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Marc Strauss /  Que paye-t-on en psychanalyse ?

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Texte argumentaire des journées nationales 2022 de l’Ecole de psychanalyse des forums du champ lacanien 26/27 novembre 2022.

Marc Strauss est responsable des Journées

Comme partout, quand on paye : un certain prix… Mais aussitôt l’équivoque de la langue nous rappelle qu’il y a des prix qui ne se payent pas, mais qui se gagnent, à l’issue en général d’une compétition. Et ce prix gagné a d’autant plus de valeur que l’effort pour l’obtenir a été plus âpre, qu’on y a mis un plus grand prix en sacrifices physiques, mentaux et aussi bien sûr matériels. Même le savoir, pour en jouir, il faut se l’être fait entrer durement dans la peau, rappelait Lacan dans le Séminaire XX, Encore.

Est-ce que le prix gagné fait oublier le prix payé et les peines qu’il a exigées, auxquels rien qui soit de l’ordre du besoin n’obligerait ? C’est qu’en plus des besoins nous avons un surmoi, qui nous harcèle pour que nos vies aient un sens, ou au moins soient présentables à notre miroir. En même temps, c’est grâce à ce surmoi qu’on trouve un plaisir certain à faire des efforts, pour ne pas parler d’exploits.

Alors, qu’est-ce qu’on paye dans une analyse, qu’y achète-t-on et à quel prix, qui serait différent de ce qu’on paye dans la vie courante ? Car, Freud l’a rappelé, à propos de Lear, il n’y a rien de gratuit dans cette vie. Bien sûr, nous avons coutume de dire qu’il vaut mieux payer dans une analyse en argent sonnant et trébuchant plutôt qu’à travers symptômes et actings fâcheux dans la vie quotidienne.

Payer vient du latin pacare qui veut dire faire la paix. Le mot aurait été selon le TLF : « … transféré à la basse époque au domaine moral au sens de “satisfaire, apaiser”, d’où le sens développé dans les langues romanes de “satisfaire, apaiser avec de l’argent” ». Achèterait-on alors dans une analyse la paix, qui serait un autre nom de la satisfaction de fin tant commentée ces derniers temps ?

On peut payer pour acquérir quelque chose, comme dans l’exemple cité plus haut, mais on peut aussi payer pour s’acquitter d’une dette ; Antonio, le Marchand de Venise en est une incarnation théâtrale. De surcroît et plus souvent qu’à son tour, la dette a pu être contractée par les générations précédentes, Ernst Lanzer, dit l’homme aux rats, tout empêtré qu’il est dans son scénario délirant de remboursement du lorgnon, en est une incarnation clinique. Enfin, à l’inverse, si le désir est une quête, ne paye-t-on pas à la commande une livraison anticipée, et qui n’est jamais que supposée, avec le risque de se faire arnaquer… ?

L’image de « ticket d’entrée » de la « Proposition » ajoute l’idée qu’il faut payer pour prendre part à l’expérience d’une analyse. Lacan le dit déjà dans ses « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » : « C’est là un champ où le sujet, de sa personne, a surtout à payer pour la rançon de son désir ». La rançon nous renvoie évidemment aux prisonniers de l¹apologue, nous n¹insisterons pas sur ce point…

Mais nous aurions tort d’oublier que l’analyste paye également son écot, dit Lacan dans la « Direction de la cure », page 587 des Écrits : « Disons que dans la mise de fonds de l’entreprise commune, le patient n’est pas seul avec ses difficultés à en faire l’écot. L’analyste aussi doit payer… » Lacan en décline trois formes : de mots, de sa personne, enfin de son jugement le plus intime.

Chez l’un donc le prix en livre de chair, chère chère livre de chair, pour une castration que l’on espère métaphorisée ; chez l’autre le prix en réduction au signifiant quelconque pour son « désêtre » en acte. Entre les deux, quelle est la place et la fonction de l’argent ? Cet argent que Lacan qualifie dans « La lettre volée » de « signifiant le plus annihilant qui soit de toute signification » ?

Or, nous sommes à une époque dans laquelle le marché commande nos liens de façon croissante, alors que l’argent fiduciaire, dit plus couramment liquide, serait voué à disparaître. En même temps, les soins et le bien-être passent pour être dûs gratuitement à chacun. L’argent a-t-il alors la même fonction dans la cure que du temps de Freud et de Lacan ?

Parmi toutes les questions et méditations auxquelles nous invite pour l’année à venir ce thème, et pour conclure par le psychanalyste : l’accès à son désir a-t-il un prix spécifique au regard de ce que nous pourrions appeler le désir tout court, celui qui court et ne cesse de courir ? Et indépendamment de sa pratique, la vie du psychanalyste n’a-t-elle pas elle-même un prix spécifique ?