Contributions

Laura Sokolowsky – Richesse, amour et bénéfice de jouissance

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Texte paru dans Lacan Quotidien n°869

Il arrivait à Freud de s’exprimer dans les médias. Sa dernière déclaration fut enregistrée par la BCC le 7 décembre 1938 dans sa maison londonienne de Maresfield Gardens. Dans celle- ci, Freud énonçait que malgré ses succès importants, le combat pour la psychanalyse n’était pas encore terminé : « But the struggle is not yet over » (1).

En vérité, cet unique enregistrement de la voix de Freud ne se termine pas tout à fait par cette phrase. À la fin, il revint à l’allemand pour indiquer qu’après l’invasion de son pays, il espérait pouvoir finir librement son existence en Angleterre. Deux ans plus tôt, il avait écrit à Arnold Zweig qu’il n’était pas possible d’abandonner sa langue maternelle comme on change de vêtement. La langue, c’est comme la peau. Malgré l’exil, on n’en change pas (2).

Installé à Londres, Freud écrivit à Margarethe Stonborough-Wittgenstein – sœur aînée du logicien Ludwig Wittgenstein qui fut sa patiente durant quelques temps – que ses pièces archéologiques étaient arrivées intactes de Vienne. Tel leur propriétaire qui venait de subir une énième intervention chirurgicale, cette collection n’était pourtant plus la chose vivante de jadis (3), note-t-il. Le ton de la missive n’est ni triste ni nostalgique. Le surmoi de Freud se manifeste fréquemment par l’humour, comme dans cette autre lettre adressée à l’écrivain Stephan Zweig où il s’agit d’attendre de passer dans le non-être avec une sorte d’impatience (4).

Quelques années plus tôt, en 1932, Freud avait accepté de répondre aux questions de la Neue Freie Press. Il avait évoqué le fléau de la pauvreté en rappelant ce fait, trop souvent négligé, que les symptômes sont aussi des protecteurs de la vie. « Pour les pauvres – c’est bien triste à dire et j’espère qu’on ne voudra pas interpréter ma remarque comme du cynisme – pour les pauvres […], les névroses ne signifient pas seulement une maladie, mais aussi un des éléments de l’autodéfense dans la lutte pour l’existence. Nous avons très souvent, lorsque nous exercions gratuitement, fait l’expérience que les pauvres ne voulaient pas se laisser libérer de leur souffrance avant qu’un changement fût intervenu dans leur situation matérielle » (5), avait-il expliqué. La pauvreté était appréhendée par Freud comme une condition existentielle impitoyable. En ceci, le névrosé pauvre est le prochain du soldat atteint de névrose traumatique. Dans les deux cas, le symptôme, s’il engendre une profonde souffrance, protège de la mort et du sacrifice (6).

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