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Angela Jesuino – Les embarras de Freud

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Texte à retrouver sur le site de l’ALI à la page dédiée au Retour sur le Séminaire d’Hiver 2022, Nos inhibitions, nos symptômes, nos angoisses, Samedi 22 et dimanche 23 janvier 2022.

Je vais être très brève car je voudrais juste faire quelques remarques pour donner suite au dialogue entamé avec Jean Paul Beaumont autour du texte de Freud et les apports de Lacan. Je vais donc reprendre les mêmes questions par un autre bord, le bord de mes embarras à moi et peut-être aussi de mon étonnement encore, par rapport à la radicalité des déplacements que Lacan opère en réponse, on pourrait dire, point par point, au texte de Freud.

Lacan reprend donc là où Freud avait déjà formulé les questions ou à partir de ses points de butées y compris celui qui nous agace tellement dans le texte de Freud : comment distinguer, tout en les articulant les termes de cette triade inhibition, symptôme et angoisse ?

On peut dire rapidement que Freud sépare, à partir du Ça, du Moi et du Surmoi, inhibition, symptôme et angoisse, pour essayer de les articuler en donnant à l’angoisse une place centrale. Il suffit d’ouvrir la première page du texte freudien pour se rendre compte de « l’intérêt nécessaire pour opérer une démarcation entre les concepts d’inhibition et de symptôme ». Donc très vite il va mettre l’inhibition du côté de la fonction, du moi, et le symptôme du côté du ça, par exemple. Freud a ce souci-là d’entrée de jeu.

Mais en ce qui concerne l’angoisse, Freud hésite sans cesse : l’angoisse est-elle la cause ? L’angoisse est- elle l’effet ? Du refoulement, par exemple. Lacan lui répond de manière radicale : « l’angoisse est sans cause, mais non pas sans objet. »

C’est la grande nouveauté de la réponse de Lacan à Freud. Cela passe par une révolution dans la relation d’objet, par une invention, par une nouvelle conception de l’objet en psychanalyse, comme nous l’a dit très précisément Jean-Paul Beaumont à l’instant.

Mais pour écrire l’objet a, il faut passer par l’angoisse nous dit Lacan. Pourquoi ? La réponse peut paraître acquise, mais je voudrais pourtant insister.

Ce qui m’intéresse ici, c’est de dégager la dimension structurale de l’angoisse liée à la constitution de l’objet et à l’image spéculaire, mais dans un le cadre : la relation du sujet à l’Autre. L’Angoisse non pas liée à la constitution du sujet comme tel, mais à celle de l’objet, de l’objet que le sujet est pour l’Autre. Autrement dit, c’est l’objet a qui est central et il a l’angoisse chevillée au corps, si j’ose dire.

On retrouve là la thèse du séminaire : on ne peut pas penser l’angoisse sans le champ de l’Autre et sans l’objet a, objet cause du désir. Et la structure, la position, la fonction de l’angoisse qui affecte le sujet sont liées au désir de l’Autre. « Ce dont le sujet est dans l’angoisse affecté c’est par le désir de l’Autre […] et il en est affecté d’une façon immédiate, non dialectisable » nous dit Lacan. L’angoisse donc comme affect du sujet, sujet qui parle, déterminé par le signifiant, affecté par le langage.

Après ce premier déplacement, qui concerne la relation de l’angoisse à l’objet, d’autres vont suivre et qui reprennent les points principaux du texte de Freud :

Fonction de l’angoisse comme signal. Mais de quoi ? De la manifestation de l’Autre, de son désir.

« Dès ce premier abord j’ai indiqué que la fonction angoissante du désir de l’Autre était liée à ceci que je ne sais pas quel objet petit a je suis pour ce désir »L’angoisse comme l’hallali, le signal de la saisie de l’objet, de l’objet que je suis pour l’Autre.

L’Angoisse est une réaction face à un danger. Lequel ? « Ce danger c’est ce qui est lié au caractère de cession du moment constitutif de l’objet a.» L’Angoisse originelle comme étant liée au traumatisme de la naissance ? Lacan dit oui, mais ajoute : le traumatisme de la naissance n’est pas lié à la séparation de la mère. Chez Lacan l’angoisse originelle est plutôt liée « à l’aspiration en soi de ce milieu foncièrement autre », à « cette intrusion radicale de ce quelque chose de si autre à l’être vivant qu’est déjà passer à l’atmosphère.» Donc c’est déjà respirer. Autrement dit, il s’agit pour le sujet d’une introduction immédiate de cette dimension Autre.

Pour distinguer et articuler inhibition, symptôme et angoisse, Lacan se sert des embarras de Freud, il les serre dans le nœud, autour de l’objet. Il va s’appuyer lui aussi sur une écriture de la structure qui fait valoir une autre en triade tout comme Freud. Mais à la place de la triade freudienne Ça-Moi-Surmoi, nous retrouvons RSI.

Il va inscrire chacun de ces termes inhibition, symptôme et angoisse, dans des registres différents Réel, Symbolique et Imaginaire, pour ensuite les articuler autour de l’objet central et des jouissances qui lui sont attachées. Donc, ici aussi, effet de continuité entre ces trois termes, enchainement, articulation, comme chez Freud, mais dans une écriture borroméenne – ce qui n’est pas sans conséquences quant à la place de l’objet justement.

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