NDLR: L’extrait retranscrit se situe après que la productrice de l’émission Cécile Hamsy a souhaité que Jean Oury évoque la période où celui-ci, toujours en analyse avec Lacan et afin de poursuivre son analyse, rendait visite à ce dernier, immobilisé à l’hôpital pour une jambe cassée. Une telle inversion des places a-t-elle induit un cheminement plus rapide vers la fin de son analyse ?

[…] Sûrement, mais ce ne sont pas les seules raisons. Là on retrouverait plutôt les raisons institutionnelles. Les raisons institutionnelles puisqu’à ce moment-là, nous faisions tous, et moi aussi, à titre d’élève ou candidat, partie de la société psychanalytique de Paris. Qui était donc la seule institution à ce moment-là. Et j’ai été donc témoin et participant des conflits qui se sont développés entre Lacan et les collègues de la société psychanalytique de Paris, à l’occasion justement de la création de l’Institut, c’est à dire d’un organisme de formation et d’enseignement.

Il a été créé en juin 1964 à partir d’une scission, c’est ce qu’on appelle le JE FONDE. Bon, c’est une séance qui s’est passée chez François Perrier, je lui ai écrit une lettre à ce moment-là une longue lettre lui disant que je n’étais pas d’accord avec la distinction qu’il faisait dans son école entre psychanalyse pure, psychanalyse appliquée et puis psychanalyse et sciences connexes. Moi j’ai dit que je n’étais pas du tout pour la pureté au sens de la pureté et surtout je n’étais pas du tout pour la psychanalyse appliquée. Parce que ça c’est extrêmement dangereux parce qu’il va se dessiner des gens qui se diront des purs, et puis il y aura les pauvres connards qui seront dans l’application. Moi j’estime que la théorie c’est la praxis même, et c’est au niveau même de ce que vous appelez appliqué. Et c’est à partir de là qu’il y aura de la pureté si on veut hein ? Ça, je le lui avais bien écrit et je pense toujours que j’avais raison.

Qu’est-ce qu’il m’a répondu ? Il m’a dit qu’il était coincé ! Et à ce moment-là, on a fait la démarche avec tout le GTPSI, on était en 1964, il y avait François Tosquelles, Hélène Chaigneau, etc., on a fait une démarche, on est allé chez lui en septembre 1964. Donc, on est allé chez lui au 3, rue de Lille, chez lui c’était au 3 et pas au 5 où on avait l’analyse, c’était tout à fait en haut, au 3, rue de Lille. On s’est installé là pour discuter en disant ce que je proposais, c’était que tout le GTPSI[1] fasse partie de l’école. À condition que ça ne soit pas appliqué, hein, qu’il change un peu la formule. Et alors là, à ce moment-là, j’ai même fait des tracts dans les mois qui ont suivi pour distribuer dans les premières… Mais ça a été mal accepté. Pourtant, il était tout disposé.

C’est dans cette année-là en 1964 et je pourrais finir là-dessus pour donner une image, que Lucien Bonnafé, qui était encore médecin-chef à Perray-Vaucluse, c’était son ancien copain Bonnafé, un vieux camarade qu’il n’avait pas vu depuis très longtemps pour des raisons variables, politiques et autres, c’est donc au mois de décembre 1964, que Bonnafé m’avait téléphoné en disant, tiens, est ce que tu voudrais venir, on va faire une journée sur la psychothérapie institutionnelle ou n’importe quoi, sur la hiérarchie… etc. Je dis d’accord, mais ça serait bien si je pouvais amener Lacan pour parler avec les infirmiers. Alors Bonnafé dit je n’y crois pas, mais essaye. Je l’ai dit à Lacan. Et Lacan est venu ! Tout l’après-midi à Perray-Vaucluse. Alors ce fut une retrouvaille avec Bonnafé. Il a passé son après-midi à faire une table ronde avec des infirmiers et c’était quand même là quelque chose de très très important et qui donnait vraiment une des dimensions les moins connues peut-être de Lacan et qui est aussi une des plus authentiques de son travail.

[1] GTPSI groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles. Lire ici pour en savoir plus.