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Philippe Albert / les enfants de jocaste

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Écrit en 1980, cet ouvrage a été écrit par une psychanalyste femme — et non pas ouvertement féministe militante. Christiane OLIVIER nous appelle à inventer une psychanalyse dans laquelle la femme ne serait pas niée. Et là voilà, page 44, à nous rappeler que, pour Jacques LACAN, « Il n’y a de femme qu’exclue par la nature des choses qui est la nature des mots… Simplement elles ne savent pas ce qu’elles disent, c’est toute la différence entre elles et moi[1]».

Elle cite, à la même page, un autre psychanalyste qui relaie la parole de son maître : « La femme représente la castration généralisée, que le vivant reçoit du verbe, en tant que le pénis lui manque, elle représente l’aliénation absolue de la parole[2]. »

À cette vérité absolue énoncée d’abord par Freud, et relayée farouchement par les lacaniens, elle répond par une interrogation : et si cette « envie du pénis » dont souffriraient les femmes n’était que la projection d’une « envie du sein » ou d’une « envie de l’utérus » dont souffriraient les hommes ?

LACAN et PUJOL, et bien d’autres psychanalystes n’auraient donc été que des hommes comme les autres ? Des phallocrates ? Pourtant, ils auraient dû « connaître [leur] tendance à la domination, motivée par la crainte de retomber sous la domination féminine d’antan [3] », celle de la mère, vue comme toute-puissante, désirée et désirante.

Et l’auteure assure que « Le discours de l’homme est mortifère pour la femme dans la mesure où, la prenant pour objet, il lui enlève sa place de sujet et décide pour elle de ce qui lui est bon. Ainsi c’est l’homme qui définit la place et le langage féminin, et ce ne peut être qu’une place de morte et qu’un rôle de muette puisque ce n’est pas elle qui en décide[4]. »

Elle fait également le procès, non pas de la maternité, mais du maternage. Et de citer Boris VIAN qui, enfant, fut « couvé » pour cause de maladie : « Elle allait leur donner tant d’amour que leur vie entière, tissée de soins et de bons offices, perdrait son sens hors de sa présence[5]. »

Faut-il lire ce livre comme une œuvre relevant d’un passé de la psychanalyste révolu ? Existe-t-il réellement un post-freudisme qui a pris conscience, dans sa théorie comme dans sa clinique, que la psychanalyse était, à sa source et jusqu’à LACAN, phallocratique, imprégnée — voire imbibée — de la culture patriarcale dont elle a émergé ?

Certes non, à lire l’ouvrage incendiaire, Sœurs[6]. Les auteurs, une psychanalyste et un philosophe, deux féministes militants, prônent, « le poing levé », une psychanalyse féministe, crient leur détestation du patriarcat, comme si tout était encore à faire pour éradiquer l’antagonisme séculaire entre l’homme et la femme, comme si les hommes n’avaient jamais pu ou voulu affronter leur complexe de Jocaste.

[1] Jacques LACAN, Séminaire n° XX, page 68.

[2] Robert PUJOL, La mère au féminin.

[3] Christiane OLIVIER, Les enfants de Jocaste, page 140.

[4] Ibid., page 145.

[5] Boris VIAN, L’Arrache-cœur.

[6] Sylvia LIPPI et Patrice MANIGLIER, Sœurs, pour une psychanalyse féminine, Éditions du SEUIL, 2023.