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PERVERSCOPIE / Homme de pouvoir : sexo-maniaque ?

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Texte paru dans le Blog de Libération, Les 400 culs, écrit par Agnès Giard – 15 avril 2020.

«Les hommes politiques ont un rapport pathologique aux femmes.» Dans “Histoire érotique de l’Elysée”, l’historien Jean Garrigues essaye de résoudre l’énigme : les obsédés sexuels vont-ils à l’Elysée? Ou l’Elysée transforme-t-il en obsédé sexuel ?

Spécialiste des affaires politiques, Jean Garrigues consacre à l’Elysée un livre foisonnant d’anecdotes et d’indiscrétions, entraînant son lecteur dans les antichambres d’un pouvoir qui semble n’être jamais que le paravent des inconduites et des excès. «L’exercice du pouvoir, à toutes les époques et sous tous les régimes, s’est toujours accompagné d’une frénésie de conquêtes amoureuses, à laquelle répondait la fascination pour celui qui tenait entre ses mains la destinée des autres.» Citant le psychanalyste Jean-Claude Liaudet («s’approcher du politique, c’est approcher l’Olympe»), Jean Garrigues évoque la dimension aphrodisiaque du régime de commandement. Dès qu’ils accèdent aux sommets de l’Etat, les puissants ne se tiennent plus. «Si l’on en croit une anecdote racontée par Georges-Marc Benamou, nommé conseiller à la culture par Nicolas Sarkozy, il se serait fait apostropher ainsi par ce dernier dans les couloirs de l’Élysée : “Tu verras, tu vas avoir toutes les femmes que tu veux. Tu vas baiser comme un fou !” Boutade révélatrice, que confirme le témoignage de Séverine Tessier, une attachée parlementaire qui avait créé le collectif «Les Insistantes» en 1997 afin de dénoncer le sexisme ambiant : “Pour de multiples raisons –stress, pouvoir, ego–, les hommes politiques ont un rapport pathologique aux femmes et à autrui en général…”» Jean Garrigues confirme : rares sont les chefs à avoir résisté. Dans ses Mémoires (Le Pouvoir et la Vie), Valéry Giscard d’Estaing l’exprime en termes galants : «Pendant mon septennat, j’ai été amoureux de dix-sept millions de Françaises.» Jean Garrigues traduit : «il les lui fallait toutes».

Une maison de… plaisance ?

L’histoire de l’Elysée, dont il dresse la fresque flamboyante, commence en 1715, sur une moquerie : un aristocrate arriviste (le Comte d’Evreux) sollicite un poste honorifique. Le Régent, ironique, lui répond : «Je vous l’accorderai lorsque vous aurez un palais». Qu’à cela ne tienne. Le Comte d’Evreux s’achète un terrain aux limites de Paris, situé à proximité de ce que l’on commence à appeler Champs-Elysées 1 et y fait bâtir une luxueuse maison de «plaisance» : les parties fines s’y multiplient. «Bien que les chefs d’État […] aient mis un point d’honneur à transformer ce qui était à l’origine un hôtel particulier voué au libertinage en un palais solennel de la République, on y respire encore un parfum»… de vice et de trahison. Pour Jean Garrigues, l’Elysée reste imprégné par l’odeur amère de ses origines. Il s’avère que le Comte avait une femme. Il ne l’avait épousée que pour sa fortune. La toute jeune Marie-Anne, alors âgée de 12 ans à peine (il en avait 38) était la fille d’Antoine Crozat, surnommé par Saint-Simon «le plus riche homme de Paris». Elle était gracieuse mais le Comte la méprisait (une roturière). Il se montrait si odieux qu’elle finit par déposer une demande en séparation de biens. Le 14 décembre 1720, le Comte d’Evreux inaugura le Palais qu’il avait fait construire avec la fortune de sa femme et ce soir-là, «en plein milieu du bal, il prit le bras de son épouse et la raccompagna jusqu’à son carrosse en la priant de ne plus jamais reparaître en ces lieux. C’est en compagnie de sa maîtresse, la duchesse de Lesdiguières, qu’il termina la nuit dans sa nouvelle demeure

«Nous n’irons plus aux bois, les lauriers sont coupés…»

La demeure était faite pour abriter des amours volages. «C’est donc dans ce cadre fastueux que le comte d’Évreux, qui n’avait eu pour seul mérite que d’épouser la fille d’Antoine Crozat avant de la répudier, coula des jours heureux avec sa maîtresse, goûtant sans vergogne aux voluptés», jusqu’à ce que le destin le rattrape : le père de Marie-Anne «lui infligea pour se venger une cascade de procès qui le ruinèrent littéralement» et le comte y mourut, seul, en 1753. L’hôtel fut alors vendu à Jeanne-Antoinette Poisson, plus connue sous le nom de Pompadour (duchesse). Après avoir été la maîtresse du roi, elle était devenue sa confidente et aussi celle qui choisissait pour lui «les jeunes créatures appelées à satisfaire ses appétits». Cette femme était puissante mais détestée des Parisiens au point que des émeutes la chassèrent de l’hôtel. La vindicte de l’opinion était telle qu’elle recevait des lettres d’injures et des menaces de mort. «Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, le séjour à l’Élysée de la “coquine du roi” n’est donc en rien marqué par l’érotisme, si ce n’est dans les paroles d’une comptine devenue célèbre qu’elle y aurait composée : “Nous n’irons plus aux bois, les lauriers sont coupés…” C’était une allusion poétique aux maisons de passe qui entouraient l’hôtel d’Évreux, traditionnellement signalées par des feuilles de lauriers, et dont un décret royal venait d’interdire la fréquentation.» L’histoire est-elle vraie ? Toujours est-il que la Pompadour cessa d’y loger.

Un «insupportable fumet de machisme»

Après sa mort, l’hôtel passa de mains en mains, ses pièces d’apparat converties en boudoir ou en écrins pour les plaisirs. C’est à l’Elysée que les prostituées appelées «Merveilleuses » se pressaient sous le Directoire. C’est là qu’«Adolphe Thiers, Léon Gambetta, Georges Clemenceau, Félix Faure et les autres, sacrifièrent pour la plupart au culte des jolies femmes, maîtresses et courtisanes, comme à un usage social de rigueur», avant de céder la place aux séducteurs boulimiques de l’après-guerre, experts en double-vie clandestines dont Mitterrand fut la tête de proue. Dans cet ouvrage de 200 pages, agrémenté d’un index impressionnant (Bardot, Barrès, Blum, Bokassa, Bonaparte, Boutin…), Jean Garrigues trace d’une plume palpitante, irrésistible, les différentes formes de l’érotisme politique et de ses dérives moins plaisantes : plaintes pour viol étouffées, scandales sordides, comportements abusifs impunis… «Comment raconter une telle histoire, sans tomber dans l’accumulation d’anecdotes plus ou moins grivoises, et souvent plus ou moins vraies ? En ayant sans cesse à l’esprit que les comportements amoureux des hommes de pouvoir sont d’abord et avant tout le reflet des normes et des coutumes qui régissent les rapports sociaux de leur époque, que ce soit entre les sexes, entre les âges ou entre les catégories sociales. Il s’en dégage au long cours un insupportable fumet de machisme archaïque, lié au sexisme et à la phallocratie. De ce fait, et au-delà du tempérament et des spécificités des uns et des autres, il y a dans une histoire de ce type une valeur d’homologation socioculturelle qui est passionnante à analyser. Cette histoire d’érotisme et de pouvoir, c’est au fond l’histoire des relations amoureuses de Louis XV jusqu’à Emmanuel Macron, et c’est peut-être ce qui en fait le prix.»

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A LIRE : Une Histoire érotique de l’Elysée, de Jean Garrigues, éd. Payot, oct. 2019.

NOTE (1) Alors appelée Grand Cour, l’avenue des Champs-Elysées est à l’origine une vaste route bordée de platanes, que Louis XIV avait fait aménager par André Le Nôtre (le paysagiste du château de Versailles) et qui était devenue un lieu de promenade pour la noblesse