Contributions

Charles Melman – Les effets de la malformation du nœud dans l’enfance

1.2kviews
C’est un titre un peu mal formé, mais ça ne fait rien. C’est pas grave. Bon d’abord, j’apprécie beaucoup qu’à l’initiative de quelques-uns parmi vous, dont Virginia, Henri, Pierre-Christophe, et d’autres… pardon de ne pas citer tout le monde, vous soyez là de façon très courageuse, amenés à travailler… Vous êtes aux avant-postes ! C’est-à-dire que c’est difficile comme ça l’était pour Lacan lui-même à l’évidence. Mais il est certain que, sans que nous soyons aucunement certains de l’arrivée, le chemin vaut la peine. Ça c’est clair ! C’est dans cet esprit-là que je vais essayer d’aborder avec vous, sans savoir où vous en êtes dans l’élaboration du nœud, la question de savoir s’il peut nous être utile dans la clinique et le traitement de l’enfant, et le mettre à l’épreuve des troubles de l’enfance. Ce que je pense que l’EPEP fait à sa manière, mais je n’ai pas connaissance des résultats de leur travail. Donc permettez-moi, de façon un peu détachée de votre travail collectif, de vous dire ce que peuvent être mes propres réflexions sur cette affaire. Est-ce que la conception du nœud borroméen nous aide ou pas à déchiffrer la clinique de l’enfant et, ce qui n’est pas négligeable, à organiser notre conduite vis-à-vis d’eux ? Si l’on prend les trois catégories que nous savons, qui ont été introduites en 1953 par Lacan – ce serait pas mal que l’on puisse rééditer cette conférence – en tout cas pour ce qu’il en est d’un abord de la clinique de l’enfant par nos trois catégories, qu’est-ce que nous voyons ? Nous voyons qu’aborder l’enfant par un bilan de son rapport à l’imaginaire est tout de suite instructif. C’est d’ailleurs classique, on demande à l’enfant de dessiner. Et je dois dire que l’interprétation en général intuitive, aucunement formalisée de ces dessins, est pour chacun riche d’enseignement. Son rapport à la catégorie de l’imaginaire nous donne aussitôt le degré de son développement psychique. Il est facilement vérifiable que si l’enfant vous fait un gribouillis, comme ce n’est pas rare, vous savez aussitôt qu’il n’a pas acquis l’image de lui-même, que le stade du miroir pour lui n’est pas en place. C’est immédiatement avéré, et donc vous avez tout   de suite là un premier niveau pour évaluer le point où il en est. En revanche, s’il vous dessine une maison, autre expression tout à fait banale, vous savez qu’il a acquis une dimension essentielle qui est justement, non seulement de la représentation de l’image de soi, mais du symbolique. Pourquoi pouvez-vous dire cela ? Parce que c’est toujours une maison abstraite. Il a beau habiter dans un immeuble, un H.L.M ou habiter sous la tente, ce sera toujours la même maison, maison évidemment anthropomorphe, qui reprend les éléments du visage, c’est-à-dire les fenêtres pour les yeux, l’entrée pour la bouche, son équilibre général, l’existence d’une cheminée qui fume ou qui ne fume pas. Et je dirais que je suis à chaque fois ému de trouver cette représentation, parce qu’elle témoigne bien de la présence dans l’organisation psychique de ce qui était effectivement l’esprit de la maison, c’est-à-dire l’autel familial avec primitivement, on le sait, un feu entretenu en permanence, qui était là représentatif de la présence maintenue pérenne des ancêtres. L’existence de cette fumée qui sort de la cheminée est immédiatement instructive. Mais bien plus que ce type d’analyse, le fait que pour dessiner cette maison, il faut que l’enfant puisse abstraire, premièrement le trait Un, et la maison sera faite, comme vous le savez, par une association de traits Un qui formeront primitivement un carré surmonté – ça c’est essentiel, c’est une autre représentation abstraite – d’un triangle. Et là aussi, je dois dire que je suis à chaque fois sensible au fait qu’on a là cette représentation si primitive de la demeure humaine constituée d’une série de colonnes surmontées d’un triangle, c’est-à-dire la combinaison du Un et du trois. Ce dessin de la maison nous en apprend déjà beaucoup plus sur le point où il en est que la banalité de cette figuration. Il suffit pour cela d’abstraire quels sont les éléments significatifs qui ont servi à sa construction, pour être sensible au fait qu’une étape essentielle est là en place, avec une réserve qui est que l’équilibre de la maison doit également être pris en compte, être significatif, en particulier lorsque ce visage est frappé de strabisme. Autrement dit, quand les deux fenêtres sont sur les côtés, comme ça écartées, ce qui n’est pas rare, et dont l’interprétation n’est pas évidente, n’est pas facile, mais en tout cas témoigne qu’assurément – je vais être doltoïen dans la hardiesse de cette interprétation – qu’il y a du désordre. Il y a la maison, mais il y a du désordre dans la maison. Il y a quelque chose qui est déséquilibré, qui ne va pas. C’est assez étrange de pouvoir dire des choses pareilles, c’est-à-dire de lire de façon significative des éléments discordants dans la représentation. Mais vous êtes sûr à chaque fois de ne pas vous tromper, c’est comme ça.

Lire la publication complète