y a de quoi faire, assurément. Mais le travail devient plus envisageable pour le psychanalyste quand il peut s’appuyer sur ce qui se passe ailleurs dans les sciences — notamment dans la physique et la biologie, qui ont leurs issues malgré leur penchant prédicatif, mais aussi avec les mathématiques, à cause de leur capacité de se dépêtrer de l’idéologie scientiste, qui, par son essentialisme foncier, empêche d’aller plus avant vis-à-vis des enjeux du temps et du sujet. Enjeux dont la psychanalyse se charge autant qu’elle peut, mais qui sont aussi présents dans la tâche du mathématicien, ne serait-ce que par le biais des « motifs » et « résidus » dont Grothendieck a fait état.

     Que l’enjeu soit logique (et concerne l’intrication de logiques différentes), veut dire qu’on doit être en mesure de concevoir la question de l’espace selon différents paramètres. Que l’inconscient ne réponde pas aux critères grâce auxquels la conscience trouve sa force était assez évident pour Freud, qui dès lors s’est donné la peine de construire tout un échafaudage linguistique pour en rendre compte. Lacan dispose de la théorie des ensembles et a une certaine idée de la topologie pour s’en débrouiller, mais envisage à son tour quelque chose qui va dans le sens des catégories pour rendre compte du « lieu de l’Autre » dont il parle, sans vraiment connaître les théories mathématiques à ce propos. Est-ce que c’est l’heure du topos pour nous aussi ? Avec les journées ici proposées on pourra donc reparler de manière plus détaillée et explicite à ce sujet, et plus largement du choix politique d’un schématisme, en psychanalyse comme en mathématique, ou encore de l’organisation du schématisme en templet (template, gabarit).

     Il est certain en tout cas que les rapports entre ensemble, catégorie et topos sont à méditer, ainsi que ce qui est en jeu (les espaces ainsi concernés) dans ce que Freud a appelé conscient, préconscient et inconscient.