Roland Gori / La certitude de la haine

Texte publié dans les actes de notre séminaire Comment les discours de l’amour se déclinent-ils aujourd’hui ? 1998-1999. Image La nuit du chasseur avec Robert Mitchum réalisé par Charles Laughton.
« On ne haïrait pas si on n’avait pas à se haïr en même temps. »
Roger Nimier, Amour et Néant. Paris. Gallimard
« Que se passe-t-il quand la souffrance augmente et dépasse la force de compréhension du petit être ? L’usage commun caractérise ce qui s’ensuit par l’expression : “l’enfant est hors de lui”. »
Ferenczi, 1932, Journal clinique. Paris: Payot, 1985, p. 79.
« Que l’être comme tel provoque la haine n’est pas exclu » […] « une haine solide, ça s’adresse à l’être […] »
Lacan, 1972-73, Encore Livre XX. Paris : Seuil, 1975, p. 91.
Parler de la haine relève presque de la gageure, car au centre même de cette passion c’est justement la dimension symbolique qui fait défaut et les mots manquent pour la dire tant qu’ils n’ont pas trouvé le moyen de la lier à autre chose, qu’il s’agisse de l’amour ou du savoir. Dans la passion haineuse, les mots se délitent comme signifiants et se trouvent bien souvent rabaissés au rang d’objets, de choses, d’actes, de coups, de marques qui tentent de tuer et d’abolir ce qu’ils visent. Et encore dans ces cas-là s’agit-il d’une passion haineuse intriquée à l’érotisme sadique et non de cette haine primordiale, originaire qui s’adresse tout autant à l’être de l’autre qu’à l’être du sujet ? Dans ce dernier cas, la haine s’avère consubstantielle à l’être, elle se révèle ontologique. C’est peut-être en ce sens qu’il convient d’entendre la phrase d’Empédocle : « La genèse commence là où la haine s’accomplit. » Mais ce commencement logique demeure à proprement parler innommable. Cette haine sourde et obscure est une affaire ontologique, c’est l’hypothèse que je vous propose. À condition, bien sûr, de ne pas réduire l’être à une substance, à un étant ou à sa représentation, c’est-à-dire à une ontologie de la présence, mais bien plutôt à concevoir ce concept de l’être comme relevant nécessairement d’une soustraction logique qui détermine sa manifestation dans la variété et la multiplicité des étants. En ce sens, l’être est le nom du vide et je citerai Alain Badiou : « Le vide est le point d’être imprésentable de toute présentation. Le vide est le nom de l’être. » C’est à ce point là que s’adresse la haine. C’est bien pourquoi d’ailleurs il est si difficile d’en parler et si difficile de la trouver à l’état pur au cours des analyses où elle apparaît toujours mâtinée d’érotisme et d’amour. La haine est réaliste, elle récuse l’appareil de langage où le sujet se trouve et se perd à la fois dans les défilés de la parole.
Avant de tenter de circonscrire rigoureusement ce concept de la haine, je partirai du constat selon lequel ce mot se trouve rarement dans les dictionnaires où nous puisons nos références. Et si on veut bien entendre avec Freud que « l’exemple est la chose même », c’est dire d’une certaine façon le caractère d’incompatibilité de la haine et du langage.
Ce concept de haine est absent du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis. Il n’est fait mention de la haine qu’avec l’ambivalence, c’est-à-dire en liaison avec l’amour. De même on ne trouve pas de définition de ce concept dans le dictionnaire de la philosophie de Lalande. Quant à ce trésor de l’étymologie de la langue française que constitue le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey (1992), il est étonnamment pauvre et avare quant à l’étymologie de ce mot indiquant en quelques lignes que « le mot haine provient du verbe haïr » issu de l’ancien français d’après l’ancien haut allemand. Peu de choses donc dans les dictionnaires pour parler de ce qui fait tourner le monde. C’est dans le Dictionnaire de la psychanalyse de Roland Chemama que l’on trouve l’article le plus original essayant à la suite de Lacan de définir cette « passion du sujet qui vise la destruction de son objet ». L’article signé de Pierre-Christophe Cathelineau est rigoureux et excellemment didactique.
Cathelineau rappelle que Freud dans Deuil et mélancolie (1917) montre que la haine à l’égard de l’objet perdu est retournée contre moi sous la forme d’une culpabilité autopunitive qui conduit le mélancolique à s’adresser des reproches originairement destinés à l’objet qui l’a abandonné. Cette haine de soi est caractéristique du masochisme moral, et nous verrons, en anticipant un peu sur mon propos, qu’elle se trouve au cœur de ce masochisme originaire que Freud appelle féminin et qui constitue l’un des ressorts du transfert. Si l’analyste n’advenait pas comme cet objet perdu qui cause la parole la justifie dans sa détermination et son adresse, il n’y aurait pas d’analyse.
Cathelineau rappelle également que dans l’œuvre de Freud deux conceptions de l’analyse se font progressivement jour, conceptions que Lacan à sa manière va avoir le soin de développer et qui constitueront le fil conducteur de mon exposé.
LA HAINE JALOUSE
La première conception de la haine chez Freud se trouve placée sous le signe d’une rivalité avec l’intrus dont la figure paternelle assure la fonction. La haine du père, la rivalité haineuse avec le père, assure une identification dont la signification symbolique provoque le remords mélancolique et l’origine de la morale consistant pour le sujet à s’interdire lui-même ce que le père lui interdisait. C’est une des conceptions psychanalytiques de la genèse du Surmoi comme consécutives à la dialectique œdipienne. Totem et tabou s’offre comme le roman, la fiction de cette origine.
Mais Freud voit aussi dans la haine primordiale l’origine de la tendance native de l’homme à la destruction, à la cruauté, à la méchanceté. Bien sûr cette haine primordiale, originaire, s’avère consubstantielle au concept de la pulsion de mort. Mais avant même la découverte de ce concept, Freud avait entr’aperçu l’origine de cette haine primordiale dans la constitution de la réalité. Dans « Pulsions et destins des pulsions » (1915) Freud institue une double polarité : le Moi-sujet à l’origine se trouve identifié avec ce qui procure du plaisir et le monde extérieur advient comme la localité du déplaisir. C’est un point important et c’est en ce sens que je dis que la haine est réaliste. L’objet naît dans la haine et de ce fait il existe une véritable précession de la haine sur l’amour. Je cite Freud : « Pour le moi-plaisir purifié, l’objet coïncide malgré tout de nouveau avec l’étranger et le haï. » (1915, p. 181). Freud précise qu’à l’origine amour et haine ne concernent pas les pulsions. Il écrit : « La haine, en tant que relation à l’objet, est plus ancienne que l’amour ; elle prend source dans la récusation, aux primes origines, du monde extérieur dispensateur de stimulus, récusation émanant du moi narcissique. » (1915, p. 184). Je ne fais donc que pousser un peu le texte de Freud pour aller à la rencontre de mon propre énoncé selon lequel cette haine primordiale consiste à produire de l’hétérogène sans érogénéité. Mais cette hétérogénéité paradoxalement nous ne pouvons dans l’analyse en rendre compte que lorsqu’elle se trouve liée à des éléments érogènes. Encore un effort pour être analyste et je m’avancerai à dire que cet hétérogène produit par la haine primordiale concerne moins la réalité proprement dite que le réel lacanien. Et qu’en outre cet hétérogène produit par la haine primordiale opère au sein même des formations de l’être. Il constitue la part à jamais perdue et innommable de l’être dont l’objet du mélancolique n’est que la patère à laquelle le patient accroche désespérément ce réel à jamais perdu de son être dont le langage s’avère impuissant à rendre compte. L’objet hétérogène en ce sens-là demeure cette part innommable de l’être perdu dont le deuil comme la mélancolie tentent la restitution imaginaire. En ce sens également je ferai mienne cette phrase de Giorgio Agamben dans Stanze :
« Dans cette perspective, la mélancolie serait moins une réaction de régression devant la perte de l’objet aimé qu’une aptitude fantasmatique à faire apparaître comme perdu un objet qui échappe à l’appropriation »[1]. Je vous aurai tout dit maintenant si j’ajoute que cette part de l’être qui échappe à l’appropriation s’avère consubstantielle au langage et constitue le véritable objet de la haine. C’est même pourquoi cette haine primordiale, ce à quoi elle aspire c’est à une certitude dont elle se nourrit et que ne sauraient lui restituer l’amour et la parole. Dans l’amour et la parole rien n’est sûr et c’est même pourquoi l’homme partage avec son semblable aussi bien le pain de la vérité que celui du mensonge. Ce doute, ce trouble, cette incertitude, la haine n’en veut pas et c’est pourquoi elle les récuse comme inaptes à son objet. Alors me direz-vous, le vrai amour n’aspire-t-il pas lui aussi à la certitude ? Oui bien sûr à condition d’ajouter avec Lacan que le vrai amour débouche nécessairement sur la haine. C’est même par là que Lacan se trouve conduit à parler d’« hainamoration ». Il écrit dans le Séminaire Encore : « L’abord de l’être, n’est-ce pas là que réside l’extrême de l’amour, la vraie amour ? Et la vraie amour — assurément ce n’est pas l’expérience analytique qui a fait cette découverte, dont la modulation éternelle des thèmes sur l’amour porte suffisamment le reflet — la vraie amour débouche sur la haine. » (P. 133).
Cette référence à Freud et à Lacan nous conduit tout uniment à nous confronter à la polysémie du concept de la haine et aux multiples questions qui surgissent de cette polysémie. Pour essayer dans un premier temps de réduire la polysémie de ce concept et de ses affinités avec les notions d’agressivité, de violence, de terreur et d’hostilité, j’opère avec la distinction lacanienne entre la haine jalouse et la haine de l’être.
La haine jalouse c’est celle qui jaillit, comme le dit Lacan dans le Séminaire Encore, de la « jalouissance » telle qu’elle se met en œuvre dans la rivalité haineuse et dont la fameuse scène rapportée par Saint Augustin fait l’illustration. Scène où Saint Augustin voit, et il précise « j’ai vu de mes yeux », un tout petit enfant en proie à la jalousie à l’égard d’un puîné qui tétait le sein de sa mère : « Il ne parlait pas encore, et déjà il contemplait, tout pâle et d’un regard empoisonné, son frère de lait. » (1966, p. 114). Dans ce que Lacan appelle cette absorption spectaculaire, le sujet se perçoit imaginairement comme dépossédé de l’objet de son désir. En même temps qu’elle le dépossède de son objet, la structure imaginaire de la haine jalouse s’avère fondatrice de ce désir. Cette image qu’il hait lui révèle un objet perdu qui réactive la douleur de la frustration primordiale de la séparation d’avec la mère. Cette jalousie fraternelle s’avère sororale au désir.
Un bref souvenir clinique surgit à ma mémoire. Il s’agit d’une analysante qui se plaint inlassablement que sa sœur puînée lui prend tout, qu’elle s’empare sans cesse des marques de ses parfums, du choix de ses vêtements, de ses intérêts culturels et humains, de ses affinités amicales et amoureuses et jusqu’à ses propres paroles qu’elle retrouve dans la bouche de l’autre qui feint d’ignorer qu’elles étaient d’abord dans la sienne. De cela l’analyste n’a pas grand-chose à dire, sauf à fourguer une théorie psychologisante qui répéterait en acte de parole la rivalité spoliatrice. Puis surgit un rêve. Dans ce rêve l’analysante se voit en train de percevoir l’homme du moment pour lequel elle a une certaine inclination dans les bras de sa sœur. Chose curieuse, elle a la certitude que l’homme s’est trompé puisque c’est elle qu’il aime, qu’il s’en aperçoit, mais que c’est trop tard puisque l’irréparable est accompli. Là il s’agit d’un rêve c’est-à-dire de la réalisation d’un désir, désir à l’évidence de tromper et d’être trompée au prix d’une frustration de l’objet. Ce qui lui permet, d’une part, de garder la certitude d’être à l’origine de ce qui se passe, et d’autre part de priver les protagonistes d’un choix sur lequel ils sont trompés. C’est-à-dire donner l’objet pour garder l’amour et le désir. En somme l’objet elle le donne d’autant plus volontiers que le désir elle se le garde. L’histoire appartient à la patiente et je n’aurai pas ici l’impudeur de l’interpréter. Notons seulement la captation agressive par l’image qui précipite une identification à l’autre prompte à nourrir toutes les passions narcissiques. La jalousie advient comme le prototype d’un drame social, l’autre constitue à la fois le modèle et l’obstacle à la satisfaction du désir par le relais des objets convoités. Cette haine jalouse entretient avec l’agressivité une certaine parenté sans pour autant pouvoir se confondre avec elle. Ce qui leur est commun c’est cette dimension imaginaire sur le terrain de laquelle se déplient les rivalités narcissiques du drame social. L’image, le regard, le spectacle réfèrent à l’expérience princeps du miroir qui amène Lacan à définir en 1948 l’agressivité comme, je cite, « la tendance corrélative d’un mode d’identification que nous appelons narcissique et qui détermine la structure formelle du moi de l’homme et du registre d’entités caractéristiques de son monde. » (Écrits, p. 110). Cette passion érotique pour une image opère par la captation de l’imago de la forme humaine dans une identification où le sujet ne se saisit que dans une aliénation où il se perçoit par un autre, dans un autre et comme un autre. Lacan écrit : « Cette forme se cristallisera en effet dans la tension conflictuelle interne au sujet, qui détermine l’éveil de son désir pour l’objet du désir de l’autre : ici le concours primordial se précipite en concurrence agressive, et c’est d’elle que naît la triade de l’autrui, du moi et de l’objet, qui, en étoilant l’espace de la communion spectaculaire, s’y inscrit selon un formalisme qui lui est propre […] » (Écrits, p. 113).
Ce champ de la passion imaginaire de la rivalité jalouse a été amplement labouré par Freud avec le socle œdipien de l’hostilité à l’égard du père. Freud invente même ce mythe de l’origine de l’hostilité à l’endroit du père avec Totem et tabou. Mais c’est plus particulièrement au cours des cures de névrosés que Freud découvre cette haine inconsciente à l’égard du parent du même sexe qui constitue un des ressorts principaux du complexe œdipien. L’interprétation des rêves apparaît même l’ouvrage fondamental dont la forme comme le contenu s’avère élaboré à l’étoffe de cette culpabilité produite par la haine inconsciente à l’égard du père dont le rêve de mort réalise la satisfaction du désir meurtrier. Et c’est plus particulièrement encore avec l’analyse de la névrose obsessionnelle de L’homme aux rats que Freud reconnaît dans le refoulement de la haine infantile l’origine des conflits ultérieurs de la névrose. Bien sûr la névrose obsessionnelle offre une affinité exceptionnelle avec la haine inconsciente qui nourrit toutes les formations symptomatiques qu’il s’agisse du doute, de la scrupulosité, de la méticulosité, du masochisme, de l’oblativité ou plus directement de l’ambivalence des sentiments, de l’impuissance de la rage ou des vibrations des colères impulsives. C’est une figure clinique exemplaire à même de montrer, comme la mélancolie, mais autrement, l’ambivalence de toutes les relations d’objet. Mais ce qui est plus intéressant dans ce texte de 1909 de L’homme aux rats c’est que la haine dont il s’agit est qualifiée d’inconsciente et d’infantile, ce qui est la même chose, et que par conséquent le concept de haine ne saurait se réduire au phénomène de la haine manifeste. Bien au contraire c’est dans un amour intense que Freud trouve la preuve de l’existence de la haine refoulée. Il écrit même : « J’objecte que c’est justement cet amour si intense [à l’égard du père] qui est la condition du refoulement de la haine. » (1909, p. 216). Il précise encore :
« Son amour — ou plutôt sa haine — est vraiment tout puissant : ce sont justement ces sentiments qui produisent les obsessions dont il ne comprend pas l’origine et contre lesquelles il se défend sans succès. » (P. 252). Cette hostilité inconsciente se trouve mêlée à l’érotisme pulsionnel du sadisme que le névrosé peut alors retourner contre lui-même sous forme de masochisme suicidaire ou symptomatique. En somme il peut se frapper lui-même à l’endroit où il a envie d’atteindre l’autre. Nous sommes ici, et c’est important, dans la première conception freudienne du masochisme conçue comme retournement du sadisme contre soi. Freud donne un exemple avec L’homme aux rats en constatant que son patient était obsédé par la nécessité de maigrir. Après avoir interprété ce souhait comme une tendance suicidaire, Freud débusque chez son patient la haine et la jalousie à l’endroit de son cousin, Dick. En allemand, Dick signifie gros et Freud écrit : « c’est ce Dick qu’il eût voulu tuer. Il était au fond, plus jaloux et plus furieux qu’il ne voulût se l’avouer, et c’est pourquoi il s’imposait, pour se punir, la torture de la cure d’amaigrissement. » (P. 221). Ce cousin que tout le monde appelait Dick s’appelait Richard comme le frère du patient dont le prénom se trouve utilisé pour former un autre symptôme : « Ce malade, après une dispute avec son frère, se mit à ruminer d’une façon obsessionnelle pour trouver un moyen de se débarrasser de sa fortune, ne voulant plus avoir affaire à de l’argent, etc. Or son frère s’appelait Richard. » (P. 222).
Dans cette première conception freudienne de la haine jalouse, celle-ci se trouve constituée de pied en cap, dans sa genèse comme dans sa fonction, comme une « réaction à une rage extrêmement violente soustraite au conscient, rage dirigée contre la personne qui trouble l’amour. » (P. 222).
Les choses ne sont pas simples pour autant puisqu’avec cette première conception de la haine jalouse nous héritons de deux questions pour lesquelles les réponses demeurent peu satisfaisantes.
La première de ces questions concerne le rapport toujours problématique entre la haine manifeste qui s’offre dans les phénomènes d’agressivité, d’hostilité ou de jalousie et la haine inconsciente à l’origine de symptômes dont les plus paradoxaux peuvent être un amour intense, une oblativité généreuse ou des symptômes masochistes. Nous voilà donc terriblement embarrassés puisqu’à proprement parler à devoir dialectiser le concept de haine, le psychanalyste ne peut le faire que sur le plan qui est le sien, c’est-à-dire celui de l’inconscient. À partir de là il doit renoncer à vouloir rendre compte des événements manifestes de la haine, de la violence, de la terreur, du racisme, de l’hostilité meurtrière, pour ne se préoccuper que de la haine inconsciente qui se donne dans les symptômes, les rêves et les transferts. Bien évidemment ce renoncement l’analyste ne saurait l’accomplir jusqu’à son terme dans la mesure par exemple où la haine meurtrière des passages à l’acte criminels réalise littéralement la métaphore haineuse à l’origine des rêves, des symptômes et des transferts. Comme bien souvent dans la psychose, ces hallucinations agies que sont les crimes passionnels ou les meurtres immotivés témoignent de l’existence de cette haine inconsciente dont le névrosé fait son symptôme et qui réapparaît dans le réel dans la psychose. L’articulation entre la haine manifeste et la haine inconsciente n’est pas simple, mais disons pour le moins que nous devons en dialectiser les concepts en le réinsérant dans le contexte d’expérience d’où ils proviennent.
Cette haine jalouse inconsciente se trouve étroitement mêlée à l’érotisme et à l’amour. D’une certaine façon c’est son refoulement qui conditionne parfois l’expression manifeste de l’amour. Par exemple à ; propos de Ferenczi Freud écrit à Jung : « Mon compagnon de voyage est un homme que j’aime beaucoup, mais un peu maladroitement rêveur, et il a une attitude infantile à mon égard. Il m’admire sans discontinuer, ce que je n’aime pas, et me critique sans doute âprement dans l’inconscient si je me laisse aller. Il s’est comporté de façon trop réceptive et passive, a tout laissé faire pour lui comme une femme, et mon homosexualité ne va quand même pas jusqu’à l’accepter comme tel. La nostalgie d’une vraie femme augmente considérablement dans de tels voyages. » (lettre du 24/09/10).
La deuxième question est beaucoup plus embarrassante. Il s’agit de savoir tout simplement ce qu’est la haine du point de vue psychanalytique : un sentiment, un affect ou une représentation. Puisque nous avons admis que la haine du point de vue psychanalytique est essentiellement inconsciente, la question est de savoir si elle est un affect ou une représentation. Si elle est une représentation, on peut sans difficulté postuler son refoulement, à ce moment-là la représentation est celle d’une privation vécue sur le mode de la frustration. Avec Spinoza nous pourrions dire que : « La haine est la tristesse, accompagnée de l’idée d’une cause extérieure. » (Livre III). Cette définition restreinte de la haine comme représentation permet par sa jonction à des représentations de mots de postuler la possibilité d’un refoulement et la genèse de formations substitutives analysables. Tout paraît simple. Le problème c’est que Freud en parle comme d’un affect et qu’il nous propose deux formulations contradictoires : la première, c’est que la haine inconsciente serait un affect refoulé et la seconde, c’est que seule la représentation est refoulée, l’affect qui l’accompagne ne peut être, lui, que déplacé ou inhibé. Nous voilà en présence d’une aporie.
Lacan, à sa manière, sort de cette aporie en proposant le terme de passion et recense trois passions fondamentales : l’amour, la haine et l’ignorance. Et ces trois passions fondamentales tournent autour d’un seul affect qui est celui de l’angoisse, c’est l’affect central autour de quoi ces trois passions s’ordonnent. Il précise que ce n’est pas l’affect qui est refoulé, mais le représentant de la représentation, c’est-à-dire le signifiant. L’affect lui se dérobe, il se trouve déplacé et méconnaissable. Ce qui est intéressant dans la conception lacanienne de la haine comme passion c’est qu’elle implique nécessairement le signifiant. Il y a chez Lacan une conception des passions que sont la haine, l’amour et l’ignorance qui inclut une dimension symbolique grâce à laquelle nous pouvons sortir de l’aporie freudienne. Dès lors nous ne pouvons plus rabattre la haine, l’amour ou l’ignorance sur leur seule dimension imaginaire par où elles deviendraient inaccessibles à tout traitement analytique opérant par le médium de la parole et du langage. Dès le Séminaire I sur les écrits techniques de Freud en 1954, Lacan propose une définition irrécusable de ces trois passions. Il écrit : « c’est seulement dans la dimension de l’être, et non pas de celle du réel, que peuvent s’inscrire les trois passions fondamentales — à la jonction du symbolique et de l’imaginaire, cette cassure, si vous voulez, cette ligne d’arête qui s’appelle l’amour — à la jonction de l’imaginaire et du réel, la haine — à la jonction du réel et du symbolique, l’ignorance. » (P. 297-98). Lacan montre que ces deux possibilités de l’amour et de la haine ne vont pas sans cette troisième que les psychanalystes négligent et qu’ils nomment l’ignorance en tant que passion. La passion de l’ignorance constitue une des composantes primaires de la duperie du transfert. Sans elle point de résistance du Moi qui se trouverait subjugué par les passions haineuses ou amoureuses, comme sous hypnose. Nous verrons ultérieurement l’importance de cette passion de l’ignorance dans la conception de la haine comme revendication ontologique. Pour l’heure, retenons seulement que l’amour et la haine comme passions imaginaires devraient être distingués du don actif qu’elles constituent sur le plan symbolique comme tentatives de capturer narcissiquement l’être du sujet aimé ou haï. Lacan écrit : « Eh bien, la haine, c’est la même chose. Il y a une dimension imaginaire de la haine, pour autant que la destruction de l’autre est un pôle de la structure même de la relation intersubjective. […] Là même, la dimension imaginaire est encadrée par la relation symbolique, et c’est pourquoi la haine ne se satisfait pas de la disparition de l’adversaire. Si l’amour aspire au développement de l’être de l’autre, la haine veut le contraire, soit son abaissement, son déroutement, sa déviation, son délire, sa négation détaillée, sa subversion. C’est en cela que la haine, comme l’amour, est une carrière sans limite. » (1954, p. 305).
Ce terme de passion qui implique la dimension du signifiant n’est pas sans rapport, loin de là, avec la notion d’affect. Sans pour autant les confondre, je souhaiterais les rapprocher dans la mesure même où ce rapprochement ouvrira le développement de la deuxième partie de mon travail lorsque je me consacrerai à la question de la haine de l’être. En effet le mot allemand Affekt jusqu’au XVIIe siècle désigne la passion et ce n’est qu’à partir de 1647 que le mot de Leidenschaft tend à le remplacer. Freud ne devait pas ignorer l’usage tombé en désuétude de ce mot pour désigner la passion puisque dans le langage juridique Affekthandlung désigne l’acte passionnel. Loin de se réduire à l’affectif ou à l’émotionnel, le terme d’affect par son lien se trouve intimement lié au verbe « affecter », lequel dans son origine latine signifie « rechercher, désirer », puis « toucher par une impression physique ou morale », enfin dans son emploi moderne « désigner dans une fonction », « un poste », « une destination ». En ce sens on peut dire que l’analyste devient, au cours des séances, l’affectataire du transfert. Un autre sens du verbe latin affectare implique la double idée de mensonge et de manque de naturel et se rapproche comme adjectif d’un sens aujourd’hui disparu qui signifiait « simulé ». En un mot comme en cent, l’« affect », tout en impliquant une force passionnelle, en deçà de toute représentation de mot, n’en demeure pas moins dans l’analyse voué à investir le langage et à le promouvoir comme le simulacre par le jeu duquel le signifiant détient ses effets. Et c’est d’ailleurs aux vestiges de ce pouvoir magique des mots que Freud fait explicitement référence lorsqu’il écrit : « les paroles évoquent les affects et sont le moyen général qu’ont les hommes de s’influencer les uns les autres ».[2]
Nous voilà conduits à concevoir la haine inconsciente comme cette passion qui se situe à la jointure du monde des choses et du monde des mots. Cela nous amène au plus près de la question de l’être comme ce que Jacques Hassoun nomme « l’objet obscur de la haine ».
Mais auparavant je voudrais prendre un exemple clinique pour faire le lien avec la deuxième partie de ce travail.
Il s’agit d’une analysante que l’on pourrait qualifier d’obsessionnelle sans que pour autant ce qualificatif psychopathologique fasse avancer le traitement analytique de la question. Disons simplement que ce qualificatif fait signe pour évoquer un tableau de symptômes et pouvoir ainsi vous parler plus facilement de ce que je veux dire. L’analysante en question, disons simplement qu’elle s’empêche de prendre du plaisir pour demeurer au bord de la jouissance incestueuse. C’est-à-dire que dans l’analyse elle s’interdit la plupart des satisfactions érotiques pour mieux en priver ses parents. Bref elle ne veut pas partir dans le plaisir afin de ne pas les laisser seuls, car ils risqueraient d’en prendre alors sans elle. Son discours déploie dans ses symptômes, ses rêves et ses transferts, des scenarii de rivalité, de jalousie, d’envie, de tiers électif avec le passionnel renverrait bien davantage à l’inconscient originaire de la représentation auquel se transfèrent et s’attachent les représentations refoulées après coup, les pensées de transfert.
Elle en appelle toujours à l’intrusion d’un autre qui, venant gâcher son plaisir, non seulement lui procure la satisfaction masochiste qu’elle appelle, mais lui garantit aussi que tant qu’elle sera malheureuse, ses parents n’auront pas le droit d’être heureux. Si elle souffre pour un autre c’est dans la visée sadique qu’il ne puisse pas l’oublier et prendre du plaisir en dehors d’elle. Le paysage transférentiel est dressé et pose d’entrée de jeu tout autant l’existence de la haine inconsciente qu’elle me voue, que la fidélité absolue qu’elle me manifeste. Il est inutile que je lui dise que c’est elle qui s’empêche de prendre du plaisir puisque c’est cela même qu’elle ne cesse de me dire. Alors je fais le mort. Dans ce cas là ce n’est pas très difficile et les profondes tentations de dormir qui me saisissent ne m’empêchent pas de rêver à des jours meilleurs. De temps en temps j’interviens, je souligne un propos, ponctue certaines phrases, cite certains mots, rapproche des éléments de rêve, incite à associer, bref je m’anime un peu. Et puis un jour les choses changent, elle décide de partir en vacances, de manquer ses rendez-vous et à son retour s’étonne de deux choses. La première c’est que j’ai pu ajouter un fauteuil dans mon cabinet, fauteuil qu’elle a fréquenté si j’ose dire plusieurs années durant, bref dont elle a quasiment halluciné l’absence. La deuxième c’est que durant ses vacances elle a pour la première fois de sa vie oublié ses angoisses et ses symptômes. Pour la première fois de sa vie, elle s’est abandonnée à des plaisirs érotiques de toutes sortes sans devoir se contraindre à une haine qu’elle retournait contre elle-même. Bref pendant ses vacances elle m’a oublié, comme elle vient d’oublier la présence de ce fauteuil sur lequel pendant des années durant elle a déposé ses affaires avant de s’allonger sur le divan. Les choses ne se sont pas arrêtées à ce happy end. Elle fit resurgir son angoisse, ses symptômes et sa haine épisodiquement et précisément à chaque fois où elle allait comme elle disait « s’en sortir », c’est-à-dire se séparer de moi. Elle a poursuivi son petit bonhomme de chemin analytique en faisant de plus en plus fréquemment des sorties de plus en plus longues au cours desquelles elle grignotait quelques miettes libidinales avant de se réfugier « dans son trou », comme elle disait, le bouchant en quelque sorte à son corps défendant. Ce qui est apparu au cours de l’analyse, c’est qu’elle pratiquait la politique des petits pas au cours de laquelle l’enfant s’éloigne de plus en plus fréquemment et de plus en plus longuement des jupes de sa mère en s’ouvrant au nouveau et à l’étranger, en vaquant à ses occupations de plaisir et en lui octroyant du même coup la liberté de désirer ailleurs, puis se retournant constatant son absence ou son éloignement se précipitant à nouveau en criant et en pleurant au moyen de ses symptômes, se collant pour ainsi dire à la jouissance incestueuse et renonçant au plaisir. L’histoire analytique de cette patiente lui appartient en propre et je ne vous en parlerais pas. Ce tableau transférentiel sommaire a pour fonction de montrer en quoi le masochisme constitue dans le transfert le moyen de souffrir pour l’autre en se l’incorporant. Comme l’écrit Conrad Stein dans L’enfant imaginaire (1971) si le patient recherche dans l’analyse la jouissance d’y souffrir c’est pour le compte de l’Autre auquel il identifie l’analyste afin que celui-ci « ne soit pas intact de lui » : « Dans le transfert le masochisme appelle le contretransfert, en cela sa visée est sadique. » Nous voici au plus près du texte de Freud « Deuil et mélancolie » indiquant que par le détour de l’auto-punition le patient exerce sa vengeance sur les objets d’amour originaires. À condition de devoir préciser que la mélancolie dont il s’agit relève moins des figures de la psychopathologie que de la situation psychanalytique elle-même. Le Surmoi en ce sens constitue l’instance par laquelle on se maltraite pour mieux pouvoir continuer à haïr l’objet dont elle emprunte les contours. L’instance morale est cette figure « féroce et cruelle » qui se déduit du déclin du complexe œdipien, en constitue le vestige par où le masochisme peut se maintenir validant la croyance selon laquelle nous souffrons pour quelqu’un, et nous continuons ainsi à être l’élu de son cœur. Dans le Séminaire sur l’éthique Lacan écrit : « Dans un article célèbre qui s’appelle Deuil et mélancolie, Freud dit aussi que le travail du deuil s’applique à un objet incorporé, à un objet auquel, pour une raison ou une autre, on ne veut pas tellement de bien. Cet être aimé dont nous faisons si grand cas dans notre deuil, ce n’est pas uniquement des louanges que nous lui adressons, ne serait-ce qu’à cause de cette saloperie qu’il nous a faite en nous quittant. Alors si nous incorporons le père pour être si méchants avec nous-mêmes, c’est peut-être que nous avons, à ce père, beaucoup de reproches à lui faire. » (1960, p. 354).
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, la patiente effectua par poussées successives des petites sorties au cours desquelles en s’exonérant de la demande de l’Autre elle s’accordait du plaisir. Plaisir qu’elle s’interdisait le reste du temps pour maintenir la certitude d’une demande de l’Autre auquel elle offrait en sacrifice sa souffrance. Autre haï et aimé à la fois, vis-à-vis duquel elle se sentait d’autant plus coupable qu’elle lui obéissait. C’est le paradoxe énoncé à plusieurs reprises par Freud, notamment dans L’homme Moïse et la religion monothéiste et repris par Lacan, notamment dans le Séminaire sur l’éthique : la cruauté paradoxale de la conscience morale, c’est qu’elle se nourrit justement des satisfactions qu’on lui accorde. Lacan mentionne alors qu’au fond de l’homme existe cette « haine de soi » qui fait que : « L’éthique persécute l’individu beaucoup moins, proportionnellement, en fonction de ses fautes que de ses malheurs. » (1960, p. 108).
Nous avons donc atteint ici avec la mélancolie et la névrose obsessionnelle le cœur de cette haine inconsciente que le sujet dans le masochisme retourne contre lui-même afin de conserver l’objet aimé et perdu. Ce faisant nous n’avons fait que la moitié du chemin. De manière à ouvrir la deuxième partie de notre trajet j’évoquerai par le relais de l’analysante dont je vous ai parlé tout à l’heure un fantasme fréquent dans les cures d’obsessionnels. Bien sûr un postfreudien n’aurait pas manqué de relever à partir de mon récit que dans le transit transférentiel et ses contorsions d’emprise, ma patiente s’offrait à la demande de l’Autre comme un objet anal. Ce faisant il n’aurait rien ajouté de plus à ce que disait ma patiente, elle-même, à savoir : « je me traite comme de la merde ». À rapprocher cela du fantasme dont je parlerai tout à l’heure, on passerait pourtant de l’étron à l’être. Le fantasme est simple, quand elle croise sur son chemin des excréments d’animaux qui souillent la chaussée, elle a peur de devoir les avaler. Et ce que met en évidence l’analyse, c’est que ces étrons étrangers ça n’est rien moins que son être perdu, cette formation de l’être rendue hétérogène et élevée à la dignité de réel. C’est-à-dire que ce qu’elle imagine dans le fantasme ça n’est rien d’autre que cette jonction impossible et à laquelle elle aspire désespérément de réintroduire en elle cette part de l’être qu’elle n’a jamais pu s’approprier, à jamais hétérogène et que la notion même de perdu recouvre de manière illusoire. C’est ce point de visée de la haine primordiale, haine primordiale de l’être que la haine jalouse, dont j’ai parlé, domestique à l’aide d’Éros.
LA HAINE DE L’ÊTRE
Si nous reprenons maintenant l’article de Cathelineau du Dictionnaire de psychanalyse de Roland Chemama nous constatons que cette haine de l’être se distingue de la haine jalouse non seulement en tant qu’elle ne relèverait pas du regard, de l’image, mais surtout qu’elle se trouverait au-delà de toute rivalité, de toute concurrence envieuse en se situant en deçà de toute relation d’amour à l’objet. Selon Cathelineau elle viserait l’existence d’un être au savoir insaisissable et plus que parfait. Bref il s’agirait de l’être même de Dieu transformé en objet étrange et répugnant qu’il s’agirait de détruire ou d’exclure comme dans la haine primordiale conçue par Freud. Le réel serait d’autant plus haï qu’il est méconnu et se trouverait surestimé par la menace qu’il représente.
Tout en étant d’accord sur cette conception de la haine de l’être, de la haine ontologique, je préfère faire un détour par Freud, Ferenczi et Stein pour essayer de montrer en quoi cette passion ontologique de l’autodestruction entretient un rapport au désir de savoir.
Dans « un enfant est battu » (1919) Freud commence par analyser le fantasme à l’aide de l’opérateur de la jalousie. Le père bat l’enfant haï qui risque de déposséder le sujet de l’amour envié. Puis se profile très rapidement la question de l’identification du patient à l’enfant battu. Freud écrit : « Tous ces enfants indéterminés qui sont battus par le maître ne sont pourtant que des substituts de la personne propre. » (P. 231). Ce fantasme de fustigation s’avère un fantasme masochiste. Sous l’effet d’une fixation perverse sadico-anale, le fantasme réalise le désir incestueux d’être aimé par le père. C’est la conscience de culpabilité qui transforme le sadisme en masochisme passif coïncidant avec une position féminine. Le problème c’est que ce fameux « sentiment inconscient de culpabilité » Freud va quelques années plus tard lui trouver un prototype sous l’appellation de « besoin de punition ». Le masochisme devient originaire et le sentiment inconscient de culpabilité n’adviendrait que comme instanciation subjective du besoin de punition. Exit la jalousie, exit la rivalité, subsiste seulement un masochisme originaire articulé à la découverte de la pulsion de mort. Le masochiste veut être traité comme un petit enfant en détresse et en dépendance et surtout comme un enfant méchant. C’est le masochisme féminin qui s’étaye sur le masochisme primaire, érogène, du plaisir de la douleur. La découverte de la pulsion de destruction se trouve posée par Freud comme identique au masochisme. Une part de son action se trouve tournée vers le monde extérieur pour satisfaire le sadisme et la pulsion d’emprise. Une autre part se maintient en tant qu’accroissement du masochisme dans le Moi. À ce moment-là, Freud pose l’objet incorporé comme sadique, jouissant de torturer le Moi qui jouit de sa propre souffrance. Il écrit : « Le sadisme du surmoi et le masochisme du moi se complètent l’un l’autre et s’unissent pour provoquer les mêmes conséquences. » (1924, p. 22)[3]. Curieux paradoxe, ce n’est plus la culpabilité qui produit le renoncement pulsionnel mais, je cite Freud, « de la répression pulsionnelle résulte […] un sentiment de culpabilité, et que la conscience est d’autant plus sévère et sensible que la personne s’abstient de l’agression contre d’autres. » (1924, p. 22). Selon cette logique, en apparence énigmatique, plus vous êtes vertueux, plus vous aurez des raisons de vous sentir coupable inconsciemment des fautes que vous n’aurez pas commises. Freud conclut : « Ainsi le masochisme moral devient le témoin classique de l’existence de la mixtion pulsionnelle. Sa dangerosité provient de ce qu’il descend de la pulsion de mort, qu’il correspond à la part de celle-ci qui a échappé au retournement vers l’extérieur comme pulsion de destruction. Mais d’un autre côté comme il a la signification d’une composante érotique, même l’autodestruction de la personne ne peut se produire sans satisfaction libidinale. » (P. 23).
À première vue, le psychanalyste pour un temps pourrait penser avoir retrouvé ses petits et croire que les crimes dont il s’agit seraient les crimes œdipiens. À rabattre ainsi la haine de l’être sur le plan des crimes imaginaires, ce serait en cours de route perdre la dimension à proprement parler ontologique et symbolique de l’objet auquel s’adresse la haine. Quel est en effet le véritable crime d’Œdipe ? Ce n’est pas bien entendu d’avoir tué son père et couché avec sa mère puisqu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Le vrai crime d’Œdipe, comme le remarque Conrad Stein, c’est celui de n’avoir pas voulu rester inconscient. Stein écrit : « Il avait sacrifié tout son plaisir et causé la perte des siens pour avoir voulu savoir d’où il venait, ce qui lui avait appris où son désir l’avait conduit. » (p. 39, La mort d’Œdipe, 1977). Alors le vrai crime d’Œdipe relève du désir de savoir alors que celui de Jocaste consacre la passion d’ignorer. Comme le remarque Conrad stein dans Les Érinyes d’une mère, chaque homme porte en lui une Jocaste qui le supplie d’ignorer ce qui le motive. Jocaste est alors le nom de cette séductrice perverse qui nous pousse à méconnaître ce que le désir de savoir d’Œdipe pousse à découvrir. Si on accepte de se déprendre du scénario tragique, si on se soustrait à la mise en figure des personnages, Jocaste et Œdipe sont des parties de notre réalité psychique antagonistes et inséparables. À partir de ce moment-là nous pouvons entendre que tout désir de savoir a une origine incestueuse, transgresse un interdit qui n’est rien d’autre que la passion d’ignorer ce qui fait jouissance. Conrad Stein propose alors de considérer les Érinyes comme des figures de la haine. Les Érinyes sont ces divinités archaïques qui poursuivent le matricide pour venger la défunte. Elles sont la vengeance à l’encontre de celui qui a bravé l’interdit de la méconnaissance en accomplissant le crime du désir de savoir. La figure maternelle comme aptitude à la méconnaissance se trouverait ainsi à l’origine de la haine de soi. Conrad Stein écrit : « L’ombre de l’objet est tombée sur le moi. […] la haine d’une mère est tombée sur moi, d’où il résulte que je me hais. » (1987, p. 35). Et il ajoute : « À quoi sommes-nous confrontés sans cesse dans l’analyse — celles de nos patients comme la nôtre —, si ce n’est au “je me hais” que chacun est fondé à prononcer. Il ne le sait pas, il ne l’admet pas ; il le sait, il ne l’admet quand même pas ; savoir n’y change rien. […] la haine portée à soi-même est sans doute un des facteurs les plus fonciers de ce qui se présente comme résistance dans l’analyse. » (1987, p. 35)
Le désir de savoir taraude le sujet dans son arrachement à la jouissance incestueuse de la méconnaissance, de l’ignorance convoquée par Jocaste. Ce désir se trouve élevé à la dignité d’un crime coupable par la contamination de son origine. La figure paternelle pacifie, en quelque sorte, ce processus primitif d’arrachement, d’exclusion, de ségrégation, de récusation. Processus par lequel le réel se constitue. C’est en sens que je vous ai dit que la haine est réaliste. La représentation du Père Mort « tiercise », si j’ose dire, ce processus d’exclusion de la haine primordiale attelée à la passion d’ignorer. Le deuil du père est source de lumière, de conscience subjective et de rationalité. Mais comme l’écrit Conrad Stein « autant la lumière — autrement dit, la science — procède du deuil du père, autant la noire mélancolie est liée à la figure d’une mère, fondée, plus précisément, sur la haine inextinguible, immortelle, qui assure un lien indestructible avec une mère. » (1987, p. 36)
Si maintenant nous laissons la conception figurative de Conrad Stein qui déduit le surmoi et la haine de soi du matricide, que rencontrons-nous ? Nous rencontrons la structure même du fantasme masochiste dans sa dimension ontologique : le sujet jouit des coups que lui porte le langage, le savoir du langage promu Autre parental. Lacan convoque, dans le Séminaire sur l’éthique, la figure féroce et cruelle du Surmoi comme se déduisant d’une nécessité logique imposée par le caractère insensé et arbitraire de la loi, identifiée à la voie du langage. Je dois jouir pour justifier une culpabilité inconsciente, un besoin de punition, insensés, déduits de mon asservissement aux lois combinatoires du langage. Patrick Guyomard a longuement commenté cette conception lacanienne du Surmoi dans Le désir d’éthique (Aubier, 1998). Alors le Surmoi se déduit-il de la subordination de l’être au langage ou bien du matricide ? Ou bien chacune de ces deux conceptions éclaire-t-elle la part laissée dans l’ombre par l’autre ?
Ne nous hâtons pas. Prenons d’abord le détour de l’article de Ferenczi de 1923 sur « le rêve du nourrisson savant ». Dans ce court texte, Ferenczi attire notre attention sur les rêves de certains patients qui représentent un nourrisson ou un petit enfant tenant des discours d’une grande profondeur ou d’une haute tenue scientifique. Un peu plus tard, en 1931, à l’occasion du 75e anniversaire de Freud, il précise le contenu de ce rêve typique : « Il s’agit de rêves où un nouveau-né ou un nourrisson commence soudain à parler et à donner aux parents, ou à d’autres adultes, de sages conseils. Dans un de mes cas, l’intelligence de l’enfant malheureux prit, dans la situation analytique, la forme d’une personne particulière dont la tâche était de porter rapidement secours à un enfant blessé quasi mortellement. […] Nous assistons ainsi à la reproduction de l’agonie psychique et physique qu’entraîne une inconcevable et insupportable douleur. […] Reproduction de cette même agonie que le patient avait vécue à l’occasion d’un traumatisme sexuel subi dans sa petite enfance. » Dans la conférence prononcée l’année suivante, en 1932, intitulée « La confusion des langues entre les adultes et l’enfant », Ferenczi ajoute deux hypothèses à son travail : d’une part, il établit que le nourrisson savant advient du fait de l’introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte séducteur ; d’autre part, il cesse de restreindre ce processus au cas particulier des enfants ayant subi une agression sexuelle et l’étend plus généralement aux effets de l’amour passionnel, de la punition passionnelle ou du terrorisme de la souffrance que l’adulte impose à l’enfant. Si nous franchissons un pas supplémentaire : l’Autre par le langage impose à l’enfant des pensées qui constituent une violence originaire, une séduction sexuelle et narcissique généralisée. Mais dans tous les cas, retenons que c’est la mise en réserve de la haine qui se trouve à l’origine du traumatisme.
Bien sûr la démarche de Ferenczi, comme Stein a pu le montrer, s’inscrit dans un double registre. D’une part celui des séquelles de son analyse avec Freud et d’autre part l’enseignement de ses analyses avec des patients « blessés », « terrorisés » par la souffrance, que la psychopathologie contemporaine qualifierait sans vergogne d’état-limite. Mais ce n’est pas ce point que je développerai aujourd’hui. Ce sur quoi je voudrai attirer votre attention c’est le rapport existant entre la violence symbolique du savoir maternel et la haine qu’elle génère. Il s’agit d’une blessure narcissique au-delà ou en deçà des avatars des érotismes partiels. C’est une façon de dire « la haine du savoir de la mère » que vous pouvez entendre dans les deux sens du terme, à savoir : la haine à l’adresse de cette violence du langage maternel par lequel le cri du nourrisson advient comme demande après que la mère lui a donné un sens, le sien, et la haine que la mère met en œuvre en méconnaissant, si attentive soit-elle, la réalité de l’enfant au profit de la représentation qu’elle peut en avoir.
Le savoir de l’Autre fait violence à l’enfant en le faisant à la fois advenir comme sujet de la parole et victime du trauma du langage. Nous sommes tous des nourrissons savants que le langage a fait vivre au-dessus de nos moyens. Ferenczi en a fait l’expérience avec le langage freudien au cours d’un dialogue analytique dont les séquelles ont participé à ses innovations théoriques et techniques. Point de vue que j’ai développé dans mon livre, La preuve par la parole (puf, 1996). Pour sa part Stein écrit :
« En tant que nourrisson savant, l’homme advient dans la haine, haine méconnue, larvée, haine “refoulée”, dont le concept est identique, peut-être, à celui de “sentiment inconscient de la culpabilité”. Dans le forçage qu’il subit, il advient comme se haïssant lui-même, d’une haine inhérente au savoir qu’il doit mettre en œuvre pour prendre soin de lui-même. Autrement dit, pour survivre, ou peut-être, tout simplement, pour vivre. » (Stein, 1987, p. 60). Sans devoir identifier la démarche de Ferenczi ou de Conrad Stein à celle de Winnicott, nous pourrions trouver quelques recoupements. Lorsqu’à propos de l’anorexique Winnicott énonce que « la nourriture frustre l’enfant de son appétit », il dévoile au cœur du transfert la violence inhérente à l’Autre parental. On pourrait dire, dans un autre style, que l’anorexique devient le martyr du symbolique, qu’elle vient témoigner, parfois jusqu’à la mort, du caractère trompeur et fallacieux du savoir de l’Autre. Mais le forçage n’emprunte pas que la voie alimentaire, il s’exerce dans le terrorisme de tous les comportements passionnels de l’Autre : passion de guérir, passion de former, passion du Souverain Bien, passions éthiques en quelque sorte. Un des intérêts, et non des moindres, du travail de Conrad Stein, consiste à démontrer que Ferenczi pas ses innovations techniques inflige à ses patients les traumatismes qu’il dénonce dans ses contributions théoriques.
Alors Ferenczi dans « le rêve du nourrisson savant » dénonce-t-il la mère qu’il n’aurait pas eue et dont il ne pourrait faire le deuil en la personne de Freud, figure de la haine déduite de son inadéquation à la réalité de l’enfant, ou bien Ferenczi dénonce-t-il cette violence originaire du langage qui, en faisant advenir le sujet dans la parole, le prive à tout jamais d’une part de son être ?
Dans le Séminaire Encore Lacan écrit :
« Celui à qui je suppose le savoir, je l’aime » — et plus loin — « si j’ai dit qu’ils me haïssent, c’est qu’ils me dé-supposent le savoir. » (P. 64) Est-ce à dire que l’un ne va jamais sans l’autre et se trouve intriqué dans une ambivalence au cœur même de tout discours ? Si aimer c’est donner ce qu’on n’a pas, haïr ce pourrait être donner ce que l’on n’est pas ou avoir ce qui se déduit du don que l’on a reçu. Cet objet à jamais perdu dont l’ombre est tombée sur le Moi qui peut, mieux que le mélancolique, pouvoir en témoigner. Jacques Hassoun, dans son ouvrage sur La cruauté mélancolique, rappelle que Thomas Mann déclarait en hommage à Freud à l’occasion de son 80e anniversaire : « la psychanalyse est un mode de connaissance mélancolique ».
Encore conviendrait-il de préciser en quoi la parole du psychanalyste prendrait le relais et assurerait la prédication d’une parole première dont la promesse n’aurait pu être tenue et qui serait à la source de la haine. Parole qui établit celui qui la reçoit comme coupable de celui qui la prononce. C’est dans l’ombre de cette séduction sexuelle par la parole que se tient la figure féroce et cruelle du Surmoi. Lacan écrit :
« C’est des forfaitures et des vains serments, des manques de parole et des mots en l’air dont la constellation a présidé à la mise au monde d’un homme, qu’est pétri l’invité de pierre qui vient troubler, dans les symptômes, le banquet de ses désirs ? Car le raisin vert de la parole par lequel l’enfant reçoit trop tôt d’un père l’authentification du néant de l’existence, et la grappe de la colère qui répond aux mots de fausse espérance, dont sa mère, l’a leurré en le nourrissant au lait de son vrai désespoir, agacent plus ses dents que d’avoir été sevré d’une jouissance imaginaire ou même d’avoir été privé de tels soins réels. »[4] (P. 433-434).
L’appareil de langage s’accouple, dans la mise en acte de la parole, avec l’être dont les formations se trouvent à jamais condamnées à ne pouvoir se révéler que dans le mi-dire, c’est-à-dire dans le trouble, l’incertitude, la contingence, et pourtant aussi la nécessité des discours. Dès lors comme l’écrit Lacan dans le Séminaire Encore : « rien ne concentre plus de haine que ce dire où se situe l’ex-sistence. » (p. 110), non sans avoir précisé au préalable : « la haine, qui est bien ce qui s’approche le plus de l’être, que j’appelle l’ex-sister. »
En ce sens si la conception freudienne de la haine primordiale accomplit la fonction de faire advenir une réalité extérieure, une altérité, la conception lacanienne de la haine de l’être situe l’altérité au cœur du psychisme comme consubstantielle au langage et à la parole. Et cette part de l’être, rendue autre, à jamais impossible à s’approprier par le sujet parlant, constitue le véritable objet obscur de la haine. Cet autre de l’être, nul étonnement à ce que ce soit l’être de l’autre qui en devienne tôt ou tard, dans la haine, le destinataire. Avec Marcel Jouhandeau je dirai « Aimer et haïr, ce n’est qu’éprouver avec passion l’être d’un être. » (Algèbre des valeurs morales, Gallimard).
Cet autre de l’être constitue la part soustraite à la séduction imaginaire et symbolique des paroles et du langage de l’Autre. C’est cette part que la haine réclame, convoque pour consacrer la certitude que les faits de parole et de langage ne peuvent lui procurer. Si la haine est tenace c’est parce qu’elle nous tient au plus près de ce réel auquel nous ne pourrions renoncer qu’en nous répudiant dans notre ex-sistence. Trois évocations cliniques brèves me permettront d’illustrer ce que je viens de dire.
La première je l’emprunterai au travail de Patricia Janody intitulé Constructions schizophrènes constructions cartésiennes. Dans son analyse de l’ambivalence de la schizophrénie, Patricia Janody montre que l’ambivalence concerne moins les affects que la logique même du discours et la violence aliénante du sens. Elle met en évidence une disjonction de l’amour et de la haine en œuvre au sein même du discours tel que, par exemple, l’écholalie manifeste cette captivation par la demande de l’autre alors que le négativisme se pose comme le refus de cette captivation. Elle écrit : « Ce que le négativisme contient d’agressivité ressort notamment dans les impulsions qui peuvent émailler un état de catatonie, le sujet sortant d’un état de mutisme et de prostration dans un acte soudain d’auto ou d’hétéro-agression. » (1998, p. 151)
La deuxième évocation clinique concerne ma pratique. Il s’agit d’une analysante chez qui l’émergence d’une haine transférentielle manifeste et solide constitue le point de butée à la conclusion de son analyse. Au cours de l’histoire de sa cure, elle a appris à renoncer à ses symptômes, à lâcher ses réactions de prestance et de séduction, à analyser le sens de ses rêves et de ses transferts, à modifier sa vie et ses choix antérieurs. Elle a traversé plusieurs expériences tragiques de dénuement au cours desquelles elle a su à chaque fois confirmer son amour de la vérité en payant le prix fort de la mélancolisation et de ses conséquences. Et puis à chaque fois où l’analyse était sur le point de se conclure, et bien souvent après un amour passionnel avoué et analysé, elle s’est emportée en situation analytique dans un mouvement de haine bref et intense. C’est un peu comme si au moment de se séparer de moi ressurgissait épisodiquement la question de l’ex-sistence de cette part de l’être qu’elle avait déposée en ma localité. Et puis un jour elle eut cette phrase sublime, dévoilant la fonction de bouche-trou de la rage manifeste eu égard au travail de l’absence qu’impose la séparation : « je crois que je suis en train de comprendre que mes colères sont une voie sans issue. »
La troisième évocation clinique articule les fondements haineux des passages à l’acte passionnels avec l’angoisse de fusion à laquelle l’altérisation, passez-moi ce néologisme, vient mettre un terme. Ces passages à l’acte passionnels s’offrent comme une espèce d’écriture gestuelle. C’est un peu comme si quelque chose de l’ordre d’une trace écrite devait être posé par un rituel meurtrier pour venir suppléer à des traces qui auraient fait défaut dans l’histoire du sujet. Il y a sans doute un rapprochement incontestable à faire entre l’écriture comme meurtre symbolique et les passages à l’acte passionnels. Dans les deux cas, il s’agirait de s’arracher à l’angoisse de fusion. À partir de cette hypothèse l’acte psychotique, dans un moment paranoïaque, proviendrait de la nécessité d’initialiser des traces dans l’actuel pour pouvoir figurer l’irreprésentable de l’originaire. Dans cette perspective, les passages à l’acte passionnels constitueraient la tentative ultime de produire de l’altérité. Seulement cette production est paradoxalement aliénante. On retrouve ici ce paradoxe de la haine primordiale qui s’accomplit à la fois dans l’aliénation et la différenciation.
Au terme de ce travail j’espère être parvenu à vous convaincre que le véritable objet de la haine ne concerne pas le perdu, ça ce serait plutôt l’amour, mais l’irréalisé dont paradoxalement je dirai que c’est le seul vrai réel.
Aussi je terminerai avec Giorgio Agamben :
« La perte imaginaire qui obsède tant l’intention mélancolique ne porte sur aucun objet réel, parce que c’est l’impossible captation du fantasme qui vise sa funèbre stratégie. L’objet perdu n’est que le simulacre derrière lequel le désir fait la cour au fantasme ; et l’introjection de la libido est simplement l’un des aspects d’un processus au cours duquel ce qui est réel perd sa réalité afin que ce qui est irréel se réalise. » (P. 57-58).
[1] G. Agamben, 1981, Stanze. Paris : Payot, 1998, p. 48.
[2] S. Freud cité par W. Muschg, 1936, « Freud écrivain ». La psychanalyse, 1959, 5, p. 73.
[3] S. Freud, 1924, « le problème économique du masochisme ». Œuvres complètes, Paris : puf, 1992, p. 22.
[4] J. Lacan, 1955, « La chose freudienne ». Ecrits, Paris : Seuil, 1966.