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Marika Bergès-Bounes – TUER LE TEMPS, PERDRE LE TEMPS

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« L’instant est une particule concédée par le temps et enflammée par nous. C’est un renard étranglé par un lacet de fer ». René Char. Fenêtres dormantes et porte sur le toit.

A l’origine de l’univers, le mythe grec de la création du monde : l’accouplement ininterrompu de Gaïa la Terre et d’Ouranos le Ciel, que Chronos va interrompre violemment de sa serpe, créant ainsi l’Espace, le Temps et la succession de générations pour les humains. C’est lui qui dévorera ensuite ses enfants jusqu’à ce que Rhéa, sa femme et sa sœur, use d’un subterfuge : elle enveloppa une pierre de langes et Chronos l’avala sans se douter de rien : c’est la naissance de Zeus. Chronos qui croise Kairos, l’occasion opportune, en nous permettant de vivre.

Le thème du temps est si vaste qu’il donne le vertige. Les hommes ont toujours voulu maîtriser le temps, le mesurer et prévoir le futur à partir des mouvements des planètes, des étoiles, de signes divers, les prophèties (la Pythie qui rendait les oracles), maintenant l’exploration des planètes du système solaire et leur distance en années-lumière, etc.

François Hartog dans son livre « Chronos l’Occident aux prises avec le temps » l’exprime bien :

« Vivre pour les humains a toujours consisté à faire l’expérience du temps : enivrante parfois, douloureuse, souvent tragique et à la fin, inéluctable. Faire face à Chronos a toujours été à l’ordre du jour des différents groupes sociaux : s’efforcer de le saisir ou chercher à lui échapper, travailler à l’ordonner, en le découpant, en le mesurant, bref prétendre le maîtriser : le croire et y faire croire. Multiples, innombrables mêmes ont été, au cours des siècles, les façons d’y procéder à travers récits ordinaires ou mythiques, constructions religieuses, théologiques, philosophiques, politiques, théories scientifiques, représentations artistiques, œuvres littéraires, projets architecturaux, aménagements urbains, inventions techniques et fabrication d’instruments pour le mesurer et pour rythmer la vie tant des sociétés que des individus. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger, c’est-à-dire n’échappe à sa prise ou à son emprise ».

L’heure est à l’accélération temporelle, à l’immédiateté, l’urgence et l’addiction (Internet) au « tout, tout de suite ! », en même temps qu’abondent des manœuvres tendant à limiter la fuite du temps et à en repousser l’irréversibilité (chirurgie esthétique, robots, congélation des ovocytes, etc…) Nous sommes tous pris dans le nouage du temps : le temps du réel : la biologie, les besoins du corps, la vie, la mort, l’impossible ; celui des structures temporelles qui organisent le symbolique : la succession des générations, les lois de la parole et du langage, les rythmes du social dont nous sommes tributaires ; et aussi le temps de l’imaginaire et du fantasme qui participe à notre subjectivité. Ce nouage est notre humanité et fait de nous des sujets qui parlent parce qu’inscrits dans le temps. Un petit bout d’un article de G.Pommier dans les Actes du colloque du Collège de Psychiatrie de Février 2020 :

« Dire que la temporalité est humaine veut dire qu’elle se déroule au rythme de la parole (…) le temps s’ouvre devant nous au fur et à mesure que nous ouvrons la bouche. Pour ouvrir la bouche il faut pouvoir dire Je (…) quand je parle, je m’entends et la temporalité se déploie ».

Je vais tenter de développer quelques points de ce débat complexe sur les enjeux de la temporalité de l’enfant.

  • Le temps du développement de l’enfant
  • Les théories sexuelles infantiles

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