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Isabelle Richard / Petite fille « et Dieu créa la femme » /

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Texte publié sur le site de l’ALI.

Il y a quelques années L’A.L.I organisait un séminaire s’interrogeant sur les dyscalculies dyslexies dysorthographies, il nous faut aujourd’hui y ajouter dysphorie. Le dit n’est-il pas ainsi confisqué par le dys ? Une simple lettre Y sédiment du savoir venant se faire partenaire parental dans une alliance avec le médical, la science, le social, là ou un enfant devrait trouver un lieu permettant de faire entendre ses questions, un lieu pour son dit, ses bévues. Le Y venant en lieu et place du nom du père dans la métaphore paternelle, pour répondre du X du désir de la mère.

Dans ce téléfilm — lapsus calami, il s’agit d’un documentaire — l’école tente de s’opposer à une mère qui au début se pose encore des questions malheureusement vite refermées lors de sa rencontre avec la pédopsychiatre qui les balaie au profit de ce Y. Y, promesse du bonheur de l’enfant qui ne reposerait que sur sa liberté d’une position sexuée assumée.

A sept ans, parce que ce petit garçon a « pleuré de douleur » quant à la révélation maternelle qu’il ne serait jamais une fille, sa mère croit comprendre que son garçon est en fait une fille. 

Ce « pleurer de douleur » que la mère répétera plusieurs fois m’évoque le chant des sirènes sifflant dans les oreilles de cette maman, croyant pouvoir garantir contre vents et marées le bonheur de « sa fille », à qui une société sans « comprenoire » volerait une enfance heureuse. Le petit garçon se trouvera alors suspendu au désir de sa mère sans possibilité de retour en arrière puisque nous assistons, complices à la mise en place d’une castration chimique, bercés par la voix de Jaroussky, qui lui, heureusement, n’est pas un castrat.

Que nous dit la mère de sa grossesse ? Elle désirait une fille, elle se rappelle même de la date du jour où on lui a appris que c’était un garçon, ce qui provoque sa grande déception. Elle a perdu des bébés filles lors de fausses couches antérieures.

Sasha, comme si ce prénom, elle et son mari, ne l’avaient pas choisi, dit-elle, est le seul prénom sans genre de ses enfants. « Ses testicules qui ne sont pas descendus » sont pour elle, un signe supplémentaire du genre de son enfant. Sasha est la fille qui n’a pas pu naître. N’être que fille devient l’injonction de l’exception qui soutiendra le désir d’une mère et ici d’un réalisateur. Le Réel de la différence sexuelle est renvoyé à une erreur de réception dans un corps, du corps de la lettre, pourtant récusée, support d’une idéologie.

Le dire de cette mère est comme ce qui se dit au tout début d’une cure, révélation immédiate, mais ici en 2020, dans ce qui n’est pas une fiction, ce dire est récusé, défiant, anticipant toute interprétation psychanalytique. Avec Freud, les hystériques pouvaient sortir de l’asile, aujourd’hui sans lui, son enseignement devenant comme forclos, un enfant peut être la proie du progrès scientifique. Avec la complicité de la science médicale rien n’arrêtera plus la toute-puissance d’une mère. Le père, qui ne peut refermer ses bras sur son fils, ne fera que suivre sa femme. Jamais nous ne le verrons toucher sa femme, plusieurs gros plans nous montreront la mère allongée avec ses enfants.

Un autre gros plan nous montrera Sasha buvant son biberon avant d’aller à l’école, à 7 ans devant ce que je pense être « La Belle et la Bête ». En effet Sasha grandit dans une parole qui ne lui laisse aucune échappatoire : « ma puce, ma beauté ».

Quand il joue à la poupée Barbie avec son amie, il lui demande d’être sa mère.

Ce qui est effrayant, c’est comment rien ne fait question à cette toute-puissance, sauf l’école reléguée en place d’Autre méchant, tout comme cette professeur de danse russe, contingence ratée pour Sasha, qui devra être sanctionnée, nous dit la pédopsychiatre. Celle-ci s’exprime avec un débit et un vocabulaire qui ne laissent aucune place aux questions de Sasha. Les réponses sont contenues dans les questions. Sasha parle très peu. Il est l’au-moins-une qui fait ensemble, toute la famille fait corps autour de lui, au nom de cette au — moins-une.

Son petit frère nommé Vadim ne nous fait il pas associer avec le film « Et Dieu créa la femme » qui me semble être le sous-titre de ce documentaire ? Plusieurs idéologies sous-tendent ce documentaire, nous révélant cruellement jusqu’où peut aller notre société. Un enfant aujourd’hui peut-il encore être extrait de la toute puissance maternelle quand l’idéologie de toute puissance, de jouissance sans limite vient en supporter le fantasme ?

Mais j’ai aussi envie de nommer téléfilm cette fiction d’enfant qui devrait à 7 ans se figer dans des identifications, pourtant en devenir. Guillaume Gallienne nous a fait dans son film « Les garçons, Guillaume à table », un très beau témoignage de ses aléas et de l’issue qu’il a trouvé.

Les artistes, nous dit Freud, devancent le psychanalyste. Une fiction « ’Girl » nous racontait une histoire de garçon encouragé dans son désir de féminisation sans que ce soit questionnable. Finalement il se castrait réellement. Martine Lerude en avait fait une critique qui m’avait enseigné.

Dans ce documentaire, pour cet enfant, la castration sera chimique, avant qu’il n’ait pu faire l’expérience des aléas de ses identifications, du sexuel. Être une fille doit lui assurer le bonheur, il ne « pleurera plus de douleur » pour reprendre le dire de sa mère.

Le réalisateur a cherché un enfant pouvant incarner « la dysphorie de genre » et c’est à cette recherche qu’a répondu la mère.

Allons-nous assister dans les années à venir à la confiscation du dire de Sasha, de sa vie, par d’autres documentaires, futurs témoignages de cette mauvaise rencontre ? Lacan, renouvelant la blessure narcissique infligée par Freud au profit d’un parlêtre, expose toujours à la vindicte. Pourtant, comme nous le rappelle Christian Fierens, le manque à être par son désir peut inventer une nouvelle forme. Promesse bien plus réjouissante me semble-t-il qu’un sans limite de l’informe, à condition qu’un enfant puisse rencontrer un Autre barré et s’appuyer sur des autres le supportant.

Doit-on craindre qu’un tel écrit puisse aujourd’hui nous faire brûler sur la place publique ? Comment Sasha dans le « discourcourant » ainsi que le nomme Lacan, peut-il à la suite des premières patientes hystériques de Freud, venir enseigner au psychanalyste, une issue possible ? De la Salpêtrière à l’hôpital Robert Debré, alors que plus d’un siècle s’est écoulé, l’inconscient  n’est plus traqué après la puberté mais avant.

Et on ne peut que constater qu’il est de moins en moins question que « la pulsion se fasse le résultat de l’écho d’un dire dans le corps », comme nous le dit Lacan avec qui nous devons garder en mémoire, « qu’on dise reste oublier derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » Comment pouvons-nous aujourd’hui avec la psychanalyse protéger ces enfants ? Accueillir la douleur de cette mère ? Lutter contre l’idéologie du sans limite, sans discontinuité ?