POSTS RECENTS GNIPL

Brigitte compain / Chemins de Traverse : Rencontre à Paris le 13 décembre 2025

69views

Crédits de l’image : Maïlo/Marie Laure Vareilles, Photomontages, série « impression urbaine », https://www.mailo-photos.com/

La lecture du livre de Paul B Preciado[1] a eu pour effet premier de me projeter dans un dédale de références et de lectures issus de domaines de savoirs en général plutôt étanches. Et finalement j’ai dû chausser « des lunettes munies de lentilles donnant une image inversée », pour paraphraser Thomas Kuhn[2]. Donna Haraway, Karen Barad diraient que cette lecture aura été diffractive (en opposition à réflexive).

Avec son expérience de la transsexualité, Preciado exhorte les psychanalystes à opérer une révolution épistémique, à « dépasser » la dualité sexuelle, la binarité du corps. En somme à changer de point de vue sur l’univers. Rien de moins. En effet, Preciado pense que nous assistons à un processus de transformation dans l’ordre de l’anatomie politique et sexuelle comparable à celui qui a conduit du géocentrisme à l’héliocentrisme. Il opposera la physique newtonienne à la physique quantique.

En 54-55, dans son séminaire Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Lacan mettait en batterie Newton et la cybernétique. Il alertait sur la naissance d’une nouvelle « science », de nouvelles techniques, de nouveaux appareils, d’une révolution épistémique annoncée, par l’arrivée de nouvelles technologies.

Dans sa conférence « Psychanalyse et cybernétique ou de la nature du langage » du 22 juin 1955, Lacan disait :

Il y a quelque chose pourtant qui m’a paru pouvoir être dégagé de ce que nous appellerons la contemporanéité, relative apparition en même temps, de deux techniques, de deux ordres de pensée et de sciences, qui sont la psychanalyse et la cybernétique, et d’autre part certaines des significations intéressées par chacune.[3]

Essayons d’enchevêtrer ces deux techniques. Et puisque Preciado a mis dans sa boite à outils des sujets/objets dont Kafka, le monstre, la cage, la physique quantique…, j’ajoute ceci : Mary Shelley[4], qui dans la préface en 1817, de son ouvrage Frankenstein résume la fonction de l’évènement qu’elle crée dans sa fiction.

L’évènement dont dépend l’intérêt de l’histoire n’a pas les inconvénients des histoires ordinaires de spectres et de sorcellerie. Il s’est imposé par la nouveauté des situations décrites et, si impossible soit-il en tant que réalité physique, il offre à l’imagination un point de vue qui lui permet de décrire les passions humaines de manière plus complète et plus frappante que lorsqu’on relate l’enchainement coutumier d’évènements réels.

Il me semble que le passage ci-dessus peut être considéré comme étant la description d’une expérience de pensée telle que les premiers physiciens quantiques nommaient certaines de leurs cogitations, lesquelles sont définies comme étant : « Des expériences permises en principe par les lois fondamentales de la physique, mais inaccessibles aux techniques expérimentales connues. » Niels Bohr, Werner Heisenberg, Albert Einstein et bien d’autres parlent de ces expériences de pensée dès lors qu’elles n’ont effectivement pas lieu en laboratoire, mais dans l’imagination des savants.

Et donc ma question est : Si, de l’inconscient, nous raisonnions comme d’une expérience de pensée, quelles en seraient les conséquences sur nos échafaudages conceptuels et sur nos pratiques ?

Notes :

[1]  Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes, Paris, Grasset, 2020.

[2] Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Nouvelle édition précédée d’un entretien avec Jean-Pierre Luminet. Traduction : Laure Meyer, Paris, Ed Champs Sciences. 2018, p. 189.

[3] Texte disponible sur le site de l’Elp : https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1955.06.22.pdf ou sur le site du GNiPL par l’onglet « Recherche Lacan » ici.

[4] Mary Shelley, Frankenstein, traduction Elisabeth Vonarburg, Paris, Ed. Points, 2025.

Thomas Kuhn : La structure des révolutions scientifiques. Traduction Laure Meyer, Paris, Ed Champs sciences, 2018. P 189.

John Forrester : Si P, Alors quoi? une approche anglo-saxonne du cas. En particulier, le chapitre : « Sur le cas de Kuhn — Psychanalyse et paradigme », traduction Guy Le Gaufey, Paris, Ed EPEL, 2024. eBook.

Judith Butler : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité. Traduction Cynthia Kraus, Paris, Ed La découverte. 2006.

Judith Butler : Ces corps qui comptent. De la matérialité et ses limites discursives du «sexe». Traduction Charlotte Nordmann, Paris, Ed Amsterdam ; 2018.

Karen Barad : À la rencontre de l’univers ; 4 tomes, traduction

Denis Petit, Paris, Ed Unebévue. 2020-2024.

Karen Barad : La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant. Traduction Frédéric Neyrat, Paris, Multitudes 2016.

Donna Haraway : « Un Manifeste Cyborg : sciences, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle ». In Des singes; des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature. Traduction Marie-Hélène Bourcier, Arles, Ed Actes Sud, 2009.

Donna Haraway : Vivre avec le trouble. Traduction Vivien Garcìa, Paris, Ed Des mondes à faire, 2020.

Lynn Margulis & Dorian Sagan, L’univers bactériel. Traduction Gérard Blanc, Paris, Ed Points, 1989.

Charles Stépanoff : Voyager dans l’invisible, Paris, Ed La découverte, 2022.
etc.

CHEMINS DE TRAVERSE

Date : samedi 13 décembre 2025

Heure : de 14 h 30 à 17 h 30

Lieu : 212 avenue du Maine, 75014 Paris, Digicode 1347A, interphone 46, 2ème étage.

Participation aux frais : De 10 à 20 euros