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Christiane Lacôte-Destribats – Ce que le transfert peut inscrire

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Texte paru sur le site de l’ALI

Ce qui concerne le transfert nous interroge tous et, particulièrement, dans les secousses que vivent les groupes de psychanalystes.

Espaces du transfert : Un ami m’a presque laissé entendre qu’il y avait une sorte de pléonasme dans cette formule. Le transfert est en effet un tel déplacement qu’il implique d’autres espaces, et, j’ajouterai, d’autres temps. Il y a même parfois, lorsque le déplacement implique une substitution comme dans ce qui caractérise les formations de l’inconscient, métaphore et métonymie, hétérogénéité de ces espaces engendrés par la parole dans le transfert.

La question se repose vivement actuellement.

Ne serait-ce que par ce zoom avec lequel je communique avec vous aujourd’hui : image et voix pour une parole qui est transportée par haut-parleur et par l’image d’un corps qui est ailleurs.

Un transfert digitalisé est-il possible ? Les implications n’en sont pas encore repérées. Rendu nécessaire par le récent confinement en France, mais dont la pratique est fréquente dans des pays comme la Chine par exemple.

Déjà, certains de nos collègues trouvaient difficile, actuellement, l’accès au transfert « ordinaire » dans l’analyse pour certains jeunes dont le désir de savoir est émoussé par un désintérêt général pour tout savoir dont on ne tire pas des effets immédiatement enregistrables.

Il me semble cependant que ces difficultés d’investissement de l’analyse qui font partie du transfert sur un analyste ne sont pas si nouvelles que cela. N’en déplaise au désir si fréquent d’être dans le coup du contemporain.

Il a toujours fallu un temps, difficile à mesurer, pour qu’un transfert s’installe avec un analyste. Ce n’est jamais joué.

D’autre part, on oublie souvent que le transfert est un transport inconscient. C’est sa véritable dimension, mais, me semble-t-il, on l’oublie souvent à cause des manifestations conscientes d’amour, de haine, d’attachement qui sont adressées à l’analyste.

Ceci est délicat, car, pour ma part, je ne situe pas l’amour et la haine dans une symétrie d’opposés. L’amour a partie liée avec le phallus. La haine, qui, à mes yeux n’est pas un sentiment, mais une sorte de torrent désubjectivé par ce qu’il a affaire à l’être, est aussi une modalité du transfert. La haine, dans le transfert, parce qu’elle se distingue de l’agressivité qui, elle, se déclare facilement, est parfois si forte que le sujet, emporté par elle, croit aimer, presque de bonne foi… Quant à ce que j’ai appelé attachement, faute de mot plus précis, je désigne par ce mot toute relation qui s’appuie sur ce qu’on appelle relation en miroir.

Cependant, ce que je voudrais aborder, c’est moins ce qui concerne les affects liés au transfert, et qui sont variables, que ce que le transfert opère, puisqu’il déplace et transforme.

Sur l’installation du transfert, et ses difficultés possibles, il me semble que l’on peut toujours dire qu’il dépend de l’éthique de la psychanalyse.

Que nous disent en effet Freud et Lacan quand ils nous disent que l’inconscient est éthique et non ontique (Lacan) et « qu’il faut y aller » (Freud) ?

Nous avons eu tout un séminaire d’été sur l’éthique de la psychanalyse, sur les lois de la parole, sans que soit beaucoup mentionné que l’inscription du transfert n’est rendue possible que si notre intervention, à chaque fois particulièrement, relève d’un acte éthique. Comment cela ? Ce sont les moments où l’analyste engage sa mise, c’est-à-dire son propre rapport à la parole. A un certain moment du bavardage de son patient, apparaît un mot, pas forcément un lapsus ou une formation inconsciente caractérisée, et c’est là « qu’il faut y aller », c’est-à-dire prendre le risque d’un espace inconnu. Il ne s’agit pas simplement de respecter quelques règles ni de souscrire à ce qui serait un idéal de la conduite de la cure. C’est à l’intérieur même des mots, là où surgit une béance qui fait trembler le sens qu’« il faut y aller ». (Lacan. Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse). Cela peut prendre diverses formes.

C’est en cela que nous suivons l’enseignement de Lacan lorsqu’il s’agit de comprendre la loi comme étant la loi du langage. Mais pas en général : C’est l’un des axes de ce propos.

« Il faut y aller », c’est-à-dire avec cette dimension d’inconnu que nous ne devons pas perdre de vue. Or nous pouvons la perdre de vue car nous pouvons nous laisser conduire mollement par les répétitions de signifiants de nos patients, par leurs habitudes et les nôtres.

A ce propos, une remarque. Ne déplorons pas les conditions actuelles de notre culture pour renoncer à ce qui est la rigueur de notre pratique. Il y a, certes des aménagements à faire, de temps, de paiement, etc., mais l’essentiel repose sur la parole et sur la manière dont on l’entend et y répond. Faut-il la susciter, à la manière de la « technique active » de Ferenczi ? Lacan lui- même tenait compte de cet apport, pour lequel la notion et le mot d’expérience, assez vague en ce cas, semble tout cautionner, qui permettait de surmonter quelques résistances et, peut-être, de les analyser, et témoignait de l’engagement du psychanalyste.

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