Contributions

Jean-Louis Rinaldini – Ce qui s’écrit à l’infini

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AEFL Séminaire de psychanalyse 2008-2009

Je commencerai par évoquer une petite anecdote qui aujourd’hui nous prêterait à sourire concernant une figure exceptionnelle, il s’agit d’un grand penseur, philosophe, astronome, théologien, promoteur indéfectible et convaincu de l’infinité des mondes : Giordano Bruno. L’idée de Bruno que maintenant on comprend assez bien par la topologie est que le monde est infini.

Il est de la ville de Nola (d’où son nom le Nolain) au nord-est de Naples  il est né en 1548 et très vite il prend des positions très éloignées de l’orthodoxie catholique. On ne sait pas du tout quand il a été convaincu de l’infinité de l’univers. Il n’a aucune preuve scientifique mais utilise des arguments physiques et métaphysiques. 

Si l’on en croit un poème (dans le De immenso livre 3, De innumerabilibus, immenso, et infigurabili ) écrit à la fin de sa trop brève existence, puisqu’il sera brûlé vif au terme de huit années de procès le 17 février 1600 accusé d’hérésie par l’Inquisition, notamment pour ses écrits jugés blasphématoires et son intérêt pour la magie. Il raconte qu’il a une expérience d’enfance à Nola.  Il montait sur une petite colline, il voyait le Vésuve et croyait que l’univers s’arrêtait au Vésuve  parce que c’était l’horizon. Une fois il a l’occasion d’aller sur le Vésuve et voit sa petite colline de Nola La Cigala ou Cicala (il y a2 orthographes) et là sur Le Vésuve où il avait l’impression que c’était la fin du monde vu depuis Nola  il se dit que ce n’est pas la fin du monde puisqu’il peut voir sa petite colline au-dessus de Nola et depuis le Vésuve encore autre chose qu’il ne voyait pas de Nola. Il a donc cette idée de relativité optique ce qui le conduit à relativiser  toutes les apparences sensibles et c’est à partir de ce cheminement qu’il en est arrivé à infinitiser l’univers, par raisonnement pur puisqu’il n’y avait pas encore de lunette. Il se dit que si l’on pouvait aller sur des étoiles faiblement apparentes dans le ciel peut-être que de là on verrait encore d’autres étoiles etc. Pour lui il est inintelligible que l’univers soit fini, s’il était fini je m’arrête à l’extrémité et qu’est-ce qu’il y a au-delà de cette extrémité? Il doit y avoir de l’espace donc si l’espace limite l’espace c’est qu’en fait le cosmos n’est pas limité il n’y a pas de bordure.

Depuis l’Antiquité vous vous rappelez que les partisans de la Finitude du Monde, et les partisans de son Infinitude n’ont pas cessé de s’opposer. Notre Cosmos a-t-il des bornes ou, au contraire aucune limite qui le renferme ? Aristote était pour la première solution. A partir du travail de Copernic les choses changent radicalement. Petit à petit et différemment selon les auteurs, les conceptions se transforment profondément. Les œuvres de Galilée, Kepler, Descartes, voire Spinoza vont apporter l’idée d’un Univers Infini.

Mettons que je sois arrivé là… alors je passe ma main où elle va? Elle va dans le non être? Si on demande à Aristote où est le cosmos il répond en lui-même.

Il y avait déjà dès les présocratiques dès le VIe siècles avant J.C. l’idée que en quelque sorte tout contenant doit être contenu à son tour (Ceci peut nous faire penser à la paire ordonnée que Lacan introduit dans le séminaire du 27 novembre 1968 où se trouve posée la question : y a-t-il moyen de subsumer le « trésor » des signifiants sous un signifiant ? Question russellienne par excellence : est-ce que lensemble des signifiants est un ensemble qui se comprend lui-même ou pas ? Pour le dire autrement, est-il légitime de placer l’ensemble des signifiants sous un signifiant ? C’est-à-dire un ensemble de signifiants qui se comprend lui-même). Ce qui nous fait tomber évidemment dans une régression à l’infini. Pour arrêter tous ces paradoxes il suffit de poser l’infini. D’où l’idée qu’il est plus facile de penser un univers infini qu’un univers fini puisqu’on se débarrasse ainsi du problème du bord.

Par parenthèse un autre argument très fort que l’on trouve durant toute la fin du  XVIe XVIIe et même le XVIIIe siècle c’est cette idée d’un Dieu infini tout puissant. Tout le monde admet depuis le Moyen-âge que la perfection divine est synonyme d’infinité (St Thomas d’Aquin,  St Bonaventure [13e siècle]).  On admet que Dieu est omnipuissant, il peut tout sauf, peut-être violer le principe de contradiction ( c’est un péché de demander qu’un enfant qui est mort ne soit pas mort c’est-à-dire que ce qui a été fait ne soit pas fait)  qu’un Dieu tout puissant donc ait créé un cosmos identique à celui de Aristote, Ptolémée c’est-à-dire très grand, très vaste, mais limité. On a l’impression dans le débat qui occupe ces siècles là c’est que Dieu

  • ou il n’a pas pu faire mieux dans ce cas il n’est pas tout puissant
  • ou il n’a pas voulu, dans ce cas là il n’est pas généreux, pas bon, il est avare de sa toute puissance.

Dans les deux cas on a à faire à un défaut et ce défaut ne correspond pas à la nature divine. Remarquez que dans notre théorie psychanalytique nous en faisons notre fond de commerce clinique de cette question du manque dans l’Autre puisque à suivre Lacan le tout-puissant ne doit pas ignorer la catégorie du manque s’il doit vraiment s’avérer Autre. A ce manque dans l’Autre le sujet ne sait répondre que par sa propre disparition, sous quelque forme symptomatique que ce soit (par exemple du côté homme  les différents modes d’impuissance sexuelle).

Donc cette question passionnante de l’infini, de la limite, du bord, non seulement n’est pas neuve mais elle est toujours d’actualité. Parce que si nous revenons à nos préoccupations psychanalytiques c’est bien notamment à cela que s’attelle Lacan dans les derniers séminaires disons à partir des années 1974 c’est-à-dire avec le Séminaire Les non dupes errent  notamment la leçon 14 du 21 mai 1974 et RSI en 1974-1975.

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