Gérard Pommier – À propos de l’avenir du lacanisme
La directrice des éditions Ères, Marie-Françoise Sacrispeyre, a proposé l’idée de discuter du problème que poserait une baisse d’audience actuelle de l’enseignement de Lacan. Cette question a été d’abord posée par Éric Porge, directeur de la revue Essaim, sur le thème « La psychanalyse et particulièrement le nom de Lacan ne sont pas aujourd’hui en odeur de sainteté et certains peuvent avoir honte de se dire lacaniens ou simplement de faire référence à Lacan » dans son numéro 42 Qui a peur de se dire lacanien ?
Ci-dessous le texte que lui a envoyé Gérard POMMIER.
Les actuelles difficultés de l’enseignement de Lacan
L’inconscient résiste et il ne faut pas s’étonner si la psychanalyse subit des attaques importantes, venant spécialement du discours du Maître c’est-à-dire des responsables politiques qui sont mis à découvert dès que le désir inconscient est dévoilé. Cette incompatibilité poussée par exemple à son extrême par les tenants du IIIème Reich n’a pas empêché l’analyse de survivre et de prospérer. L’enseignement de Lacan lui a donné un éclat extraordinaire pendant plusieurs dizaines d’années, et cela parce qu’il mettait au premier plan le désir et le transfert à sa personne et à ses élèves. La conduite des cures en a retrouvé une nouveauté exceptionnelle, comme au premier jour pourrait-on dire, mettant en relief l’accord secret de la poésie qui rime et de l’inconscient qui répète. N’est-ce pas là l’essentiel ?
Car il faut bien dire que la théorie laisse beaucoup à désirer si elle est répétée sans se renouveler. Si Lacan vivait encore, il est certain qu’il aurait continué à renouveler ses points de vue. De sorte que l’esprit du lacanisme est trahi par les lacaniens lorsqu’ils répètent à l’infini des mantras dépassés par les changements de la société (notamment pour ce qui concerne le féminisme, l’homosexualité, et même plus largement les psychoses). À ce premier problème s’en rajoute un second : c’est la position de maîtrise souvent prise par des chefs de groupes qui utilisent le nom de Lacan pour assurer leur pouvoir, reproduisant ainsi l’antinomie du discours du Maître et de l’analyste, encore poussé à l’extrême par le discours universitaire. Il en résulte une sorte de tromperie, sinon d’escroquerie qui a été rendue spécialement visible à l’université, mais elle est latente dans chaque institution, qui doit faire de grands efforts pour surmonter cette difficulté. Le résultat est là, déjà sensible dans la baisse d’audience du lacanisme, qui a maintenant perdu le prestige dont il disposait il y a encore peu. Cela ressemble assez à une petite catastrophe, mais il ne faut pas s’en faire davantage si l’on pense à la multiplication très grande des psychanalystes de terrain qui ont repris à leur compte l’essentiel du message lacanien, c’est-à-dire n’entendre que le désir et ne rester qu’à l’intérieur de ce que dit le patient (il porterait mieux son nom s’il s’appelait impatient). Du moment plutôt désagréable que nous traversons, une autre époque de la psychanalyse se profilera sans doute. Comme le disait Freud, la psychanalyse fara da se.