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Nora Lomelet – La passe

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Dans l’acte psychanalytique, Lacan traite de la question de l’acte sous un éclairage neuf qui diffère de l’action, comme il le démontre dans les débuts de son séminaire.

Reste la question quant au statut du psychanalyste, c’est‑à‑dire, ce qui pousse l’analysant à reprendre le flambeau de l’acte psychanalytique, à relever le gant, comme il le dit lui‑même, c’est pourquoi il tentera de mettre en place la procédure de la passe. Nous allons tenter d’en comprendre la genèse.

Peut‑être faudrait‑il se replonger dans cette époque de crise dans laquelle Lacan veut créer une École, avec un grand E, qui ne se moulerait pas sur les institutions déjà existantes. Il considère que la manière dont la psychanalyse y est transmise ne peut qu’engendrer sa disparition à plus ou moins long terme, il s’érige donc contre ces associations où règne en maître une bienveillante cooptation de sages et dont l’enseignement est dit il « un fait pour tous les analystes qui n’en n’ont pas payé le prix ».

« Le tout‑venant, que nous recrutons sur la base de comprendre ses malades, s’engage sur un malentendu qui n’est pas sain comme tel » et pour sortir de cette impasse où s’enlisent ces sociétés de recrutement, il faut une passe, une passe qui répond à la demande freudienne de déblayer devant sa porte avant de recevoir des patients, sinon « À quoi bon dès lors son passage par l’expérience, si le but des analystes est de former des analystes qui leur ressemblent ? »

Il s’érige ainsi contre le discours universitaire, même s’il avoue s’y être lui‑même fourvoyé, « c’était une concession éducative, expliquera-t-il, face au contexte d’ignorance dans lequel je proférai mes premiers séminaires, c’était une solution lévitatoire ».

Lacan a peur pour la psychanalyse, dans la mesure où il constate qu’elle s’enlise autours d’un discours psychologisant, il signale à ce propos, que l’identification au moi fort de l’analyste pour faire un analyste revient à apprendre à apprendre, comme on tente de le faire avec des rats de laboratoire, or pour qu’il y ait du psychanalyste il faut qu’il y ait eu du psychanalysant, un sujet qui à la fin de sa cure est en mesure de saisir sa vérité qui fonde son être, après avoir été destitué en tant que sujet barré par sa jouissance et son fantasme.

Cette notion de destitution du sujet est le pivot d’une fin de cure, mais qui en dit quelque chose ? Qui peut en témoigner ? Jusqu’alors personne ne s’y colle, il s’agit d’une vérité dont Lacan pense qu’elle pourrait faire acte par un témoignage. Pour en témoigner, il faut donc affronter cette vérité, s’y cogner et c’est en cela qu’il pressent qu’il y a urgence : « Nous n’avons pas de choix qu’entre affronter la vérité dans son horreur peut être, ou ridiculiser notre savoir ».

Pour saisir ce qu’est la fin de cure, et le désir du psychanalyste qui s’y accroche, Lacan avance sa conception de fin d’analyse à celle de son commencement.

Pour lui, la première rencontre avec un analyste, l’analyse dite originelle, est en fait la seconde qui fait acte par un après‑coup où se pose le passage du psychanalysant au psychanalyste, le désir de l’analyste préexisterait dans la mesure où nous pouvons tous, nous demander ce qui peut bien se passer dans la boule d’un individu lambda à pousser la porte d’un analyste pour lui demander la solution de ses symptômes, puisque comme le souligne Lacan « tout le monde en a ». Il ira même plus loin dans sa réflexion, en se demandant si l’écueil de la psychanalyse ne viendrait pas du fait que les analystes auraient oublié d’où leur vient cette vérité.

Alors qu’est-ce que ce passage de l’analysant à l’analyste ? Lacan tente d’en établir une équation dans sa proposition du 9 octobre 1967 dont je pourrais vous lire l’extrait, la tache consistant à y déployer du sens, sera certainement l’occasion d’un autre chapitre.

Plus littéralement, il poursuit dans ce même texte, « quand le désir résolu qui a soutenu dans son opération le psychanalysant, celui‑ci n’a plus envie à la fin d’en lever l’option, c’est‑à‑dire le reste comme déterminant sa division, le fait déchoir de son fantasme et le destitue comme sujet.

La destitution subjective est ce qui pourrait s’inscrire sur le ticket d’entrée dans la mesure où chacun pourrait en dire quelque chose, dissiper ainsi cette ombre épaisse qui recouvre l’espace où le psychanalysant passe au psychanalyste. Il va jusqu’à nommer cet instant, entre autres comme un saut, et comme une vérité qui est atteinte sans le savoir, dont il ne peut être guéri que dans la mesure où il saurait « marquer ce qui est arrivé de changement au niveau du sujet supposé savoir » il marque cet instant du graphe signifiant S(A) barré. (Voir l’acte psychanalytique).

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