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jean-Louis Rinaldini / La guerre sans fin

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Freud et Einstein se rencontrent à Berlin en 1926, engagent une relation amicale et échangent une correspondance publiée en 1933 sous le titre Pourquoi la guerre ?

À la question d’Albert Einstein « Comment la paix ? » Freud répond « Pourquoi la guerre ? » et saisit l’opportunité de préciser ses idées sur la guerre et l’agressivité. La plus grande partie du texte est consacrée à la place de la guerre dans la civilisation et à l’examen des mécanismes qui l’entraînent.

Après avoir examiné cinq manières possibles et insatisfaisantes « d’affranchir les hommes de la menace de la guerre » – par le droit, par la désintrication des pulsions, par le refoulement, par l’exacerbation du conflit, par le traitement de l’identification c’est-à-dire de l’amour – Freud propose une réponse par la culture. Mais même la culture ne suffit pas à endiguer les pulsions de destruction parce qu’elle exige de chacun un trop lourd renoncement pulsionnel.

La guerre, comme l’avance Lacan dans le Séminaire Les formations de l’inconscient, est une des modalités du commerce interhumain. Pour lui, en refusant d’opposer Éros et Thanatos et en affirmant l’unité pulsionnelle, en tant que « toute pulsion est pulsion de mort », il la réduit à la force du signifiant, c’est-à-dire du symbolique. Sur quoi se fonde Lacan pour dire qu’il n’y a qu’une seule pulsion, la Pulsion de Mort ?

Est-ce parce que la pulsion est sans cesse en train de créer du surplus, de l’excédent, de la surenchère ? « Sur en chair » pourrait-on oser dire ! Aux États-Unis par exemple on condamne à 120, 150 années de prison. Dans la justice vindicative, les Révolutions, les guerres, les expéditions de rétorsion, les conflits politiques il n’y a jamais d’économie de rétribution 1 pour 1 mais toujours plus. Est-ce que la surenchère n’est pas finalement constitutive de la pulsion ? Qu’est-ce qui peut pousser une pulsion de destruction à pratiquer de la surenchère ? À répéter ? On le sait, le propre du surmoi, cette « relation de structure », fondé sur l’impératif féroce de l’identification parentale et, au-delà, sur la jouissance première comme loi, c’est d’exiger la répétition.

Poser que l’inconscient est structuré comme un langage, puis formaliser tout lien social comme discours c’est-à-dire comme mode de jouir, permet à la psychanalyse d’envisager le phénomène spécifiquement humain qu’est la guerre sans que soit nécessaire l’hypothèse métapsychologique du dualisme pulsionnel.

La guerre serait donc le déchaînement du pouvoir conjoint des signifiants maîtres (religieux, idéologiques, identitaires…), des discours et de ces « petites lettres » qui font le savoir scientifique dont on connaît le poids dans la sophistication des armes de destruction.

La guerre n’est pas comparable à une rixe entre deux individus, un duel, un combat de rue ou une émeute. Elle est avant toute chose faite de discours. Tout discours promeut un mode de jouissance, et s’organise des commandements du surmoi comme de l’idéal du moi.

Le concept d’objet a permet d’éclairer un autre phénomène essentiel à l’engagement des êtres humains dans la guerre. Il s’agit de la force des leaders. Dans la perspective freudienne de la psychologie des masses, le leader tient son pouvoir de l’idéal. Dans la perspective ouverte par Lacan le leader tient son pouvoir sur les masses de l’objet a qu’il fait miroiter.

Si la « Massenpsychologie » freudienne apparaît aujourd’hui comme insatisfaisante, en quoi l’apport lacanien permet-il d’approcher pourquoi en tous lieux, en tout temps existe et perdure la guerre ? Toutes les guerres ont leurs raisons, singulières ou partagées – les guerres de religion, les guerres coloniales, les guerres civiles, les guerres de famille, les guerres de voisinage, dans les couples, les groupes, entre les sexes, la guerre économique, psychologique – elles ont leurs causes, proches ou lointaines, conjoncturelles ou structurelles. Le mot guerre met en perspective une pluralité de sens que ce soit sur les plans interindividuel, intersociétal, intergénérationnel et bien sûr intrasubjectif. La guerre serait-elle ainsi le laboratoire du fonctionnement psychique ?