Nicolas Dissez – Quelques propositions concernant l’espace du transfert dans le champ des psychoses
Texte publié sur le site de l’ALI.
Un mot tout d’abord pour vous remercier de votre invitation à ce séminaire mais aussi pour vous dire que, plus qu’un apport personnel, je voudrais ici partager un travail collectif qui est celui de l’École Psychanalytique de Sainte-Anne, dirigée, vous le savez, depuis de nombreuses années par le Dr Marcel Czermak. Mon enjeu sera, plutôt que d’avancer des points de doctrines établis, de partager un travail de recherche en cours et puisqu’il s’agit d’un travail collectif je cite ceux qui dirigent aujourd’hui cette école autour de Marcel Czermak : Sylvia Salama, Luc Sibony, Sabine Chollet, Elsa Caruelle-Quilin, Édouard Bertaud, Corinne Tyszler, Jorge Cacho, Jeanne Wiltord, Jean-Jacques Tyszler, Bettina Gruber, Cyrille Deloro et Raphael Tyranowski.
Je commence par une première remarque, pour souligner que, de façon plus manifeste encore que dans le champ des névroses, l’essentiel du travail de la cure dans le cadre des psychoses est effectué par nos patients eux-mêmes. Les tentatives de guérison, les solutions élégantes déployées — pas uniquement sur un mode délirant — par nos patients sont d’autant plus solides, assurent un rétablissement d’autant plus durable qu’elles sont singulières aux deux sens du terme : inattendues et propres aux patients. Elles surprennent en effet par leur inventivité celui qui a la charge d’accueillir ces modalités de stabilisation. La nécessité de « se soumettre aux positions subjectives du malade » comme le formule Lacan dans la Question préliminaire à tout traitement possible des psychoses, pourrait ici se traduire par ce fait que les Constructions dans l’analyse, selon la formulation freudienne, sont ici bien plus le fait du patient que celui du praticien. J’ai ainsi pu relater, il y a quelques années la situation de cette patiente présentant une érotomanie centrée sur le psychiatre qui la suivait, le Docteur D., convaincue, à chaque fois qu’elle venait en consultation, que ce dernier allait lui déclarer sa flamme et partir avec elle vers d’autres horizons. Cette perspective se trouvait reportée de mois en mois par le fait qu’à chaque fois qu’elle arrivait en consultation elle découvrait qu’à ce médecin s’était substitué celui qu’elle appelait le frère jumeau du Docteur D. Vous conviendrez avec moi qu’il serait difficile à quiconque d’imaginer une telle solution qui avait assuré la stabilité clinique de cette patiente, pendant plus de 20 ans, en fait jusqu’au départ à la retraite de son médecin. J’ai cependant été surpris il y a quelques mois d’entendre Étienne Oldenhove décrire un cas similaire d’érotomanie stabilisée par un délire d’illusion des sosies. Peut-être ces solutions élégantes connaissent-elles donc un certain nombre de régularités et il est certainement plus juste ici de parler d’intelligence de la structure que de créativité de nos patients étant donné les contraintes qui sont celles liées à la structure du langage. Il me semble cependant que, la plupart du temps, les solutions qui assurent à nos patient les stabilités les plus durables sont des solutions inédites. Peut-être un délire classique ne suffit-il pas à assurer la stabilité d’une tentative de guérison ? On pourrait ainsi faire l’hypothèse qu’un rétablissement durable pour trouver son efficacité nécessiterait d’être unique, de résulter de l’effort spécifique d’un sujet dans sa singularité. Autrement dit que c’est bien dans ce type de solution élégante, dans la modalité singulière par laquelle chaque trouve une issue dans la structure que l’on peut identifier ce qui fait sa singularité comme telle. Pour en arriver plus directement au thème qui nous occupe aujourd’hui, celui du transfert,
Il paraît essentiel d’indiquer que la possibilité de mise en place de telles solutions repose à l’évidence sur un positionnement de l’analyste distinct de celui occupé dans le champ des névroses. Il s’agit ici de préserver nos patients d’un certain nombre d’aléas comme celui de l’instauration d’un transfert irrésistible, selon l’heureuse formule de Marcel Czermak. Il me semble en effet possible de vérifier que c’est en occupant une place équivalente à celle que nous adoptons dans le champ des névroses que, pour des patients psychotiques, se met en place ce registre de transfert irrésistible, sous la forme par exemple de persécution ou d’érotomanie, jouissance haineuse ou amoureuse attribuée au praticien. Il existe cependant des modalités bien différentes de manifestations de ce transfert irrésistible et celui-ci est loin d’être seulement lié aux interprétations dans le registre phallique, comme il est usuel de le souligner. Le simple fait d’adopter une attitude silencieuse, instaurant une part d’énigme, suggérant la possibilité d’un au-delà du sens explicite d’un propos, suffit régulièrement à déclencher cette modalité transférentielle. Je vous propose donc de considérer que la possibilité d’une rencontre du patient psychotique avec l’analyste ne repose pas ici sur la question de la vérité ou de la dimension d’un sens caché à déceler, voire sur la question du sens comme tel mais bien plutôt sur la possibilité d’un suspens du sens, voire du partage d’un registre de non-sens. C’est cette hypothèse que je souhaitais donc déplier avec vous, aujourd’hui.