Daniel Cassini / Dérive autour du moment de conclure
Illustration: photographie originale J-L Rinaldini 2003.
En guise d’introduction à cette dérive en chicane autour de différents moments de conclure — Lely, Lacan, Celan — une rapide interrogation sur le moment de fonder qui, des origines du surréalisme, nous mène à celles de la psychanalyse sans se boucler nécessairement sur une réponse avérée.
Pourquoi, à propos de la mort de son ami Jacques Vaché, l’auteur des élégantissimes « Lettres de guerre », le dandy aux cheveux roux trouvé agonisant quelques semaines après la fin de la guerre 14-18, dans une chambre d’hôtel à Nantes, victime d’une overdose d’opium absorbé en trop grande quantité avec des amis noceurs comme lui, André Breton a-t-il obstinément soutenu, sa vie durant, que cette mort manifestement accidentelle — un regrettable fait divers — était un suicide. Jacques Vaché, selon Breton, aurait voulu commettre à ses propres dépens et à ceux de ses camarades, une « fourberie drôle », lui qui — je cite : « objectait à être tué en temps de guerre », temps vulgaires durant lesquels il est si commun de passer de vie à trépas : Général Nivelle ou autre, il y aura toujours une ganache pour envoyer sans état d’âme des dizaines de milliers de soldats au casse-pipe, sur le plateau de Craonne ou ailleurs, au nom, ironie suprême, d’un Autre qui n’existe pas !
Pourquoi Breton a-t-il écrit que Jacques Vaché était « surréaliste en lui » et à la sœur de Jacques Vaché, que celui-ci était « l’être qu’il avait le plus aimé », au point de lui dédier avec Philippe Soupault « Les champs magnétiques », par lesquels l’une des plus grandes aventures intellectuelles et artistiques du siècle a commencé. Autant se tourner vers Freud pour lui demander pourquoi celui-ci a-t-il pareillement accordé durant des années une telle importance, une telle surimportance à Wilhelm Fliess et à ses extravagantes théories sur la correspondance entre la muqueuse nasale et les organes génitaux notamment.
Vaché, comme Fliess, ont-ils été, figures idéales et imaginaires, les symptômes qui ont permis à Breton et à Freud de s’autoriser à s’aventurer dans l’inconnu, dans la vacuité du symbolique, dans ce qui n’était pas là, là où un Cantor, sans protection, lui, a connu en retour de sa découverte du transfini, le ravage de la folie, vivant comme le dit Lacan, « le drame subjectif du savant » confronté à un savoir absolument inédit, à la vérité d’un réel, qu’aucune autorité, aucune amitié, aucun appui symbolique, aucun idéal n’aura garanti ou soutenu, l’horreur de l’infini suscitant au contraire résistance et inhibition, chez Kronecker particulièrement, son ancien professeur au prestige reconnu dans la communauté scientifique de son temps et qui ira jusqu’à accuser Cantor — écoutez bien ! — d’être avec ses thèses un « corrupteur de la jeunesse ». Le délirant n’est pas toujours celui que l’on croit, mais le délire par contre a toujours un fond sexuel.
Moment de conclure. Le tout dernier poème de Gilbert Lely s’intitule La parole et le froid. Ce chef — d’œuvre méconnu — qui dans cette assemblée le connaît ? — est publié en 1980 au Mercure de France dans les « Œuvres poétiques » de l’écrivain. La même année, il est reproduit dans le numéro 84 de la revue Tel Quel. Preuve de l’importance que lui accorde Lely, La parole et le froid est à la fois le titre d’un poème unique — dans tous les sens du terme — ainsi, qu’à lui tout seul, celui de la dernière partie de ses œuvres poétiques dont il occupe deux pages. La revue Grid, dans un numéro publié après la mort en juin 1984, à 81 ans, de l’historiographe et de l’éditeur de Sade — « Lely est l’avenir de Sade », a écrit à ce propos Bernard Noël — la revue Grid, donc, propose à ses lecteurs ce jugement de Jean Schuster que je partage sans réserve : « Enfin, je tiens le poème de Gilbert Lely La parole et le froid pour l’un des plus bouleversants qu’il m’ait été donné de lire. »
La parole et le froid
L’homme qui vient d’atteindre l’âge où il doit bientôt se quitter
Saisira toute occasion de rester seul à seul avec lui-même.
(Cet âge où l’avenir n’est que d’une semaine, renouvelable par arbitraire reconduction).
Une fois, ayant traversé, venu du métro Blanche, le pont Caulaincourt,
Puis erré poétiquement en des lieux qui nous avaient vus jadis avec des girls de cabaret,
L’aristocratique Pierre Herbart et moi-même, étincelants de nos dix-huit années,
Je suis redescendu pour visiter la sépulture qui sera un jour ma prison.
Toute neuve, dans la partie sud-est du cimetière Montmartre longeant la rue Joseph de Maistre,
Non loin des cendres rassurantes du danseur Vestris et de sa femme, qui jouait les princesses de tragédie en 1780.
Comme je regardais ma pierre tombale, sans millésime, sans nom ni prénom gravés en or,
Il me vint fantasquement à l’esprit que, vivant, j’étais en quelque sorte broché,
Conscrit de Perséphone soudoyé par l’évidence,
Mais que relié je serai demain dans ce granit albigeois.
Puis à mon livre je songeai : chaque phrase vingt fois récrite,
Parce qu’il n’est rien d’ineffable au prix d’un long acharnement.
Alors cette idée du poème : moins intraitable que la vie, il permet qu’on le recommence.
Le jour s’affaiblissait autour des chapelles ruinées.
« Bonne nuit, doux prince », dis-je à mes mânes futurs.
Je m’éloignai du plus spectral des cimetières, avec la lèpre de ses dalles et ses bivouacs d’arbres perdus.
C’était en l’immobile octobre. À pas lents, je marchai dans la ville.
Rue Pigalle, je crus voir se dresser, aussi haute que les maisons, l’image d’un objet funestement aimé.
Elle reprit mesure humaine, pâle fille vêtue de sombre, debout contre un vitrail aux lueurs proxénèt
Gilbert Lely
S’il fallait le rapporter à une œuvre plastique, La Parole et le Froid pourrait s’apparenter à l’un des derniers autoportraits de Picasso daté de juin 1972, celui au travers duquel le peintre, les yeux exorbités, regarde, se regarde froidement la mort. La mort viendra Picasso et elle aura tes yeux, le froid Lely, et il aura ton écriture de « seigneuriale subjectivité », mais auparavant il aura trouvé à qui parler.
« Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort, mais ces beautés n’appartiendront pas à la mort », écrit Isodore Ducasse l’auguste comte de Lautréamont.
Si la mort est du domaine de la foi comme le déclare Lacan, si la mort est cette imposture comme le soutient Georges Bataille, avec La Parole et le froid, Gilbert Lely s’affirme résolument comme le moins croyant des hommes, le moins croyant à la mort et à sa religion intériorisée. De la même façon, en écrivant jadis un poème intitulé « L’inceste l’été », devenu par la suite « L’épouse infidèle », presque aussi scandaleux que le précédent, plus beau encore, Lely s’affirmait le moins incestueux des hommes par son talent à aborder sans biaiser ce que la plupart refoule, rumine, ne cesse pas d’écrire à l’horizon de leur fantasme. Dévotion à la mort d’un côté, dévotion à la mère de l’autre, sur laquelle les pensées se fixent, se cristallisent, hantise et stupeur sexuelles liées à un corps infiniment désirable quand bien même proscrit.
L’inceste l’été
Gentille maman, que je meure
Si depuis ces deux mois d’été`
Tu ne branles dix fois l’heure
Je fais de même en vérité.
Tu rougis ? Ne sois pas timide !
Essayons ensemble, pour voir…
Je te sens si tiède et humide
Et si prête à me recevoir.
Déjà ta bouche fellatrice
Me comble de ravissement !
Encore !.. attends que je jouisse…
Ah ! Je jouis chère maman…
Etc.
Mais revenons à notre sujet — à notre sujet Lely. D’emblée, le titre de l’œuvre ultime de Lely oppose en les mettant en balance, la parole — le froid. Lely aurait aussi bien pu écrire Éros et Thanatos ou Éros contre Thanatos. Lely n’a pas choisi un titre sur le modèle de la Bourse ou la vie, ou d’une autre formule de l’aliénation ; il n’y a certes, objectivement, aucune échappatoire possible pour un être parlant, mais la parole de vie et de désir du poète Lely, se dresse souveraine, contre l’effroid (avec un d final) de la mort. Contrairement à ce que soutenait un scribouillard du nom de Staline, passé maître dans l’art d’inscrire des millions de cadavres dans le réel, avec Lely « à la fin ce n’est pas la mort qui gagne » mais la parole poétique, énorme renversement de perspective.
Sans se laisser intimider, Lely aborde « un avenir incertain », barré comme la femme qui n’existe pas toute au titre d’un universel, comme la mort qu’un sujet est dans l’impossibilité absolue de se représenter autrement qu’à partir de celle d’autrui.
« Cet âge où l’avenir n’est que d’une semaine, renouvelable par arbitraire reconduction ». Placé entre parenthèses, ce vers est donné par Lely, telle une précision technique apportée à un mode d’emploi du savoir-vivre, du savoir-vivre jusqu’au bout, until the end, chaque instant du temps, chaque instant de l’instant, sans en différer la jouissance, sans en ajourner la joie, cette épreuve qui ne trompe pas de la parousie de l’être.
Que l’on se remémore l’injonction de ce rabbin se jouant du biologique et de ses limitations, déclarant « il est interdit d’être vieux ». Chez Lely, la formule deviendrait : Il est interdit que la mort précède la mort, qui à la lettre n’est rien.
D’un bord analytique, c’est le froid de la névrose, ce malheur parvenant à la conscience sous forme de symptôme, qui est convoqué ici, celui de la haine du désir, de sa glaciation : Quand la parole est le froid ! Toute une collusion-collision de termes peut aussi bien faire l’affaire ; l’affaire de la mort dans la vie : mortification du sujet, fixations imaginaires, réaction thérapeutique négative, culpabilité maous-costo, répétition du symptôme, compulsion du démoniaque, enfer d’une parole morte-vivante, celle d’un sujet pataugeant avec délice dans l’ornière de signifiants gelés et se consumant dans les cercles borroméens de son enfer de Dante. Autrement dit encore : domination sans partage de Thanatos, enfermement psychique dans la vie-mort, culture universelle de la pulsion de mort et du surmoi, leur jouissance féroce.
Gilbert Lely, c’est en cela qu’il nous enseigne dans son moment de conclure en beauté, ne cède ni sur sa parole, ni sur son désir, à savoir son style grand seigneur, tout d’élégance, de lyrisme contenu, de culture. « Bonne nuit, doux prince » est un hommage discret à Shakespeare.
Pour écrire aussi parfaitement qu’écrit Lely, il faut être un homme qui, comme le dit Antonin Artaud, « ne s’est pas trompé de côté de vivre », un homme dont la parole en liberté se soutient des pouvoirs de désassujettisement de la poésie. De même qu’un analyste ne doit censément pas reculer devant la psychose, Lely ne recule pas d’une ligne devant la mort, à ce titre il est un écrivain rare, dont la souveraineté, à l’instar d’un Georges Bataille, peut se réclamer de ce que Heidegger nomme « l’évasion dans le libre » — là où les parlêtres jouissent de leur capture dans les liens d’une langue atone-exsangue.
Comme tant d’autres, Gilbert Lely n’a pas offert servilement son langage à la mort, il s’est bien au contraire payé le luxe insolent d’offrir la mort à son langage et à Éros. Étrange rencontre : avec ce coup de force, Lely l’athée, vérifie le mot de Saint Paul : « La mort est désarmée. »
Dès le premier vers de La Parole et le froid, Lely ose une formule stupéfiante rédigée en italiques : se quitter. « L’homme qui vient d’atteindre l’âge où il doit bientôt se quitter ». En faisant de se quitter un verbe pronominal réfléchi, Lely signifie que l’être Lely doit dans un certain temps, exercer une action décisive sur lui-même : disparaître. Par conséquent, la mort n’est en rien le maître absolu qui, de l’extérieur, déciderait selon l’arbitraire de son bon vouloir de la fin d’un poète comme elle le fait pour les trumains ordinaires accrochés à leur moa-moa forteresse auquel ils adhèrent de tout leur imaginaire tétanisé par la perspective envahissante-inhibante du trépas — cette sangsue mentale du vivant.
Lely ne nous dit pas qu’il va bientôt quitter le monde, ou la vie, ou sa jeune épouse qui lui rend 47 ans d’âge, et partir tout d’un bloc avec moi et bagages à cause de la mort qui, traditionnellement, serait venu le chercher ; il nous indique calmement qu’il va résilier le contrat qui le liait à lui-même, à son corps et à ses représentations et qu’il est dupe juste ce qu’il faut de cette homogénéité narcissique qui le rassemble.
La parole de Lely réalise en acte d’écriture et d’énonciation la définition de la poésie telle que la livre dans Le méridien Paul Celan, autre éclaireur d’envergure dont il va être question au moment de conclure cette communication : « La poésie, conversion en infini de la mortalité pure et la lettre morte. » Et la lettre morte, c’est-à-dire une capacité rarissime, inouïe, de se détacher de la pesanteur sexuée de la lettre, de son inertie mortifère liée à son interminable répétition pour y introduire au contraire la dansité (avec un a comme tango) et la vitalité du verbe poétique faisant trou du réel à même les agencements massifiés du disque ourcourant, hypnotique, rayé, cette vieille renghaine que chantânnone le parlêtre parlé par ses représentations mêmes.
Si dans le réel du poème La parole et le froid nous voulions faire apparaître la singularité de ce qu’avance Lely, ce pourrait être en écrivant le se, de « il doit bientôt se quitter », s apostrophe e, autrement dit, il doit bientôt s apostrophe e mourir, s’e mourir.
En employant la 3e personne plutôt que la première personne, Lely signale qu’il parle depuis un surplomb symbolique, un extime qui le constitue depuis une absence qui se tient ailleurs dans un autre temps — voire hors temps — et qui ne mourra pas.
Rappelons que le poète américain Cummings se refusait d’écrire je, I en anglais, je suis — I am, avec un i majuscule comme c’est l’usage, marquant par là son refus de l’enflure majuscule du je, cautionnée par la langue anglaise dans son réel même.
Dans le corps du poème, dont chacun des moments exigerait un développement, une phrase de Lely retient l’attention, qui résonne comme une maxime illustre : « Parce qu’il n’est rien d’ineffable au prix d’un long acharnement ». Nous avons là l’expression d’un principe le lien qui trouve une ligne plus haut, sa vérification pratique : « Puis à mon livre je songeai, chaque phrase vingt fois récrite. » Lely nous livre là une partie de son secret d’écriture, confidence d’un poète qui a conçu sa poésie sous la forme d’un livre unique, sans cesse remanié, mot-difié, in progress dans le retour constant qu’il effectue sur lui-même. Là où l’interprétation analytique, idéalement, ne bondit qu’une fois, telle le lion et ne permet pas qu’on la recommence, de sitôt en tous cas, l’écriture de Lely creuse patiemment l’ineffable au prix d’un long acharnement. Paradoxalement, ce « long acharnement » se tient plutôt du côté du « Jamais je ne travaillerai » du Rimbaud d’une Saison en enfer, ou du « Ne travaillez jamais », inscrit sur les murs de Paris en I953 par un poète alcoolique et réfractaire au spectacle de ce monde, que d’une profession de foi glorifiant les vertus du travail bien fait, cent fois remis sur l’ouvrage. Sa vie durant, Lely s’est toujours opposé à ce genre de mot d’ordre vertueux-laborieux, lui qui en son temps s’en est même allé jusqu’à écrire, pour narguer les commandements du maréchal Pétain et sa promotion intéressée de la natalité : « Les femmes enceintes m’emmerdent. »
Depuis l’assurance de son savoir constitué, un analyste qui lirait La Parole et le froid pourrait se croire fondé de critiquer la phrase de Lely lue il y a un instant et avancer que, quand bien même le poète soutiendrait le contraire, il y a de l’ineffable, même au prix d’un long acharnement. Cet ineffable nous l’appelons le refoulé primordial, ce trou dans le symbolique, à la limite de l’analyse et de tout dire, ombilic ainsi que le désigne également Freud, point énigmatique du surgissement du sujet au symbolique, S(A barré) qui fonctionne comme un opérateur à la racine du langage, signifiant premier originellement refoulé à partir duquel le sujet se constitue en vertu de l’entrée en jeu de la fonction paternelle. Ex nihilo d’où naît — on pourrait dire d’où bée — la suite des signifiants ; « impoétique d’où se produit le poétique » indique Lacan.
Mais après tout, pourquoi ne pas accorder à un poète licencieux — « Ô luxe de mon sperme dans la nuit de tes cuisses ! », chante Lely — pareille licence, pareille « possibilité de l’impossibilité » comme le formule Heidegger dans Etre et temps. Souvenons nous que Lely écrivit en 1932, une tragédie au titre inspiré : « Ne tue ton père qu’à bon escient », version lélienne du célèbre « se passer du père à condition de s’en servir »… de s’en servir… à bon escient ! Ce qu’un Picasso, alors âgé de 80 ans exprime de manière filialement incorrecte en 1960 dans ses très remarquables Écrits : « Le plus grand plaisir du monde est d’enculer son père moribond. »
Dans sa dérive spatio-temporelle, à savoir ce passage hâtif ou pas, à travers des ambiances variées, le poème fait alterner et la déambulation du poète dans la ville et dans le cimetière où l’attend « sa pierre tombale sans millésime, sans nom ni prénom gravés en or » et le fantasme : « Il me vint fantasquement à l’esprit que, vivant, j’étais en quelque sorte broché », etc., et « Rue Pigalle je crus voir se dresser, aussi haute qu’une maison l’image d’un objet funestement aimé. »
Pareil fantasme, portant sur un objet de prédilection féminin n’a rien d’étonnant — si ce n’est l’originalité de la vision — pour qui a fréquenté et fréquente l’univers poétique de Lely ; c’est bien plutôt un élément privilégié de son inspiration libertine qui convoque à la dernière ligne de sa poésie, une « pâle fille vêtue de sombre », image emblématique de toutes ces femmes désirées que Lely a aimées et magnifiées dans son œuvre : Lucienne, Ethel, Verdaine de Trentelivres, Josée, Aloïsia, Idioménée, Uta von Wettin, etc., toutes celles dont, une par une, il a célébré la singularité et l’autreté si désirables, allant jusqu’à mettre en exergue de la série de poèmes constituant « L’épouse infidèle », cet aveu : « La différence corporelle de l’homme et de la femme, ce luxe fabuleux m’éblouit ». Et Lely est un bien trop fin virtuose de la langue française pour « ne pas savoir, mais quand même », la part d’aveuglement qu’il peut y avoir dans l’éblouissement. Octave Mannoni aurait souri à la fourberie du poète.
Le poème s’achève sur une image louche, splendidement ambiguë contre laquelle s’adosse la « pâle fille vêtue de sombre » : « un vitrail aux lueurs proxénètes » ; mise en forme de l’imaginairement symbolique où les signifiants se font mosaïque de sens.
En relisant pour la énième fois ce poème, il m’est venu fantasquement à l’esprit que, de par sa troublante équivocité, l’expression « vitrail aux lueurs » située par Lely dans une rue et un quartier de perdition donnait la dimension de ce que pouvait être l’interprétation analytique, cette coupure du dire portant sur la cause du désir qui organisme le fantasme dont la fonction de soutien du désir l’est aussi de suture du réel, jeu de lettres dans le signifiant ou la structure littérante du signifiant.
Et le proxénète me direz — vous ? Voué universellement à l’opprobre, je laisse ce terme à l’appréciation de chacun. Si l’analyse a un beau-coût, elle peut en retour rapporter beaucoup à celui qui, au terme de sa cure, grâce à elle et à ce « vitrail aux lueurs proxénètes » évoqué à l’instant, aura su se faire, oui, le proxénète de son désir et le mettre au turbin sur le trottoir de sa subjectivité accomplie dans son auto-déploiement, pour son propre compte s’entend, au service exclusif d’Éros contre les forces coalisées du nihilisme psychique et social, contre leur jouissance esclave, leur macération mortifère.
En cela, comme Lely et son œuvre, la psychanalyse ne sera jamais une expérience politiquement correcte, en cela qu’on veuille régulièrement la faire rentrer dans le rang et marcher au pas — biologique, psychothérapeutique, chimique, cognitiviste, etc. — sécuritaire en somme, l’époque est demandeuse qui, à la différence de Benjamin Péret, mange de ce pain — là.
La parole et le froid n’y déroge pas, quand bien même nimbé de nostalgie tout ce que signe Lely est désir immarcescible ; là se tient sa gloire, là sa po-éthique — avec un h comme hanalyste.
Et si d’aventure il vous arrive un jour de vous trouver devant le granit albigeois de la tombe de Gilbert Lely, dans la partie sud est du cimetière Montmartre, longeant la rue Joseph de Maistre, à Paris, vous aurez peut-être la ressource d’halluciner en un éclair cette inscription latine gravée sur certains sarcophages du Ier siècle de notre ère. Quelques simples lettres en fait : NF — F — NS — NC. Non fui — Fui — Non sum — Non curo.
Je n’ai pas été — J’ai été — Je ne suis pas — Je ne m’en soucie pas.
À ces sept lettres de résistance qui font la nique à la mort et à son imaginaire terrorisenvahissant, à son contre-érotisme, ayez la hardiesse, le bon goût d’en ajouter deux autres, condensation des précédentes. À la manière dont André Breton a pu soutenir — et se soutenir de ce que Jacques Vaché, l’éclaireur indocile, était « surréaliste en lui », ces deux lettres indiquent en toutes circonstances le pôle aimanté de l’amour de la vie et, contre l’accablant sérieux de l’être pour la mort, la suprême-chaleureuse insouciance de lettres pour le désir : G L, vous l’aurez deviné.
« Bonne nuit, doux prince ».
Moment de conclure : Durant la guerre Matisse confia à Aragon : « Et dire que j’ai travaillé pendant cinquante ans pour qu’on dise : Matisse, ce n’est que ça ! ». Le séminaire 77 –78 de Jacques Lacan, succède à « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre ». La sobriété du titre de ce séminaire « Le moment de conclure » contraste avec le précédent, baroque, qui faisait de Lacan un disciple averti de Jean-Pierre Brisset, l’auteur de « La grammaire logique » et de « La science de Dieu », que de nombreux analystes gagneraient à lire. Une coterie d’écrivains avait affublé en 1912 Brisset du titre ironique et dérisoire de Prince des penseurs, lui qui développa dans son œuvre « une suite vertigineuse d’équations de mots » ainsi que le rapporte André Breton dans son « Anthologie de l’humour noir ».
Découvrant pour la première fois « L’insu que sait de l’une bévue », un lecteur non averti, face à pareille expression qui retourne la langue, la met dans tous ses états et joue à fond la carte de l’équivoque, serait fondé de se poser sans même s’en apercevoir une question à la Brisset, dont la perspicacité délirante est à plus d’un titre proche de la perspicacité analytique. Cette question pourrait strictement être de Lacan : Mais qu’est — ce que sexe a ?
Le psychologue Pierre Janet avait un jour opposé à la découverte freudienne un négligent, voire méprisant : « L’inconscient ? Ca n’existe pas. C’est une façon de parler. »
Le malheureux Janet voulait signifier par là que l’inconscient, ça n’a aucune réalité, aucune effectivité, que c’est une broutille sans importance, une façon de parler donc… Reconnaissant dans le déni la structure langagière de l’inconscient, il ne croyait pas si bien dire. Avec un titre qui tire le sens dans tous les sens, le fait proliférer, l’élastise, Lacan nous en offre une brillante illustration. L’inconscient, ça n’est en effet qu’une façon de parler dont les parlêtres font les frais et que Lacan nous donne à entendre dans sa façon toute joycienne d’écrire et de subvertir un simple titre, d’en faire un witz dans lequel l’accent est mis sur la translittération, les homophonies, les assonances, les contre-assonances. De la même façon, l’interprétation de l’analyste doit-elle entrer dans le jeu de lalangue de l’analysant afin de favoriser au moyen des équivoques, le passage de l’inconscient dans le conscient et « produire des vagues » qui auront un effet de résonance en jouant sur le son du côté de lalangue et sur le sens du côté du langage. Ainsi n’est-il pas impossible d’attraper le désir par le bout de la queue, de pincer le réel dans l’entre-deux langues et d’atteindre un effet de varité — ce néologisme lacanien combinant vérité et variable, au sens de la saisie de la variable d’une fonction —, un effet de levée du refoulement.
« Le moment de conclure » renvoie, lui, aux 3 termes exposés dans « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » qui dialectise la dynamique de la cure et l’échéance de son terme. « Le moment de conclure », comme les autres temps logiques est associé au fameux Jeu des prisonniers à propos duquel chaque aspirant analyste s’est un jour ou l’autre creusé le ciboulot alors que ce jeu, qualifié pudiquement et hâtivement de sophisme par Lacan est purement et simplement un jeu de dupes, une « fourberie drôle » sortie de l’imagination d’un pataphysicien facétieux, émule d’Alfred Jarry. Le jeu ne demande en effet aucun raisonnement, pour autant qu’on ne s’identifie pas en esclave, aux prisonniers de l’apologue, ce que chacun, généralement, fait allègrement et vive l’allégeance au discours du maître. Le jeu des prisonniers ne peut pas fonctionner puisqu’il est, tout simplement, impossible d’utiliser ensemble les deux disques noirs, pas plus d’ailleurs qu’un seul de ces disques, car alors un raisonnement d’une simplicité enfantine le met également hors circuit d’une pichenette.
Soit l’on donne quitus à la parole du maître du jeu et l’on respecte ce qu’il nous impose et c’est là sa victoire, son coup de force, son coup de farce spécieux, soit l’on s’en affranchit en mettant en cause l’autorité de celui-ci et l’on conclut en lui faisant un bras d’honneur en prime ou en lui tirant la langue, sans que soit requis un quelconque temps pour comprendre.
Autant à ce compte réhabiliter, à rebours du précédent, ce jeu qui circulait à la fin des années 60 dans les collèges et lycées niçois : Le jeu du petit cochonnet. Je le propose à votre sagacité, l’énoncé en étant le suivant. Attention, chaque mot compte : « Le jeu du petit cochonnet est un jeu anglais qui se joue à trois. Le premier prend la boule et la lance. Le second prend la lance et la boule. Que fait le troisième ? »
Aucune réponse n’étant jamais retenue comme valable par l’implacable maître du jeu, expert en décervelage lui aussi, chaque joueur se voyait invariablement renvoyé à un moment de conclure qui ne venait pas, qui ne venait jamais, qui ne viendrait jamais…Quoi que l’on dise, quoi que l’on suppute, raisonne, cherche, argumente, finaude, le joueur était invariablement gratifié d’un horripilant et sarcastique : « Tu n’as rien compris au jeu du petit cochonnet. Le jeu du petit cochonnet est un jeu anglais qui se joue à trois. Le premier prend la boule et la lance. Le second prend la lance et la boule. Etc. » Ad nauseam. (Je tiens ma réponse d’alors à la disposition de toute personne intéressée…)
Plus sérieusement, « Le moment de conclure » nous rapproche du temps de la fin d’un enseignement. Comme le séminaire précédent et d’autres interventions afférentes, il poursuit plus qu’il n’achève une façon qu’aurait eue Lacan de se désabonner, non pas comme Joyce, de l’inconscient, mais, tout en s’affirmant jusqu’à la dernière minute freudien, de l’inconscient freudien et cela avec la promotion ultime de la bévue, de l’une-bévue venant se substituer aux formations de l’inconscient et allant plus loin et allant plus vaste que l’inconscient puisqu’englobant l’inconscient et le conscient.
En un geste de grand seigneur fatigué, Lacan semble dans les dernières années et à de nombreuses reprises, brûler une partie de ses vaisseaux, la flotte théorique qui avait assuré son succès, semblait acquise une fois pour toutes et permis à l’analyse de pouvoir espérer aborder aux rivages des Syrtes du réel.
Ce potlach lacanien, à savoir cette dépense somptuaire qui consiste à dilapider ce qui avait été soigneusement accumulé durant des dizaines d’années de théorisation, est adressé à la communauté analytique, à charge pour elle d’y répondre – puisque c’est à cela qu’invite le potlach qu’a eu le courage de bé-bégayer Lacan à l’intention de ses élèves auxquels il confie le soin de poursuivre une œuvre ouverte, non suturée, dans laquelle demeure agissant un commencement qui n’en finit pas et qui exige d’être réinventée pour durer – il y aura toujours du refoulement à lever au niveau des énoncés théoriques…
« Danielo haussa durement les épaules. Il dit : … une barque qui pourrit sur la grève, celui qui la rejette aux vagues… il peut être dit insoucieux de sa perte, mais non pas du moins de sa destination. »
Dans « Le moment de conclure », cela a été pointé en début d’année par Elizabeth de Franceschi, Lacan retourne la formule de Picasso qu’il avait pourtant faite sienne en son temps : « Je ne cherche pas je trouve ». Lacan déclare au début de la leçon 8 : « Actuellement, je ne trouve pas, je cherche ». Lacan affirme, réaffirme là une position d’analysant, plus ! celle d’un « passant considérable », riche-amoureux de son non-savoir plus que de son savoir. Mais que dit fondamentalement d’autre un analysant à son analyste si ce n’est : « Je ne trou –veux – pas, je ne veux pas du trou du réel, je le bouche avec mon symptôme; je cherche comment savoir y faire avec lui et avec vous qui en faites partie et êtes supposé en savoir un bout. » Ce que Gherasim Luca, avec son don de double bévue, exprime limpidement en nous livrant à la cantonade ses « Autres secrets du vide et du plein »
Le vide vidé de son vide c’est le plein
Le vide rempli de son vide c’est le vide
Le vide rempli de son plein c’est le vide
Le plein vidé de son plein c’est le plein
Le plein vidé de son vide c’est le plein
Le vide vidé de son plein c’est le vide
Le plein rempli de son plein c’est le plein
Le plein rempli de son vide c’est le vide
Le vide rempli de son vide c’est le plein
Le vide vidé de son plein c’est le plein
Le plein rempli de son vide c’est le plein
Le plein vidé de son vide c’est le vide
Le vide rempli de son plein c’est le plein
Le plein vidé de son plein c’est le vide
Le plein rempli de son plein c’est le vide
Le vide vidé de son vide c’est le vide
C’est le plein vide
Le plein vide vidé de son plein vide
De son vide vide rempli et vidé
De son vide vide vidé de son plein
En plein vide
Les derniers séminaires et conférences de Lacan sont marqués par un dégagement, un dénouement-dénouage par rapport à Freud et même à la psychanalyse ; en quoi apparaît tonique-hardie l’insistance avec laquelle Jean-Pierre Benard et Jean-Louis Rinaldini reviennent sur les mythes canoniques de la psychanalyse et leur efficience, s’opposant en cela, à leurs risques et périls, à Isodore Ducasse pour qui dans Poésies 1 : « Les premiers principes doivent être hors de discussion », mais trouvant un allié de choix chez Luca qui s’insurge de la sorte :
Depuis quelques milliers d’années
On propage
Comme une épidémie obscurantiste
L’homme axiomatique :Œdipe
L’homme du complexe de castration
Et du traumatisme natal
Sur lequel s’appuient les amours
Les professions
Les cravates et les sacs à main
Les progrès, les arts
Les églises.
Lacan va jusqu’à avancer qu’il n’est pas absurde de dire que l’analyse, tout en étant une chose sérieuse, peut glisser dans l’escroquerie, qu’elle est une pratique délirante, un savoir emmerdant. Il ajoute aussi : « Ce que Freud dit de l’inconscient n’est qu’embrouille et bafouillage, élucubration en somme » et « il faut soulever la question de savoir si la psychanalyse n’est pas un autisme à deux. »
Alors qu’il a passé des lustres à être un commentateur rigoureux de Freud et à mettre en perspective l’autonomie du symbolique, passant successivement de la domination de l’autre majuscule, à son articulation avec un petit a, pour arriver in fine à l’autre minuscule, Lacan va insister de plus en plus sur la singularité sans partage de chaque sujet un, sur la singularité de sa lalangue qui lui, à part, tient en propre et sur le fait que la pensée n’est qu’un imaginaire sur le symbolique.
Lacan va jusqu’à donner de l’inconscient, une histoire assez loufoque, une définition non freudienne, selon laquelle le fameux inconscient est une maladie mentale, définition qu’il veut plus radicale que celle de l’inconscient freudien en ce que le parlêtre, dans sa débilité, y est sous le coup d’une dysharmonie de fond entre le symbolique, l’imaginaire et le réel, exclusion de sens. C’est en dénouant le réel et le savoir que l’inconscient se saisit dans la méprise, la boiterie, l’achoppement, le dérapage, le trébuchement, le jeu poétique qui fait du signifiant un agent double, voire plus : triplicité, dirait Joyce, « allé au bout de l’anglais » comme Lacan de la psychanalyse.…
Plus éloigné dans le temps que Lacan et son œuvre, nous y ramenant, Saint-Augustin écrivait à propos de cette divinité importée de Phrygie dans le monde gréco-romain, Cybèle, vénérée sous le nom de Grande-mère, Grande-déesse, Mère des dieux et dont les détails du culte orgiaque étaient pudiquement passés sous silence par les commentateurs de l’époque : « L’interprétation a abdiqué, la raison a rougi, la parole s’est tue. »
Interprétation, raison, parole, autant de termes sur lesquels, quelles que soient la période et la nature de son enseignement, Lacan n’a jamais cédé et sur lesquels, quelle que soit notre approche privilégiée de la psychanalyse : logique, mathématique, nodale, poétique, il nous invite pareillement à ne pas reculer.
Pour clore ce second moment de conclure, l’on peut enfin légitimement appliquer au moderne théologien, comme se nommait lui-même Lacan, héritier athée du message chrétien, un vers de Gerard Manley Hopkins extrait de son poème « L’Oxford de Dun Scott ». Dédié à celui qui fut appelé en son temps le « subtil docteur franciscain » – « le nombre des subtils est décidément infime », écrit Jacques Vaché à André Breton en 1918 – le vers de Gérard Manley Hopkins exprime, avec un siècle d’avance – bel exemple d’assertion anticipée – l’apport et l’enjeu des dernières années de recherche et de théorisation du subtil docteur Lacan, ce –je cite : « Démêleur du réel le plus fin-grain, sondeur inégalé. »
Lako tava
Lavi také
Laku tavo
Lakataki
Laké tavu
Toka
Kila keta toké
Tout’ont’bévue
Passidiotbêt’kessa
S’mômotérialisme’un-dû
S’môment artaud’conclur’
L’avé
Lacan
L’amômoralité d’l’hystoir ?
À chaqu’un sa l’ac’une
Haut’ment dit
La vérité peepée parle
Trou d’lanalyse
Fout l’can
Et pourtant !
Moment de conclure. À la fin avril 1970, à Paris, un poète se quitte en se jetant dans la Seine. Il s’appelle Paul Celan et à cette date, en dehors de quelques amis, de quelques lecteurs, personne en France ne s’intéresse à ce nom, à l’ œuvre qu’il y a derrière. « Je te sens si grand par moments et, je le sais, de la race des très rares et très hauts », lui écrivait pourtant son épouse Gisèle Celan-Lestrange.
Un mois environ avant sa mort, Celan adresse à sa femme un dernier poème, comme toujours rédigé en allemand, accompagné d’une traduction mot à mot :
De mon (du milieu de) délire (ma folie)
Volé(é) en éclats
Je me dresse (m’érige)
Et contemple ma main
Qui trace
L’un, l’unique
Cercle.
Quelques mois après la mort de Celan, la revue L’Art vivant publie un poème accompagné du rappel de la disparition tragique de son auteur. D’emblée, la puissance singulière de ce poème fait trou par rapport aux textes, de grande qualité pourtant, qui l’entourent.
L’écrit se creuse, le
Dit, vert-océan
Brûle dans les baies,
Dans les
Noms liquéfiés
Bondissent les marsouins,
Dans le nulle part rendu éternel, ici-même,
Dans la mémoire des
Cloches toutes bruyantes dans –où donc ?
Qui
Dans ce
Carré d’ombre
Suffoque, qui
Sous lui,
En lueur émerge, émerge, émerge ?
Chez Celan, l’écrit se creuse, creuse jusqu’à l’os du désir celui-celle qui, dans l’éblouissement de la rencontre sur le site abrupt du poème, l’accueille, entamé par l’interprétation poétique qui lui est fraternellement adressée.
Sans tapage, l’œuvre de Paul Celan, s’affirme comme l’une des plus considérables du siècle – mais les poètes de la stature de Celan sont de tous les temps, témoignent pour et contre tous les temps, à travers le temps. Les livres de poésie de Paul Celan ont eu, ont encore la réputation d’être difficiles, hermétiques, impénétrables, gratuits, obscurs, quand ils habitent l’éclat –la faille. L’éclat singulier de l’écriture circoncise de Celan réside dans son irradiation profuse à la manière de certains tableaux de Mark Rothko, autre suicidé, dans lesquels, il est impossible à première vue, de déterminer l’origine de la luminosité baignant la toile, la plus sombre – rouge-marron qui soit parfois ; l’opacité se faisant appel, exigence de dépossession pour qu’advienne la révélation, les clairs de la toile ou du poème – leurs obscurs-clairs. Rothko vrairifiant Celan, l’inverse.
Elliptiques, brisés, allégoriques, oblitérés, les poèmes de Celan convient leur destinataire à la fécondité d’un dialogue éperdu. Quand lire Celan c’est faire une expérience poétique-pensante performative en quelque sorte.
Tant et tant commentée depuis la mort brutale du poète, déchiffrée avec patience et talent par des auteurs prestigieux : Szondi, Derrida, Bollack, Bonnefoy, Levinas, etc., cette œuvre énigmatique – même si enfin reconnue en France au point de se retrouver au programme de l’agrégation – exige-t-elle pareil acharnement herméneutique –comme l’on dit thérapeutique, quand c’est elle, paradoxalement, qui possède la faculté à l’envers de tout pouvoir, de déchiffrer le lecteur, de le révéler à lui-même, au-delà de lui-même ; à l’instar, peut-être et différemment, de l’analyste précédant d’un souffle – d’un cristal de souffle pour les meilleurs – son analysant dans l’interprétation.
L’intelligibilité des textes de Paul Celan, hostile à tout forçage, vient de surcroît, au point que là aussi il paraît souhaitable de conseiller à un lecteur novice, le lacanien : « Gardez-vous de comprendre »… Paul Celan. « On décortique mes poèmes, disait, énervé, Celan, qui souhaitait qu’on les lise au pied de la lettre – au pied de la lettre certes, mais littéralement et dans tous les sens aussi bien. La prodigalité de la poésie de Celan est telle qu’elle se soutient même de pouvoir être trahie impunément à travers son impossible traduction qui n’en réduit pas la force mais en démultiplie à l’envi la – les lectures ainsi mises en circulation.
Équivoques magnifiquement, agaçant la sagacité du lecteur avec leur sens perdu que d’aucuns s’obstinent à rechercher à tout prix, comme si l’enjeu était là, dissimulé au fond de quelque cache celanienne, ces poèmes s’offrent et offrent à celui qui s’y abandonne avec confiance et amitié la chance d’accéder au vif d’un questionnement creusé tout du long par la gouge d’écriture du poète et qui laisse ouvert la faille du réel. Celan parle nommément « d’exploration topologique » à propos de la poésie. Que fait d’autre au Chant 29 du Paradis, Dante, avec ce point que Béatrice regarde fixement –je cite : « Le point semble enclos dans ce qu’il enclôt ».
Psaume, Mandorle, La contrescarpe, quoi que l’on ait dit – écrit – glosé savamment sur eux, possèdent une réserve inépuisable de sens, ils sont pour chaque interlocuteur l’opportunité d’un entretien infini, désirant, d’un grand commencement que délivre l’approche de leur inconnu – l’inconnu de leur voisinage.
Les chefs-d’œuvre sans garantie de Paul Celan nous déportent à mille lieues de toute volonté –possibilité de maîtrise, de complétude imaginaire satisfaite dans le giron obturant de la langue.
Semblable en cela à la psychanalyse, la poésie – « le dire le moins bête », selon Lacan – ne s’enseigne pas ; elle est cette parole d’exil dans la langue de la totalité des maîtres – des bourreaux arrogants pour Celan et son peuple – contre laquelle, forte de sa part-manquante, elle se dresse de toute sa vigueur fragile-mâture. Comme l’amandier, amandier de printemps, célébré dans maints poèmes, la poésie de Celan ne cesse pas d’être un vouloir – fleurir qui s’élève contre la peste, contre toutes les pestes, contre tous les décervelages diffus, concentrés, intégrés, dont l’époque gavée de communication obligée est plus que jamais prodigue.
Aussi cosmopolite que le désir, la poésie fonde une éthique de désertion et de résistance actives à l’égard de toutes les formes de pensées utilitaires sanglées dans leurs uniformes de mots d’ordre et de langue de bois. Là son scandale, quand tout a un prix, vaut quelque chose, se monnaie furieusement à la bourse de l’image publicitaire, elle est strictement une dépense pour rien – le libre Rien ? qu’évoque maître Eckart ? Le Rien qui se tient dans l’amande de la Mandorle ?
« Dans l’amande. Qu’est-ce qui se tient dans l’amande ? Le Rien.
Le Rien se tient dans l’amande. Il s’y tient, s’y tient. »
Gravissant, comme l’écrit Roger Gilbert – Lecomte « le sommet central de l’intérieur de Tout », le poète vise ce Rien, cette limite sans limite vers laquelle tend l’effort incessant de la conscience qui s’éveille.
Au bord du silence – silence de vie contre silence de mort – autrour du silence, l’écriture perforée de Celan met en défaut, met au défi tout effort de totalisation interprétative, d’appropriation – ce vers quoi chaque parlêtre se précipite désespérément chaque fois que ça lui est possible, en permanence ; elle appelle simplement des esquisses de compréhension par delà son noyau de non-communication immédiate qui peut rebuter et faire reculer certains lecteurs enclins au vertige de la langue, dans la langue et qui recherchent un terrain plus ferme, plus assuré, moins inquiétant, moins intranquille. Logique de la sphère en tant qu’image rassurante de la complétude contre espace acosmique sans fond de l’asphère. Dans un premier état du Méridien, Celan n’écrivait-il pas : « Dans cette absence de sol résident, assez archaïques, le fondement et le principe du poème. »
Pareille approche aussi succincte de la poésie de Paul Celan exige de mentionner la relation privilégiée qu’entretenait par-delà le temps, l’espace et la mort celui-ci avec le poète russe Ossip Mandelstam, déporté en Sibérie au cours des purges staliniennes des années 30 pour avoir osé écrire une épigraphe sur Staline et comme Celan, nous allons le voir accusé injustement de plagiat.
La Rose de personne, le livre que j’emporterai sur l’île déserte – Internet, est d’ailleurs dédié à la mémoire d’Ossip Mandelstam. Rappelons enfin, qu’entre blasphème et prière, la poésie de Celan se fonde sur la spiritualité et l’identité hébraïques appréhendées au travers d’une relecture athéologique, dans une conflictualité poignante avec un Grand Objet Extérieur, terme par lequel Lautréamont désigne Dieu. « Loué sois – tu personne. Pour l’amour de toi nous voulons fleurir. Contre toi. ». « Vous êtes, vous le savez bien, écrit Celan à son épouse, la femme d’un poète maudit, doublement, triplement juif. » Intériorisation de la judéité, alliance entre écriture et judéité, entre deuil et mémoire, le poème disait Celan « élève une exigence d’infini » ; chaque lecteur pouvant en faire l’épreuve, la vérification expérimentale en se rendant disponible à ce que Heidegger nomme « la vérité de l’être », si proche – si difficile à saisir – comme tout ce qu’écrit Celan.
Concernant le poète, parisien d’adoption depuis 1948, il est un point sur lequel il est nécessaire de s’arrêter plus précisément, car il interpelle la psychanalyse et les psychanalystes ; celui qui concerne ce qu’il faut bien se résoudre à appeler la psychose, la folie, la démence, la mélancolie incurable de Paul Celan. Dans La condition d’infini , avec beaucoup de pudeur, Jean Daive, ami intime de Celan et lui – même poète, nous livre au fil des pages de ce récit quelques éléments épars : « Gisèle (à savoir l’épouse de Celan dont il se séparera à sa demande, après avoir tenté de la tuer, mais sans rompre entièrement avec elle) me révèle l’horreur. La crise de démence. Le témoignage des voisins. Le car de Police. Le dépôt. Et Paul exposé comme un cas dans un amphithéâtre devant des étudiants en médecine qui prennent des notes. » Ailleurs, dans le même texte : « Silence qui se déchire. Son cri. Les hurlements. Les fenêtres qui s’éclairent. La nuit. Les voisins. La police. Le dépôt. Paul en larmes. Une main sur le front. Logique calcinée. Cet homme entend des voix. Oui, il entend des voix et il leur parle. Les voisins parlent aussi. Témoignent. Rapportent. » Toujours dans La condition d’infini, Jean Daive relate un rêve qu’il a fait et dans lequel il voit Celan, taché de rouge, avec l’oreiller de Jean Daive sur le bras, lui disant : « Ce sont les trous qu’il faut écrire, Jean Daive, n’oubliez pas. »
À quoi, à la même époque quasiment, font écho depuis la clinique Laborde ces propos d’Ivan Chtcheglof dans le texte « Lettres de loin » adressé à ses amis situationnistes et publié dans le numéro 9 de la légendaire revue : « C’est dur d’être dans le trou et de connaître l’enjeu. Je suis devenu moi aussi un symbole et même ici, ils l’ont compris. Passera, passera pas, reviendra à sa langue ou reperdra la mémoire ? »
Le premier des recueils posthumes de Paul Celan, « Contrainte de lumière » paru en juillet I97O fut écrit comme d’ailleurs de nombreux autres poèmes alors que le poète se trouvait hospitalisé pour troubles psychiques – il le fut à 5 reprises ; le titre de l’ouvrage faisant référence à Freud et à la contrainte de répétition.
Dans l’Insu que sait de l’une-bévue, Alain Didier – Weill déclare : « Quand vous lisez, quand vous entendez une musique qui vous bouleverse ou un poème qui vous bouleverse, le mot qui fait mouche en vous, on peut dire que c’est qu’il ouvre au maximum cette dimension du refoulement originaire. » Cette formulation se soutient tout particulièrement au niveau de la poésie de Celan dont la singularité tient peut – être en ce qu’elle semble construite autour d’un ombilic, d’une béance dans laquelle vont plonger les associations du lecteur, béance où s’arrête tout sens, point d’indicible où le poème se rattache à l’inconnu mais d’où surgit le désir inconscient au fur et à mesure de la lecture et quand bien même lirait – on chaque poème mille et une fois… On peut d’ailleurs soutenir, que n’avoir pas ressenti les poèmes de Paul Celan résonner et passer dans le corps, vous donner, pour certains, le frisson et couler dans vos veines tel un shoot, de manque, je précise, c’est n’avoir pas encore commencé à en faire la lecture mais s’être contenté d’un effleurement intellectuel, universitaire ou esthétique aussi fouillé de savoir et de références théologiques, philosophiques, historiques, etc., soit il.
La poésie pas – toute de Celan et sa non – réponse à une demande de sens nous comble de ne pas nous combler.
« Né du trou. Bâti autour du trou. Je suis une organisation du vide », écrit Bernard Noël dans « Extraits du corps ».
Ainsi la poésie de Paul Celan ne peut-elle être jaugée en termes de déficit de création comme pourrait être tentée de le faire la psychiatrie : – « Mais non vous n’êtes pas fou monsieur Celan vous êtes simplement malade, vous souffrez de mélancolie délirante. », mais plutôt relever comme l’écrit chez Joyce d’une clinique des suppléances destinée à parer à une rupture des nouages de la structure du sujet en rejouant génialement le procès fondateur du refoulement originaire, à assurer la consistance de la chaîne signifiante en la décomplétant et à prendre le réel dans la trame du symbolique.
« Voici dans toute sa nudité, un poème passe-temps – non, voici un vrai poème, pour nous y accrocher un peu et nous entendre vivre », écrit en mars 1966 Paul Celan interné depuis de longs mois.
La poésie de Celan dont il n’existe pas d’équivalent en ce qu’elle est paradoxalement poésie torique, plét(h)orique, abondance en creux, permet à son auteur de se tenir entre sublimation et psychose, entre désir et jouissance délocalisée, entre refoulement originaire comme fondement de l’inconscient et forclusion comme rejet de celui-ci.
Précisons que dans le cas de deuils impossibles, Lacan parle de forclusion, la perte brutale de l’objet aimé pouvant constituer un trou dans le réel, un trou dans le réel comme celui qui advient quand il y a forclusion justement. Il convient de rappeler que les parents de Celan furent assassinés par les nazis dans un camp de concentration, sa mère abattue d’une balle dans la tête :
« La mort est un maître venu d’Allemagne son œil est bleu
Elle te frappe d’une balle de plomb précise elle te frappe. »
« Les poèmes, écrivait Celan, à propos de son frère en poésie Ossip Mandelstam, sont des projets d’existence. » Ils ont, autrement dit, une fonction de soutien et de régulation de l’idéal. Faute de disposer d’informations suffisantes, il est bien sûr difficile, hasardeux, de déterminer exactement quels furent les facteurs conjugués qui déclenchèrent l’éclosion visible, manifeste de la psychose chez Celan.
On peut cependant relever qu’en I96O, mais l’affaire avait commencé bien des années auparavant, Celan fut affecté et le mot est faible, par la campagne de diffamation publique que lança contre lui Claire Goll qui l’accusa d’avoir plagié les « inventions poétiques » de son mari, le poète lorrain, bilingue, d’origine juive, Yvan Goll.
En portant atteinte à ce qui lui importait plus que tout, la poésie, la veuve du poète Goll se manifestait comme un Autre malveillant, intrusif, persécuteur, s’en venant ébranler la suppléance élaborée par Celan et le confronter à la carence fondamentale déterminant sa structure, induisant ce que Hölderlin, éprouvé par la mort de Suzette Gontard, appelle « les ébranlements et commotions de l’âme. »
Édifiant à cet égard, ce que Celan écrit, comme incidemment, le 3 août 1965 à son épouse qui venait de perdre une dent en mangeant une tartine de pain grillé : « Si vous voyez le dentiste, demandez-lui s’il ne peut pas creuser la racine pour vous mettre une dent à pivot. Pour moi, homme sans racine, point de pivot. » Point de capiton pourrions – nous suggérer en nous appuyant sur ce qui précède et invoquer une carence de la fonction du trait unaire qui laisse les identifications sans assise. Celan écrira également à Adorno ceci : « Je me sens très seul, je suis très seul. Avec moi-même et mes poèmes (ce que je tiens pour une seule et même chose) » et à Marthe Robert enfin, la spécialiste et traductrice de Kafka : « Une campagne de diffamation qui, après être passée par des phases aussi incroyables que révélatrices, a abouti à mon abolition pure et simple comme personne et comme auteur. »
Dépersonnalisation dans laquelle l’ancrage symbolique du Nom du Père n’est plus à même de jouer son rôle de butée, d’arrimage du sujet.
Au terme de sa douleur d’exister, de son désêtre, Paul Celan, en un passage à l’acte mélancolique, sacrificiel, se suicide par noyade depuis le pont Mirabeau. Son corps est repêché le 1er mai 1970 en aval de Paris. Jean Daive : « Je ne dors plus. La réalité de sa mort de plus en plus vraisemblable me hante. Le ciel bleu des jours d’avril, puis des jours de mai gazéifie encore la mémoire. Gisèle enquête jour et nuit : rien ne lui échappe, chaque détail est considéré, raconté de manière presque épique. Elle anticipe le drame, donc le suicide. Elle met en scène et surtout énonce ses déductions : il entre dans sa chambre, il se couche, il dépose sa montre, il se lève, il descend l’escalier, il traverse l’avenue, il enjambe le Pont Mirabeau, il se jette dans la Seine. »
Le pont Mirabeau est certes l’ouvrage le plus proche du dernier domicile de Paul Celan, où il vit seul désormais, après avoir écrit 3 mois avant sa mort à sa femme : « Je n’ai aimé aucune femme comme je t’ai aimée. Comme je t’aime. C’est l’amour –chose surcontestée – qui me dicte ces lignes » ; c’est aussi avant tout, ne l’oublions pas, le titre du chef-d’œuvre de Guillaume Apollinaire. Celan avait d’ailleurs traduit « Les colchiques » d’Apollinaire ainsi que d’autres poèmes se trouvant dans le recueil « Alcools ». Le pont Mirabeau est mentionné dans le grand poème de Celan « Et avec le livre de Tarussa. »
De la dalle
Du pont d’où
Il a rebondi
Trépassé dans la vie, volant
De ses propres blessures – du
Pont Mirabeau.
Huit ans après avoir écrit ces vers, Celan mettait fin à ses jours. Comme dans le cas de Roger Gilbert-Lecomte, le jusqu’au-boutiste poète junkie du Gand jeu, écrivant « Tétanos mystique » bien des années avant de mourir de cette terrible maladie – « Je suis pourri, paralysé d’abcès », écrit-il à son ami Pierre Minet – ou de Victor Brauner fasciné par le symbole de l’œil énucléé apparaissant dans ses tableaux –dont son autoportrait – et perdant réellement un œil au cours d’une bagarre avinée entre amis, peut-on lire dans ces vers de Celan une sorte d’auto-prophétie, pressentir la marque du destin que lui aura fait l’inconscient ?
Dans la dernière partie de La vie est ailleurs , Milan Kundera parle de la mort des poètes dont, à la fin d’un court chapitre, de celle de Celan : « la mort est un message, la mort parle ; l’acte de mort possède sa propre sémantique et il n’est pas indifférent de savoir de quelle façon un homme a trouvé la mort, et dans quel élément… L’eau est l’élément exterminateur de ceux qui se sont égarés en eux-mêmes, dans leur amour, dans leurs sentiments, dans leur démence, dans leurs miroirs et dans leurs tourbillons. »
Outre la réserve qui s’impose lorsqu’il s’agit d’évoquer une mort d’homme, il demeure toujours une part d’indécidable quant à la signification à accorder à celle-ci. Dans tous les sens du terme, la mort ne peut que se mot-dire, qui avec la disparition physique de Paul Celan nous prive du jaillissement d’une parole poétique inouïe, tendue vers un autre qu’elle haut-hisse au prix d’un effort, d’un événement -avènement de lecture, en terre de celanie.
En butte aux impératifs obscènes du surmoi, aux miasmes de la culture pure de la pulsion de mort, le poète consent à l’holocauste de son moi endolori et dépressif, de sa vie. Cédant sur son désir, Celan s’est fait sujet de la jouissance, objet chu, déchet éjectable, lettre morte – letter-litter.
De même qu’un homme fou d’amour peut en arriver tragiquement à déclarer « sa flamme » dans le réel à celle ou celui qu’il aime-désire ; tout autant que dans la réalité du fleuve Seine, c’est dans le fleuve de la poésie et des amours mortes que Paul Celan s’est inscrit-jeté à corps perdu.
Dans un espace démétaphorisé, Celan a réelisé sa définition de la poésie : conversion en infini de la mortalité pure et la lettre morte. Dont objet petit a-cte.
S’avançant jusqu’au bout de sa désespérance, il s’est enfoncé dans cela même qu’il évoque à la fin du Méridien, dans cet « impossible chemin de l’impossible » ; à charge pour nous qui restons, à charge pour nous qui l’aimons, de découvrir et de recevoir dans l’intimité du cœur et de sa poésie, dans leur communauté, la grâce agissante d’une épiphanie, d’une rencontre avec le parler essentiel que parle la langue à travers l’homme, là où, « sur le pont des années », irrémédiable, se tient un poêtre d’exception.
Passent les jours, passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit, sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Sous le pont Mirabeau coule l’Autre Scène.