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Carmen Cuñat / La psychanalyse pour tous ?

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Texte traduit de l’espagnol. Publié et à retrouver sur le site EL PSICOANALISIS Numéro 45 Mars 2025. Illustration « Le thérapeute » Magritte. 

«Il n’y a pas d’entrée possible en analyse sans entretiens préalables. » Lacan rappelait cette suggestion en 1971, lors de sa deuxième conférence donnée à l’hôpital Sainte-Anne pour les internes en psychiatrie, qui précédait son Séminaire… Ou pire. Il s’agissait d’une série de rencontres préliminaires que Lacan souhaitait différencier de ce qui allait devenir le Séminaire, où il proposait d’expliquer ses propos à l’aide de la logique et de la topologie. Invité à parler du « Savoir du psychanalyste », Lacan préféra s’exprimer en tant qu’analysant, soulignant qu’enseigner la psychanalyse exige de consentir à se substituer à l’analysant.

De même, pour exercer la psychanalyse, il faut d’abord en faire l’expérience. Cela n’a jamais été évident, et encore moins aujourd’hui, où n’importe qui peut se prétendre psychanalyste ou exercer la psychanalyse. Il est surprenant que certaines personnes se présentent comme analystes et jettent le patient potentiel sur le divan dès qu’il franchit la porte. Parfois, l’invitation est simplement à une libre association, et cela n’en est pas moins surprenant. Et qu’en font-elles ? L’idée que parler est bénéfique s’est imposée comme un principe pour aborder cette situation de santé mentale extrêmement préoccupante. Certes, parler peut être bénéfique si au moins on assume ses paroles. Parfois, c’est le patient potentiel lui-même qui prend l’initiative, anticipant les instructions de l’analyste. Dans ce cas, on peut supposer qu’il a peut-être vu trop de films. Cela nous indique que la psychanalyse est entrée dans le discours dominant et que nous ne sommes plus aux premiers temps où Freud était contraint de mettre en garde contre les détails de l’expérience.

Le thème de ces séances nous invite à marquer une pause et à ne pas nous précipiter dans une demande de traitement, poussés par l’urgence de trouver des solutions rapides à notre malaise. L’expérience de la psychanalyse, telle que proposée par Freud puis formalisée par Lacan, se présente comme une contre-expérience au discours dominant qui organise et domine notre existence. Il convient de considérer, par exemple, la facilité avec laquelle les entretiens en ligne semblent si faciles.

Une analyse nécessite du temps pour se dérouler et un espace où se rendre. Le pari est que, sur le chemin emprunté par le corps pour rencontrer un analyste, l’inconscient peut apparaître, par exemple, comme un acte raté, ce qui fournit des indices pour affiner le symptôme.

Lorsque Freud aborde l’entrée en analyse dans ses Écrits techniques, il met en garde contre une série de difficultés liées à la méthode psychanalytique et propose une série de restrictions. Il propose également une période initiale d’entretiens, à titre d’essai, pour voir si le patient s’adapterait à la méthode, tout en établissant une série de règles auxquelles le futur analysant doit consentir. Ce n’est pas exactement l’approche de Lacan, car d’emblée, il présente ces entretiens comme un premier moment d’élaboration où le futur analysant est invité à consentir à un processus initial qui transformerait sa plainte en symptôme analytique, un appel à la connaissance adressé à un Autre qui met en lumière l’inconscient.

Freud a surtout insisté sur un point : la disponibilité au transfert, notamment en ce qui concerne la psychose. On sait que Freud s’est finalement abstenu de traiter ces patients, non sans avoir au préalable étudié cette possibilité en profondeur. Ce n’était pas la position de Lacan, qui, au contraire, a consacré ses premières années d’enseignement à élucider « la question préliminaire » à prendre en compte dans la prise en charge d’une psychose, afin d’expliquer pourquoi le psychotique présente ces difficultés face au transfert. Lacan nous a exhortés à ne pas reculer face à la psychose, tout en invitant le praticien à mettre en pratique la contre-indication freudienne. À cette fin, il a surtout mis en garde contre la nécessité d’obtenir les coordonnées initiales d’un diagnostic structurel, afin de déterminer s’il s’agissait d’une psychose, d’une névrose, d’une perversion, et quelle serait l’intervention appropriée, suggérant par la même occasion que quiconque se proposait comme candidat à l’analyse pourrait être découragé.

Comme Miller nous l’a rappelé, Lacan a en réalité inversé la stratégie de l’IPA, qui ne retenait finalement que les candidats souhaitant poursuivre une formation d’analyste. Pour Lacan, tout le monde pouvait être candidat à l’analyse, et il proposait des entretiens préliminaires pour explorer cette candidature.

Lacan a posé ces premiers entretiens comme un seuil à franchir à l’entrée de l’analyse. Il a établi une porte, et en même temps une discontinuité. Cette discontinuité sera présente tout au long de l’analyse. Une analyse est faite de préliminaires et de traversées. Quoi qu’il en soit, l’acceptation du futur analysant prime. Une demande d’attention est une chose, la formalisation d’une demande en est une autre, et le désir qui la sous-tend en est une autre. Freud, puis Lacan ont montré que la demande de guérison dissimulait peut-être la volonté de ne pas renoncer à une satisfaction qui s’est avérée être la satisfaction paradoxale contenue dans le symptôme. La réponse à cette demande ne pouvait donc pas être un désir de guérison. Comment s’y prendre alors ? En effet, la préparation de l’opérateur à accepter correctement la demande était essentielle. Dès lors, la formation du psychanalyste commença.

Cela a conduit l’IPA à différencier l’analyse thérapeutique de l’analyse didactique. Lacan a éliminé cette distinction, soulignant que ce désir de guérison devait être préalablement élucidé pour pouvoir répondre à une demande. En effet, comme toute demande, la demande de guérison devait être interprétée. La demande se déclinait alors en demande de guérison, demande de connaissance, demande d’amour, demande de satisfaction. À laquelle elle ne pouvait répondre que, non pas au désir d’être analyste, mais à cet opérateur qu’est le désir de l’analyste. C’était l’invention de Lacan : le désir de l’analyste comme produit d’une analyse didactique, ou d’une analyse pure, qui nous invite à mener une analyse jusqu’au bout.

Quand on considère ce qui caractérise le plus notre époque — on parle de forclusion généralisée, on dit que tout le monde est fou, on constate que « les exigences tendent vers l’excès et que la carence devient de plus en plus difficile à localiser » — on pourrait dire que la psychose semble être au premier plan, désormais comme une psychose ordinaire ou déchaînée. Face à cela, on ne peut s’empêcher de rappeler tout ce cheminement antérieur et son enseignement, qui ne résultent pas de l’établissement d’une technique, mais de la mise en avant d’une éthique. Nous le répétons sans cesse : la psychanalyse n’est pas régie par des protocoles ou des normes, mais est le fruit d’une pratique nourrie par la rencontre et la contingence.

Les entretiens préliminaires constituent, en principe, une collecte de données. Mais il ne s’agit pas de données objectives, comme celles recueillies dans le cadre d’une anamnèse ou d’un protocole. Il s’agit de trouver un sujet dans sa singularité, dont la première manifestation est sa division, un sujet concerné par ce qui lui arrive et déterminé à jouer son rôle, à apporter sa contribution.

Freud a donné la parole aux hystériques et a ainsi inventé l’inconscient ; Lacan a donné la parole aux psychotiques et nous a introduits à cette pratique dite dérégulée. Il s’agit de principes, et non de schémas comportementaux. Nous cherchons un moyen de transmettre ces principes par la pratique, en analyse ou en contrôle, et aussi à l’École, mais en réalité, non pas en donnant des explications, mais en agissant. Si, à partir de Freud, le dilemme s’est posé quant à ce qui précède, transfert ou interprétation, Lacan l’a clarifié en soulignant que le transfert s’établit parce que nous devons d’abord vérifier une demande de connaissance, et nous aimons celui qui sait. N’importe qui peut venir occuper cette place, mais l’analyste répond par son acte depuis un lieu autre que celui de l’amour ni depuis un lieu de connaissance préalable.

L’interprétation analytique, telle que proposée par Freud, répondait à une exigence de découverte de sens dans les formations de l’inconscient. Lacan, s’appuyant sur cette pratique dérégulée, a ici aussi inversé les termes, proposant que ce soit l’inconscient qui interprète, qui nourrit le symptôme de sens. Le rôle de l’analyste est alors de nous inviter à lâcher prise sur le sens.

Si la métaphore freudienne des échecs nous guide, c’est parce que l’expérience analytique met l’analyste en échec dès le départ. La seule chose qu’il ait peut-être besoin de savoir, c’est qu’à la fin de l’expérience, il perd sa position de sujet supposément connaissant.