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Géraldine Mosna-Savoye / En vrai, je dis « en vrai » /

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Carnet de philo France Culture

Avez-vous remarqué cette nouvelle tournure « en vrai »… je l’aime beaucoup, et j’espère bientôt l’adopter. Ça se trouve, c’est déjà le cas et je ne m’en suis toujours pas rendue compte. Autant les « en fait », les « du coup » ou les « c’est clair », j’étais bien dedans, mais celle-ci… je ne sais pas.

C’est d’ailleurs intéressant comme tous ces petits mots, on peut les employer sans même les entendre jusqu’à cette remarque, une seule, d’une personne (en général agacée) pour que la vérité vous éclate au visage : vous êtes bien cette personne atteinte de tics de langage.

C’est exactement la scène à laquelle j’ai assisté la semaine dernière : une amie a prononcé pour la 5ème fois en 10 minutes la tournure « en vrai » jusqu’à l’intervention d’un autre ami, agacé pour le coup, qui lui a fait remarquer.

Et c’est vrai, l’amie, la 1ère, n’arrête pas de dire « en vrai ». Et il est vrai que le « en vrai » se répand vraiment. 

Pour revenir à ma vraie petite scène avec mon amie, au moment où elle a pris conscience de son tic, je l’ai vue se recroqueviller en elle-même, plonger dans des abîmes de questions, dont celle-ci : mais pourquoi est-ce que je dis « en vrai » à tout bout de phrases, suis-je dans le faux la plupart du temps ?

La promesse de l’authenticité

En vrai, justement, je ne peux pas savoir ce qui s’est passé dans sa tête. Mais j’ai imaginé. J’imagine qu’elle s’est demandé pourquoi elle avait ce tic là et pas un autre ? A moins qu’elle les collectionne, comme on le fait tous d’ailleurs, un coup « en fait », un coup « du coup », un coup « en vrai ».

Mais le « en vrai » a ceci de particulier : il prétend à une sorte de rupture, plus forte que la conclusion à laquelle nous mène un « du coup » et plus frappante que le « en fait » assez banal, il faut le dire.

Le « en vrai », c’est comme pour les slogans de yaourt, la promesse de revenir aux choses vraies, traduction : là, vous allez goûter à un produit non transformé, du bon lait, sans additifs, sans colorants, bio si possible, l’authenticité pure Versus l’imposture.

Au fond, le « en vrai », ce n’est pas seulement un pied-de-nez à notre époque des infox, c’est aussi une annonce : ce que je vais dire là, c’est une parole authentique. Là, c’est moi qui parle et y aura plus de blabla. Moi, simplement moi, mes pensées, mon avis, ma théorie.

Et c’est là où on en vient à cette situation paradoxale : non seulement, en disant « en vrai », on jette le trouble sur nos prises de paroles habituelles (sont-elles fausses ou moins vraies), mais en plus, on use d’un tic de langage, répandu, conformiste, pour exprimer une singularité…

La vérité sur soi

Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que quand on dit « en vrai », on ne dit pas plus vrai que d’habitude, on ne crée pas un choc chez son interlocuteur, comme quand on mange un yaourt au vrai goût de yaourt, ça fait à peu près la même sensation qu’un autre yaourt.

Si le « en vrai » marque une rupture, c’est donc une rupture fluide, qui ne fait pas vraiment rupture, qui au mieux scande un discours, mais ne marque pas un avant et un après.

Hélas… De là à tout simplement condamner tous ces « en vrai » ?

Non, car ils soulèvent ce problème fondamental : le souci qu’on a de parler vrai en son nom, qu’on a, non pas la prétention de dire la vérité, mais celle de révéler au moins et c’est déjà beaucoup, une coïncidence entre ses propos et sa personne.

Comme dit Michel Foucault, qui a en fait des livres et des cours :

« la question de l’obligation de dire vrai se rencontre d’abord à propos du dire-vrai sur soi-même ».

Comme quoi, on a beau dire « en vrai » à tout bout de champ, user d’un élément de langage banalisé et agaçant, on garde l’espoir, et c’est beau, de dire quelque chose d’un peu conforme à ce qu’on est.