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Valérie Meucci Brandmeyer / HAMLET, LE COGITO, TOUJOURS D’ACTUALITÉ /

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Alors qu’Œdipe ne sait pas, Hamlet est conscient de la dette de son père – le ghost – et sait qu’il a été  assassiné par Claudius. Son père lui demande de le venger tout en laissant sa mère tranquille. Lacan dans la leçon 16 (1) met en lumière le drame d’Hamlet qui est de savoir « l’insondable trahison de l’amour « .

Cette question du savoir rendue saillante dans la leçon 19 amène une hypothèse :Faire un lien entre l’émergence du personnage d’Hamlet dans son rapport au savoir et l’avènement du sujet de l’inconscient dans son rapport au savoir, là où justement quelque chose fait défaut.- Lien temporel entre la parution de la pièce et la publication de l’élaboration de l’opération cartésienne au 17èmesiècle.Lien éclairé par un appui sur Melman – séminaire 17 (2) car il approche la question du sujet de l’inconscient et de sa naissance en se référant à Lacan « (…) Le sujet de l’inconscient, c’est le sujet de la science, la mise en place opérée par Descartes, c’est-à-dire la substitution à l’ordre signifiant de l’ordre mathématique pour rendre compte des phénomènes du monde (…) ».

Auparavant, les certitudes étaient énoncées par Dieu.

En reprenant la mise en place du doute cartésien et du doute chez le sujet de l’inconscient, Lacan montre que ce sont des différences qui concernent un même sujet.

Pour Lacan, le « je suis, là où je ne pense pas » dessine un doute extérieur à la pensée, sur une autre scène. Parce que je doute, j’existe, mais dans un lieu en dehors de ce monde qui favorise le doute.

Alors que pour Descartes, le doute est méthodique, temporaire et aboutit à une certitude validée par Dieu. Certitude de pensée et donc d’être, ramassée dans le « je pense donc je suis ». (3) Hamlet pose son doute dans la pièce : « être ou ne pas être, c’est toute la question ». (4). Le personnage va émerger au fil de l’histoire. Leçon 14, dans un cri de colère à l’endroit de Laërte étreignant dans la tombe, sa sœur Ophélie, morte, Hamlet commence à manifester son désir d’être. « Celui qui crie cela, c’est moi Hamlet le Danois. » (5), vers repéré par Lacan qui en témoigne. Puis, Hamlet, homme qui ne sait pas ce qu’il veut, nous dit Lacan dans la leçon 18, prendra position à nouveau, mais sans le savoir.

À son insu, il entre dans ce combat avec Laërte organisé pour la gloire, sans courage, mais avec son manque à être.

Il n’y est pas entré avec le phallus. Sur le graphe du désir, nous sommes au niveau du fantasme. Et c’est au moment de tuer Laërte, de perdre la vie, qu’il deviendra sujet. Hamlet est coincé entre le discours de vengeance de son père et l’incertitude de sa mère qui ne choisit pas à l’endroit de son défunt mari — le ghost — ou de Claudius.

Lacan dans la leçon 17 pointe ici le drame d’Hamlet dans son rapport au désir de l’Autre. Son désir à sa mère. Leçon 20, Lacan poursuit dans cette voie et note chez Hamlet un doute névrotique qui interroge : « C’est pour autant que dans l’Autre, dans ce discours de l’Autre qu’est l’inconscient, quelque chose fait défaut au sujet ». Hamlet pris dans un étau, reste face à une absence de réponse. Dit autrement : « il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Hamlet a-t-il touché quelque chose dans son accession à sa position de sujet, à sa vérité ? ll réalise peut — être le passage d’une position où il était coincé entre son père et sa mère à une position où : « il coïncide avec lui-même ».

L’agencement des lettres dans ces mots « coinc-é » et « coïnc-ider » frôle la coïncidence. « Coincé “renvoyant à ‘être immobilisé’ et ‘coïncider’ à tomber.

Tomber, mais à quel prix ? Au prix d’un combat qui engendre la mort. Pour qu’Hamlet devienne Hamlet, il aura fallu la trahison dans la précipitation : ‘Oh ! Félonie ! Ho ! Faites verrouiller les portes ! Trahison ! Trouvez-la’. (7)

C’est dans un double mouvement qu’il émergera :

Pris dans la trahison qui rappelons-le est le drame central de cette pièce, et dans la réalisation du désir

de son père en blessant le Roi traître, d’une pointe empoisonnée. Melman en 2002 dans le séminaire 25 (8) se saisit de la notion de vérité du sujet voire de la Vérité, délaissée aujourd’hui par les scientifiques qui lui préfèrent le concept de modèle. Délaissée, mais pas par tous.

Au 21e siècle, Aurélien Barrau astrophysicien dans son livre ‘De la vérité dans les sciences » (9) nous

invite à un questionnement sur la vérité scientifique.

Questionnement que Bernard Stiegler, philosophe, vient nourrir dans son travail en lien avec les nouvelles technologies. Melman nous rappelle que Lacan pensait la Vérité comme ‘cette exigence du sujet de pouvoir parler d’un lieu qui serait effectivement le sien’. Si aujourd’hui, la science accompagnée par la technologie se met à savoir plus, à douter moins, oubliant cette recherche de la Vérité, cela n’est pas sans nous évoquer Hamlet, qui lui sait, et reste coincé dans ce savoir.

Shakespeare aurait-il anticipé là une réflexion sur la vérité, scientifique et inconsciente ? 

1 – ‘Le désir et son interprétation’ séminaire 1958 – 1959 Jacques Lacan

2 – ‘Pour introduire la psychanalyse aujourd’hui’ séminaire 2001 — 2002 — Séminaire 17 — Charles Melman

3 — ‘Le discours de la méthode’ 1637 — René Descartes

4 — III, 1, 57 ‘Hamlet’ (1609) – Shakespeare — traduction François Maguin 5 — V, 1, 242 cité par Lacan — ‘Le désir et son interprétation’

6 — définition Larousse 7 — V, 2, 300

8 — ‘Pour introduire la psychanalyse aujourd’hui’ séminaire 2001 – 2002 — séminaire 25 — Charles Melman 9 — ‘De la Vérité dans les sciences’ — Aurélien Barrau — 2016